N° 163 - Février 2003
( sommaire
)
Cahier :
Homosexualité
Dans ce cahier :
I. La reconnaissance des couples homosexuels,
par Denis Müller 
II. Homosexuel(le)s et homosexualité,
par Mikaël de Hadjetlaché
III. Foi, espérance et homosexualité,
par l'Alliance Evangélique de France

IV. Le bon Dieu ne s'ennuie pas, par
Stéphane Lavignotte 
V. De Sodome et Gomorrhe à David et Jonathan,
par Thomas Römer
La question de l'homosexualité
et surtout celle du statut des homosexuels sont à l'ordre du jour.
Récemment, les pourparlers et les décisions autour du Pacs,
même si le Pacs ne concerne pas les seuls homosexuels, ont fait
couler beaucoup d'encre et de salive.
Les Églises sont aussi concernées par ces problèmes
de société. Que répondre aux homosexuels qui demandent
une cérémonie de mariage ou à ceux qui souhaitent
être homologués comme tels dans le corps pastoral ?
Plusieurs Églises protestantes ont déjà pris position
par rapport à cette question. Les Églises réformées
et luthériennes de France envisagent de porter ces questions à
leur ordre du jour. Elles ont établi à l'intention des Conseils
presbytéraux et des membres d'Églises un dossier introductif
à cette question.
Le comité Évangile et Liberté souhaite apporter
sa contribution à cette réflexion. D'où, ce numéro
spécial de notre journal. Volontairement, nous avons voulu donner
la parole à des homosexuels. Nous avons aussi voulu que des points
de vue variés, voire antithétiques s'y expriment.
Ici, Denis Müller nous invite à prendre en compte les conditions
d'une vraie reconnaissance des couples homosexuels. A la rédaction
d'Évangile et Liberté nous sommes sans doute plus prudents
ou réservés que Thomas Römer ne l'est dans les conclusions
de son étude de la Bible hébraïque.
A l'inverse, nous sommes bien au-delà de la déclaration
de l'Alliance biblique évangélique et du point de vue du
pasteur Mikaël de Hadjetlaché qui la représente. Nous
sommes aussi à l'écoute de Stéphane Lavignotte qui
essaie de justifier certains excès des manifestations homosexuelles.
Toutes proportions gardées, cette réflexion qui s'amorce
au sein des Églises protestantes de France risque de secouer les
chaumières ecclésiastiques, comme jadis la question de l'admission
des femmes au ministère pastoral, pour ensuite très vite
se normaliser et ne plus être à la une des préoccupations.
La Rédaction
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sommaire du N°
I. La reconnaissance des couples homosexuels,
par Denis Müller
Question civile et question ecclésiale
Tout semble porter les communautés
chrétiennes contemporaines à oeuvrer dans le sens d'une
reconnaissance innovatrice des couples homosexuels. Pourtant, bien des
obstacles qui se présentent encore à nous tiennent à
l'opposition souvent occultée entre deux manières de comprendre
l'idée même de reconnaissance.
Lorsque nous entendons le mot même de reconnaissance, nous percevons
d'abord l'optique d'une réciprocité, où ceux et
celles qui demandent à être reconnus (les objets ou les
destinataires de la reconnaissance) et ceux et celles qui sont appelés
à reconnaître (les sujets ou les acteurs de la reconnaissance)
visent à accéder à une vraie reconnaissance mutuelle,
faite de confiance réciproque et non simplement de concession
ou de l'octroi condescendant d'un statut égal.
Notons cependant qu'au plan juridique et politique, la reconnaissance
des couples homosexuels envisage un minimum d'égalité,
sans viser une réciprocité totale. On peut en effet se
contenter, comme cela s'est passé jusqu'à récemment
dans la plupart des pays occidentaux, d'accorder des protections et
des garanties, que ce soit par des mesures isolées et bien circonscrites
ou, comme cela nous paraît préférable, par un statut
plus large, comme le PACS en France ou le statut de partenariat qui
se dessine par exemple en Suisse. Une authentique et pleine reconnaissance
passera alors par deux éléments complémentaires
: d'une part, il s'agira que les demandes des personnes concernées
soient satisfaites : sous l'angle de la reconnaissance publique, un
statut dûment enregistré répond bien mieux à
cette exigence que des mesures juridiques ponctuelles ; d'autre part,
les intérêts de l'ensemble de la société,
et notamment des couples mariés, des concubins et de la famille
doivent être préservés : de ce point de vue, il
semble que le type de solution tendant à privilégier le
partenariat enregistré avec effets semblables au mariage rend
bien compte de l'équilibre délicat qu'il convient de maintenir
en la matière, mieux sans doute que le PACS français,
qui ne semble pas faire droit aux avantages antérieurs des concubins
par exemple.
Si l'on se place résolument dans une perspective éthique,
on ne saurait toutefois se contenter de comprendre la reconnaissance,
en un sens faible, comme une simple coexistence pacifique, basée
sur des concessions mutuelles, qui risqueraient de laisser place à
des blessures ou à des insatisfactions. L'enjeu crucial de la
lutte pour la véritable reconnaissance est bien celui-là
: ou bien la majorité impose sa conception de la reconnaissance
et en vient à octroyer un statut à la minorité,
à contrecoeur et du bout des lèvres ; ou bien la minorité
demandante impose sa vision de la reconnaissance plénière,
sans tenir compte des intérêts légitimes de l'ensemble
des personnes en jeu. Dans ces deux cas extrêmes, on aurait manqué
le vrai idéal de la reconnaissance. On doit au contraire viser
un accord social assez large et assez honnête pour que les uns
et les autres y trouvent vraiment leur compte, non seulement au plan
de la vie bonne et du style de vie de chacun (ce qui restera toujours
à reprendre), mais aussi au plan de la justice et de l'équité.
Autrement dit, la question de la reconnaissance du couple homosexuel
n'est pas qu'une question éthique relevant de la vie bonne et
du domaine privé, mais elle est aussi une question morale concernant
la juste reconnaissance des intérêts et des désirs
et sa transcription publique acceptable par tous. Pour utiliser un langage
quelque peu différent, la question de la reconnaissance relève
de l'éthique sociale et non simplement de l'éthique individuelle
ou interpersonnelle. Cette vérité devra aussi trouver
sa place dans l'Eglise.
Notre hypothèse de travail, dès lors, est que la reconnaissance
des couples homosexuels passe nécessairement par un nouveau pacte
social, un pacte de confiance, qui inclue l'ensemble des citoyens et
qui ne se limite pas à accorder un statut spécial aux
homosexuels, comme pour mieux s'en débarrasser. Car une reconnaissance
superficielle serait lourde de frustrations et de revanches.
Il appartiendra alors aux Eglises chrétiennes, après
voir oeuvré en faveur d'un statut social plus juste pour les
couples homosexuels, de s'interroger sur les conséquences pratiques
qu'elles estiment possibles de tirer en leur sein.
Deux modèles en discussion
La reconnaissance dans l'égalité
ou la reconnaissance dans la différence
Dans le débat public en cours, mais également dans la
discussion au sein des Eglises, une opposition centrale paraît
se faire jour entre une politique de la reconnaissance dans l'égalité
et une politique de la reconnaissance comme prise en compte de la différence.
Le modèle dominant parmi les militants de la reconnaissance
des homosexuels est aujourd'hui clairement celui de la reconnaissance
dans l'égalité. On en retrouve la traduction dans la plupart
des plaidoyers théologiques pour une bénédiction
religieuse des couples homosexuels : l'élément commun
de l'amour conduit à coiffer toutes les formes de vie, homosexuelles
et hétérosexuelles, du chapeau d'une bénédiction
divine largement et généreusement comprise.
Un autre modèle est cependant possible, témoignant d'une
autre forme de cohérence et de correspondance entre la dimension
civile et la dimension ecclésiale de la question des couples
homosexuels. A la logique d'un partenariat non assimilé au mariage
répond ici la logique d'un accueil ecclésial des couples
homosexuels, accueil qui ne soit pas sans autre identifié à
une bénédiction nuptiale.
En fait, la reconnaissance dans la différence n'est pas du
tout la négation de l'égalité. Elle entend au contraire
prendre au sérieux l'égalité dans la différence,
ce qui se traduira par une régulation différenciée
du statut social et du statut religieux du couple homosexuel.
La question théologique que pose la confrontation de ces deux
modèles est en effet la suivante : dans quelle mesure la résolution
pacifique et respectueuse d'une question nouvelle et provocante permet-elle
de mettre en oeuvre une dialectique de la différenciation positive
de deux situations non strictement identiques, plutôt que de les
réunir toutes les deux sous un unique dénominateur ? Comment
innover dans la pratique ecclésiale envers les couples homosexuels
tout en rénovant notre compréhension de la condition anthropologique
et sociale manifestée dans le mariage hétérosexuel
?
Reconnaissance dans l'égalité ou reconnaissance dans
la différence ?
Comment surmonter l'opposition des
deux modèles ?
Un des noeuds du débat actuel me paraît se situer justement
dans le manque de clarté au sujet du thème de la réciprocité
et de l'asymétrie. Le libéralisme juridique ambiant postule
une réciprocité totalement symétrique et abstraite,
fondée sur la stricte égalité des droits, s'abreuvant
à l'illusion fantasmatique de la transparence totale. Le communautarisme,
dans ses variantes les plus pures, postule au contraire une asymétrie
constitutive, sans recoupement possible avec la thèse libérale.
Or c'est justement cette opposition qu'il s'agit de contester. Dans
le modèle que nous privilégions ici, la reconnaissance
suppose une égalité, mais pas une égalité
abstraite. La reconnaissance dans la différence est nécessaire
elle aussi, mais pas suffisante. Ce qu'il faut mettre en place, c'est
une dialectique étagée de l'égalité et de
la différence.
La vraie reconnaissance suppose d'admettre que si tout le monde doit
être traité selon le principe d'égalité,
tout traitement égal n'est pas identique et doit, dans une certaine
mesure, prendre en compte les différences. Telle est la visée
du thème de l'égalité complexe chez Walzer, par
exemple. Personne n'aurait l'idée de régler des questions
comme l'avortement ou l'assurance-maternité en niant la différence
des sexes. Il n'y a pas de raison que la question des couples homosexuels
échappe à des distinctions analogues.
La dimension religieuse de la reconnaissance
La reconnaissance est d'abord un
thème social, où se joue l'articulation de la réciprocité
et de la différence, des droits et de la sensibilité,
de la morale et de l'éthique. Mais le social n'épuise
pas la totalité du champ de la réalité. Le social
n'est pas le tout, pas davantage que l'économique ou que le politique.
Les sphères de justice ne sont pas seulement enfermées
dans l'immanence, elles ouvrent sur des formes même minimales
de transcendance. La reconnaissance dépasse ainsi la seule validation
sociale. L'être que je suis, comme sujet, ne dépend pas,
ultimement, de ce que le regard de la société lui renvoie.
Le thème de la reconnaissance comporte ainsi une dimension
qui ouvre sur le religieux, dans le sens d'une dimension anthropologique
et symbolique plus profonde que le simple formalisme d'une transcendance
abstraite. Cette présence du religieux au sein du social explique
pourquoi les Eglises ne peuvent pas se contenter de soutenir des solutions
sociales et politiques visant à régler le statut des couples
homosexuels. Elles sont aussi interpellées dans leur propre compréhension
théologique du couple, du mariage, de la famille et de la filiation.
Elles sont invitées à traduire en des termes nouveaux
le sens religieux de la vie amoureuse.
Il n'est pas sûr, à nos yeux, que la seule manière
d'opérer cette traduction soit de calquer le discours traditionnel
de la bénédiction nuptiale sur les couples homosexuels.
Un détour théologique nous paraît à la fois
nécessaire et fécond.
Dans l'espace symbolique balisé par le christianisme, le thème
théologique qui rend compte de la manière la plus profonde
de la reconnaissance est celui de la justification par la foi. Car ce
thème, en sa visée profonde, dit que l'existence du sujet
ne dépend pas de ses mérites ou de sa valeur, mais d'une
acceptation gratuite. Comme l'a formulé classiquement Paul Tillich,
c'est parce que le sujet se reconnaît « accepté en
tant qu'il est inacceptable » qu'il devient capable d'un courage
d'être.
Dans sa discussion critique des thèses de Honneth, le théologien
luthérien allemand Martin Leiner a très bien montré
qu'il est possible d'élargir les trois types de reconnaissance
proposés par Honneth (Leiner, 2000) : la reconnaissance juridique,
la reconnaissance morale et la reconnaissance par l'amour. Théologiquement,
on ne peut pas faire dépendre la reconnaissance du sujet uniquement
d'autrui, comme cela semble être le cas chez Georges H. Mead et
chez Honneth. Il faut introduire un tiers, la figure de Dieu comme justification
gratuite. Je ne suis pas uniquement reconnu par le fait que le droit,
la société ou l'autre me l'accordent. J'aspire, plus profondément,
à une reconnaissance qui me vient d'un autre et, de plus, ne
se base pas d'abord et seulement sur mes mérites.
On sera ainsi amené à critiquer la fascination pour
la reconnaissance limitée à son aspect juridique. L'accent
accentuel sur les droits, y compris en éthique, fausse en bonne
partie la discussion. Dans l'idée même de reconnaissance,
il y a plus que la reconnaissance des droits. Il y a la réponse
à une aspiration humaine, à un désir anthropologique
qu'aucune solution juridique, ni même sociale ou politique, n'est
à même de satisfaire.
Quelles conséquences en tirer au sein des Eglises ? La bénédiction
est-elle la solution idéale devant la demande de reconnaissance
des couples homosexuels ? Le modèle de la reconnaissance dans
l'égalité nous conduit tout droit à une telle solution.
Mais on risque alors, dans cette hypothèse, non seulement de
passer à côté de la signification du mariage hétérosexuel,
mais de ne pas rendre justice à la demande de reconnaissance
homosexuelle elle-même.
Les Eglises se devront d'être plus imaginatives. Plutôt
que de se débarrasser démagogiquement de cette épine
que constituent pour elle les couples homosexuels en leur accordant
une bénédiction mimétique mais paresseuse, elles
feraient mieux de développer d'abord un authentique accueil des
personnes et des couples homosexuels, puis de rouvrir ensemble avec
tous les couples la question du sens du mariage et du sens distinct
du partenariat homosexuel. Ainsi une pratique liturgique éventuelle,
réfléchie et différenciée, pourrait-elle
découler d'une expérience communautaire et dialogale exigeante,
plutôt que de l'anticiper de manière précipitée.
Denis
Müller
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Un très grand merci pour
la possibilité que la revue « Evangile et Liberté
» m'offre d'exposer ma position vis à vis des questions
débattues au niveau du CPLR, que pose l'homosexualité.
A mon sens, il y a un débat légitime sur la «
pastorale » que nos Eglises doivent mettre en oeuvre à
ce sujet : accueil dans l'Eglise des personnes homosexuelles, dialogue
et respect, prise en compte des souffrances et des traumatismes divers,
encouragement et prière pour que la sexualité - cadeau
de Dieu et telle que le début de la Genèse et Jésus
la préconise (couple hétérosexuel durable ou abstinence
à ce propos) soit bonne aventure et joie et pas sujet d'exclusion,
de discorde ou de ségrégation...
Mais le débat sur l'homosexualité et sur les deux interrogations
pratiques :
- « Faut-il (ou peut-on) marier des homosexuels ? » et
- « Peut-on reconnaître comme ministres ou responsables
de l'ERF des personnes vivant en homosexualité ? » suppose
que soit, au préalable, clarifiée la question du statut
de l'Ecriture. Tout dépend, en effet, de la conception que l'on
en a. Si l'on reconnaît à la Bible le statut de Parole
écrite de Dieu (ce qui est mon cas), qui rend témoignage
à sa Parole incarnée, Jésus-Christ, 100 % humaine
et 100 % divine, il est clair que l'homosexualité n'est pas le
mode de sexualité voulu par Dieu. Si cette conception de l'Ecriture
n'est pas peu ou prou reconnue, le débat peut s'ouvrir, mais
alors la prééminence peut-être conférée
à toutes sortes de considérations autres : sociales, psychologiques,
sociologiques, politiques, psychanalytiques, etc. Toute attitude est
alors concevable... Et on ne peut que dire « pauvrette Eglise
! » si la référence ultime n'est pas restée
la Parole biblique.
Il est clair que la pratique homosexuelle se développe dans
notre société désorientée. Notre responsabilité
de chrétiens me semble être de montrer clairement la direction
tout en prenant soin, comme le bon samaritain de la parabole, des personnes
quel que soit leur mode de vie. Voilà pourquoi je souscris à
100 % à la récente déclaration de l'Alliance évangélique
française ayant pour titre : « foi, espérance et
homosexualité » que vous trouverez ci-dessous. Merci de
la méditer.
Mikaël
de Hadjetlaché
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III. Foi, espérance et homosexualité,
par l'Alliance Evangélique de France
Aujourd'hui, la question de l'homosexualité fait non seulement
débat dans la société mais elle est aussi un sujet
de controverses dans les Eglises occidentales. Le présent document
a été conçu dans ce contexte. Redevable sur plusieurs
points au travail de l'Alliance évangélique britannique,
il exprime les convictions du Conseil national de l'Alliance évangélique
française en la matière. Il a été adopté
par ce conseil dans sa séance du 12 octobre 2002.
- 1 Nous reconnaissons que nous sommes tous pécheurs et que
la seule espérance véritable pour des pécheurs
- qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels - se trouve
en Jésus-Christ. Nous prions que son amour, sa vérité
et sa grâce marquent de leur empreinte les débats présents
et futurs sur la question de l'homosexualité.
- 2 Nous affirmons que le mariage hétérosexuel monogame
est la seule forme d'union que Dieu a prévue pour les relations
sexuelles.
- 3 Nous affirmons l'amour et l'intérêt de Dieu pour
toute l'humanité, y compris pour les personnes homosexuelles.
Cependant, nous croyons que leurs pratiques sexuelles sont incompatibles
avec la volonté de Dieu telle qu'elle nous est révélée
dans l'Ecriture. Nous attestons que, par la grâce de Dieu, un
renouvellement profond de la personnalité, y compris dans ses
orientations sexuelles, est possible.
- 4 Nous désavouons l'homophobie, car elle dénote une
peur ou une haine irrationnelles envers les personnes homosexuelles.
Toutefois, nous n'acceptons pas l'idée selon laquelle le fait
de rejeter les pratiques homosexuelles sur des bases bibliques serait
en soi une attitude homophobe.
- 5 Nous regrettons profondément les blessures infligées
aux homosexuels par la haine et le rejet, passés ou présents,
manifestés envers eux par les Eglises.
- 6 Nous désapprouvons les mouvements qui, dans certaines
Eglises, tendent à reconnaître, voire à encourager,
les pratiques homosexuelles comme légitimes aux yeux de Dieu.
Nous soutenons dans la prière tous ceux qui, dans de telles
Eglises, cherchent à résister à cette orientation
sur des bases bibliques.
- 7 Nous désapprouvons les mouvements qui se manifestent dans
certaines Eglises, revendiquant l'accès au ministère
pastoral de personnes qui se déclarent homosexuelles ou qui
pratiquent l'homosexualité. Nous soutenons dans la prière
tous ceux qui cherchent à résister à cette orientation
sur des bases bibliques.
- 8 Nous exprimons notre approbation et nos encouragements aux homosexuels
chrétiens qui ont pris l'engagement de vivre dans la chasteté
et le célibat. S'ils sont membres d'Eglises qui approuvent
les relations homosexuelles, nous sommes préoccupés
par la possibilité, pour ces membres, d'être remis en
cause et découragés dans leur engagement.
- 9 Nous recommandons aux Eglises évangéliques d'accueillir
et d'accompagner les personnes homosexuelles et de le faire dans l'espérance
qu'elles renonceront, en leur temps, à la pratique des relations
homosexuelles, conformément à la révélation
biblique. Nous appelons à faire preuve de patience et de tact
dans le suivi pastoral de ces personnes.
- 10 Nous encourageons le travail des organisations qui cherchent
à aider les homosexuels à vivre leur célibat
et celles qui accompagnent les homosexuels désireux d'adopter
un mode de vie hétérosexuel.
- 11 Nous croyons que les pratiques homosexuelles qui ne font pas
l'objet d'un repentir sont incompatibles avec la qualité de
membre d'une Eglise.
- 12 Nous désapprouvons la bénédiction d'unions
homosexuelles. Cette déclaration sera probablement reçue
de divers façons par les différents milieux chrétiens.
En tout cas, elle voudrait refléter une volonté de fidélité
à la Bible, parole du Dieu d'amour pour tous les hommes, seule
règle de foi et de vie.
Alliance Evangélique de France
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Chaque année avec ma femme
et mes deux filles nous allons à la Marche des fiertés
gays, lesbiennes et transgenres ( Gay Pride ).
Pour le plaisir de la fête, pour y rencontrer des amis, pour lacte
militant de soutenir lavancée de légalité
des droits, pour éduquer nos filles au droit à la différence.
La Marche est critiquée par certains de nos amis qui trouvent
que la musique, les déguisements, la présence des drag-queen,
des sado-masos etc. donnent une image extrême de lhomosexualité.
Que si cela fut nécessaire - il serait dorénavant
contre-productif de choquer pour faire avancer lacceptation de
lhomosexualité.
Une stratégie humaine
La partie du cortège qui
mémeut le plus ne passe pas à la télé,
cest le cortège associatif : Association des parents
et futurs parents gays et lesbiens (APGL), grands-parents gays, association
Contact des parents et amis dhomosexuels etc. Jai souvent
une larme pour ces simples présences sans techno, ni flons-flons
- qui signifient juste jai vieilli , je
soutiens , jaime . A la manière
dune bénédiction, jaimerais dire cela
est bon . Faudrait-il ces seules présences dans la
Marche, sans celle des choquants ? Faire
deux marches comme le suggère Caroline Blanco (1) ? Didier
Eribon (2) rappelle que ce double geste de linscription
dans le monde gay et de la volonté acharnée de sen
distinguer constitue lune des grandes structures psychologique,
culturelle et politique du discours gay au cours de lhistoire .
Déjà dans les années 50, André Baudry, fondateur
de lassociation homophile Arcadie, choqué
par luvre de Jean Genet, estimait que la cause
homosexuelle ne peut être illustrée, malgré les
apparences, que par ceux qui gardent la mesure dans leur comportement (2).
Tout mouvement de transformation est confronté à cette
question : que faire de ses extrêmes ? Mais la question
pourrait être renversée : que pourrait faire le modéré
sans un extrême ? Le modéré serait-il considéré
comme tel sil ny avait lextrême ? Luther
peut être acceptable parce que la révolte des paysans ne
lest pas. Martin Luther King raisonnable parce que Malcolm X est
inquiétant. Plus que cela. Comme lévoque Didier
Eribon au sujet de Jean Genet il faudrait se demander pourquoi
des uvres qui gênèrent tant
les homosexuels, et leurs inspirèrent même une certaine
horreur, purent dans le même temps, exercer une fascination si
profonde quelles contribuèrent à élargir
lespace public de lhomosexualité. Et ainsi en conférant
une sorte dautorisation et de légitimité à
lexistence homosexuelle, devenir des éléments centraux
de la culture gay, par le seule fait, peut-être de parler de ce
dont il est quasiment interdit de parler, cest-à-dire en
déplaçant les limites du dicible, et en modifiant le partage
du visible et de linvisible . Il y a une peur que la
force de la visibilité relayée par la télévision
- de la drag-queen réduise lhomosexualité
à une image unique, impossible pour beaucoup à assumer.
Au contraire, je pense que plus lextrême pousse loin de
la normalité son identité, plus souvre un espace
large entre la normalité et linacceptable où chacun
peut trouver une place à une distance qui lui convient de la
normalité. Cela ouvre la palette des dicibles, des visibles,
des existences.
Pourtant, je ne voudrais pas marrêter là. Je refuse
denfermer qui que ce soit dans cette image dun mal nécessaire.
Dans les suites de manifestations, les discours sur les éléments
incontrôlés mont toujours semblé
une parade pour refuser de penser les violences. Dans ces débordements
se dit souvent le profond dun mouvement.
Une traversée pascale
Pourquoi être fier
de se montrer ? Pourquoi le faire avec exubérance ?
Je reprendrai dabord les mots de Dominique Gobelet, prêtre
et coordinateur de Chrétiens et Sida Belgique (3). Pour
ladolescent qui réalise un jour aimer une personne du même
sexe, véritable parcours du combattant, lexpérience
peut tourner au cauchemar, à la nuit (
) Ny aurait-il
pas alors un itinéraire étrange qui conduirait de loiseau
de nuit (Guy Hocquenghem) au vivre à
midi (Jean-Louis Bory) ? Quels chemins dexode ,
de liberté, de libération souvrent pour ceux qui
décident de sortir de la nuit ? (
) Le coming
out (ne plus cacher son homosexualité à son
entourage) ne serait-il pas alors une expérience
Pascale au sens fort du terme ? (
)Le coming
out reste une expérience pascale, il est passage
au sens fort du terme, des ténèbres à
ladmirable lumière (Cf 1P2,9) de la vie.
Que la Gay Pride soit loccasion ou lanniversaire de cette
sortie du placard, ny a t il pas de quoi être folle
de joie ? Allons-nous demander à un ressuscité de
ne pas trop en faire ? Allons-nous être
aussi peu perspicace que les apôtres qui ne surent pas voir et
se réjouir de la résurrection ? Dailleurs, savons-nous
regarder la Gay-Pride ?
Un projet évangélique
Jésus passe son temps dans
les évangiles à déplacer tous les gens quil
rencontre, à les sortir de leur identité. Que lidentité
soit infamante (comme celle du percepteur ou de la prostituée),
bien vue par la norme de son temps (comme
les juifs pieux) ou bien vue par les lecteurs
auquel sont destinés les évangiles (comme les disciples
que Jésus passe son temps à secouer).
Paul invite à abandonner les marqueurs identitaires du judaïsme
mais nincite pas à en fabriquer de nouveaux identifiant
à la nouvelle religion. Comme lécrit Alain Badiou
(4) la vérité est diagonale au regard de tous
les sous-ensemble communautaires, elle ne sautorise daucune
identité et nen constitue aucune . Pourtant,
deux mille ans plus tard, non seulement nous accumulons les marqueurs
identitaires (hétéros-français-protestants-libéraux,
par exemple) (5) mais nous voulons faire rentrer les autres les
gays en loccurrence dans lidentité que nous
aurions choisi pour eux. Il y aurait le mauvais
gay (la drag-queen, le sado-maso etc.) et le bon
gay, clone de Bertrand Delanoë par exemple. Une partie des gays
et lesbiennes jouent ce jeu, inventant une identité gaie ou juste
une assimilation à lidentité hétéro.
Dans les deux cas, enfermé identitairement de toute façon,
comme lhétéro lest aussi. En opposition à
cela, dans la lignée de Michel Foucault, est né dans les
années 80 aux Etats-Unis, le mouvement Queer. David Halperin,
un des théoriciens du Queer, explique (6) : A
la différence de lidentité gay, qui bien que résolument
conçue comme un acte daffirmation, nen reste pas
moins ancrée dans le fait positif dun choix dobjet
homosexuel, lidentité queer na aucun besoin de se
fonder sur une vérité quelconque ou sur une réalité
stable. (
) Le queer ne délimite donc pas une positivité
mais une position par rapport au normatif (
) Foucault conçoit
lhomosexualité non pas comme une espèce nouvellement
libérée dêtres humains, mais comme une position
marginale stratégique, à partir de laquelle il est possible
dentretenir et de créer de nouvelles formes de rapports
à soi-même et aux autres . Pour Foucault reprenant
la démarche grecque ancienne, luvre à
faire, explique Didier Eribon, ce sera alors la vie, quil sagira
de réinventer individuellement et collectivement, afin de nêtre
plus les mêmes que ce que nous étions, et déchapper
à ce quon fait de nous . Ne retrouve-t-on pas
la structuration du sujets selon le non
mais
que pointe Badiou chez Paul ? Structuration du
sujet selon un non
mais dont il faut entendre
quil nest pas un état, mais un devenir (
) Car
le non est dissolution potentielle des particularités
fermées (dont loi est le nom), cependant
que le mais indique la tâche, le labeur
fidèle dont les sujets du processus ouvert par lévénement
(dont le nom est grâce ) sont les co-ouvriers .
Seul bémol à cette citation de Badiou : lévénement
nest-il pas la résurrection du christ ( mort
et ressuscité ), la traversée pascale
dont on a vu quelle pouvait sactualiser individuellement
dans la sortie du placard ? De la modification des corps (piercing,
body-building
) à linvention de nouvelles formes de
familles, dun certain rythme de la phrase, du geste, à
la création de nouvelles formes de fêtes et de musiques,
ce labeur est bien un chemin collectif dinvention
de soi-même qui est alors possible, un déplacement permanent
de sa propre nature humaine, un exil créateur permanent ne sarrêtant
dans aucune identité. Regarder réellement la gay-pride,
comme on prend le temps de regarder un paysage pour en saisir tous les
détails, cest alors prendre le risque de ne plus voir une
foule dhomos se ressemblant tous mais de distinguer des personnes
individuelles dans leur diversité, de voir quil y a quelque
chose dencore plus bizarre que ce que
nous pensions : des individus qui inventent de nouvelles formes
de natures humaines.
Un projet divin
Le théologien John Cobb est
sans doute celui qui a le mieux mis en évidence lorigine
divine de ce projet de création permanente. André Gounelle
(7) explique bien son point de vu : On ne doit pas
lire le récit de la Genèse seulement comme un mythe des
origines (auquel cas il naurait pas grand chose à nous
dire). Il faut y voir aussi et essentiellement une description parabolique
de la manière dont Dieu agit dans le monde, que ce soit hier,
aujourdhui ou demain. Le monde na pas été
fait une fois pour toute au commencement. On se trompe quand on voit
dans la création lacte initial ou le geste fondateur qui
marque un début. Elle est un processus continu, une dynamique
qui jamais ne sachève ni ne sarrête. Sans cesse,
Dieu intervient dans le monde et en nous-mêmes. Inlassablement,
il appelle à lexistence ce qui nexiste
pas (Romains 4/17) . Ce dynamisme créateur
de Dieu ne sapplique pas seulement à la créativité
artistique ou culturelle, au développement de la biodiversité
de la nature animale ou végétale mais aussi à la
diversification des natures humaines (8). A chaque instant,
il sefforce de nous persuader pour que nous devenions de nouvelles
créatures (
) A tout moment, dans notre vie quotidienne,
nous sommes invités à vivre lévénement
de la création. Il est une dynamique à laquelle nous participons
activement. Dieu créé en nous rendant créateurs.
John Cobb fut en dialogue avec la théologie gay américaine,
se trouvant en accord pour remettre en cause tout enfermement identitaire,
tout substantialisme.
Ce labeur dinvention humaine est ouvert à tous, universel.
Tout le monde peut être stratégiquement
gay, inventeur de soi. Comme samuse David Halperin : cela
peut inclure des couples mariés sans enfants, par exemple, ou
même (qui sait ?) des couples mariés avec enfants,
avec sans doute de très vilains enfants . La Gay-pride
est alors une interpellation aux hétéros sexuels. sommes-nous
capables de faire nos sortis des placards de la normalité
? De mettre en cause nos enfermements identitaires ? De participer
à cette création de soi(s) auquel nous invite le
dynamisme créateur de Dieu ?
Stéphane
Lavignotte
(1) Edito de Le sel de juillet-août
2002.
(2) Une morale du minoritaire , Didier Eribon,
Fayard, 2001
(3) De la nuit au soleil quelques repères
pour un itinéraire de libération, dans Chrétiens
et Sida n°38, juillet-septembre 2002.
(4) Alain Badiou, Saint Paul, la fondation de luniversalisme ,
Puf, 1997.
(5) ) Bien sûr, nous ne considérons pas cela comme une
identité particulière puisque cest la nôtre.
Ce sont les autres qui ont un accent, pas nous. Cest la culture
des autres qui est particulière, la nôtre est universelle
(6) Saint Foucault, David Halperin, EPEL, 2000.
(7) Le dynamisme créateur de Dieu, André Gounelle, Van
Dieren éditeur, 2000
(8) De la nature, Serge Moscovici, Métaillé, 2002
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sommaire du N°
VI. De Sodome et Gomorrhe à David et Jonathan, quelques considérations
sur l'homosexualité dans la Bible hébraïque,
par Thomas Römer
Parler de l'homosexualité
dans la Bible est souvent une affaire piégée et ceci pour
plusieurs raisons. Depuis longtemps, dans des milieux « bien-pensants
» ou « intégristes », on a recours aux textes
bibliques, notamment aux interdits dans le livre du Lévitique
(et dans le Nouveau Testament quelques versets des épîtres
pauliniennes) et surtout l'histoire de Sodome et Gomorrhe pour «
prouver » que la Bible condamne l'homosexualité, et que
celle-ci compte parmi les plus graves péchés, les homosexuels
agissant contrairement à « l'ordre naturel » voulu
par Dieu ; ces mêmes milieux déclarent bien sûr,
sans hésitation aucune, que l'histoire de David et Jonathan sur
laquelle nous allons revenir, n'a absolument rien à voir avec
l'homosexualité.
De l'autre côté, et surtout ces dernières décennies,
des théologiens homosexuels, ou sympathisants de la lutte des
personnes homosexuelles, s'efforcent de démontrer qu'aucun des
textes utilisés par les fondamentalistes anti-homosexualité
n'interdit vraiment les rapports homosexuels. Par exemple, les interdictions
dans le livre du Lévitique ne se prononceraient pas contre l'homosexualité,
mais contre certaines pratiques de la prostitution sacrée, en
vogue dans la culture cananéenne. A mon avis, les deux types
de lecture du texte biblique ont le même défaut. Ils procèdent
à une lecture apologétique du texte biblique, c'est-à-dire
que le texte biblique est utilisé directement, sans médiation
aucune, pour justifier des prises de position d'éthique sexuelle.
On oublie alors que plus de 2000 ans nous séparent de la rédaction
de ces textes que je viens de citer.
Pourquoi les auteurs bibliques, pour qui l'esclavage, par exemple,
ne pose aucun problème et qui n'ont jamais entendu parler du
droit des femmes, auraient-ils une vision ouverte voire progressiste
en ce qui concerne l'homosexualité ?
Il est également impossible, si l'on prend la Bible au sérieux,
d'extraire quelques versets dans lesquels des rapports homosexuels sont
appelés une « abomination » pour construire ensuite
une éthique sexuelle pour notre société à
la fin du XXe siècle.
Cette utilisation fondamentaliste me semble être surtout liée
à une lecture indifférenciée de la Bible, lecture
qui ne tient pas compte des circonstances historiques et culturelles
des témoignages vétérotestamentaires.
Pour bien comprendre ce que la Bible sur l'homosexualité, comme
ailleurs sur n'importe quel autre sujet, on doit prendre en compte les
contextes historiques et culturels dans lesquels les différents
énoncés ont vu le jour.
Sans la volonté de se replacer dans le contexte conceptuel
et idéologique des milieux producteurs de ces témoignages,
nous risquons de faire un énorme tort au texte biblique comme
d'ailleurs à nous-mêmes.
Problème de terminologie et de définition
Il faut rappeler le fait que le
Proche Orient ancien ne connaît pas le concept abstrait d'homosexualité
comme décrivant une orientation sexuelle (mais aussi sentimentale)
opposée à l'hétérosexualité. Le terme
d'homosexuel, d'homosexualité est un terme forgé à
la fin du XIXe siècle par un médecin autrichien.
Selon plusieurs sociologues, l'idée que les hommes et femmes
vivant dans une société peuvent être répartis
entre hétérosexuels et homosexuels est donc une invention
moderne.
L'idée qu'il s'agit là de deux orientations, identités
opposées, incompatibles l'une avec l'autre a été
d'ailleurs mise en question par les fameux rapports Kinsey des années
1950 selon lesquels 37 % de la population masculine américaine
avait eu au moins une expérience homosexuelle et que 4 % étaient
exclusivement homosexuels. Ces rapports mirent en question l'idée
de normalité sexuelle et suggèrent l'hypothèse
d'une homosexualité ou de bisexualité graduée.
L'opposition hétérosexuel - homosexuel est sans doute
trop simpliste.
A cela s'ajoute qu'il existe dans différentes civilisations
des pratiques sexuelles qui entrent difficilement dans l'opposition
moderne entre hétérosexuel et homosexuel. Ainsi O. Halperin
pose la question suivante : Est-ce que le « pédéraste
», c'est-à-dire l'adulte grec, marié, qui de temps
en temps va pénétrer un adolescent a la même sexualité
que le mâle indien américain appelé « berdache
» qui dès son adolescence a été élevé
comme une femme et qui a été marié à un
homme dans une cérémonie publique ? (Hundred years of
homosexuality, p. 46). Ou encore ce dernier a-t-il la même sexualité
qu'un guerrier d'une tribu de la Nouvelle Guinée qui, entre 8
et 15 ans, a quotidiennement des rapports sexuels avec d'autres adolescents
avant d'être marié et de devenir « hétérosexuel
» ?
Est-ce que ces cas correspondent à la définition moderne
d'un homosexuel ? Le contact et l'attirance vers des partenaires du
même sexe peut donc se manifester de manière fort différente
selon les conventions culturelles et religieuses en vigueur.
Si dans la suite de l'exposé j'utilise néanmoins le
terme d'homosexualité je le fais par commodité et faute
d'avoir à disposition une autre terminologie. Mais il ne faut
en aucun cas oublier que les hommes et les femmes du Proche Orient ancien
concevaient leur identité, et donc leur identité sexuelle,
autrement que nous le faisons aujourd'hui (...)
Que se passe-t-il alors au moment où le monothéisme
devient définitivement le facteur constitutif de l'identité
du judaïsme et aussi, si l'on peut dire, de « l'identité
» de Dieu ? L'élaboration d'une théologie basée
sur un Dieu transcendant pose bien sûr la question des médiations.
Et la place des médiateurs va être occupée par des
prêtres et des scribes qui se proposent de définir l'appartenance
à ce Dieu par règles de pureté.
Dans ce cadre, les lois touchant à la sexualité définissent
clairement l'hétérosexualité comme norme absolue.
Cette définition s'accompagne d'une méfiance, voire d'une
crainte vis-à-vis de la sexualité (cf. par contre la vision
de la sexualité dans le Cantique des Cantiques). La sexualité,
en effet, ne devient légitime que dans le cadre de la procréation
(Genèse 1) toute autre activité sexuelle devenant alors
condamnable. A partir de ce moment on commence également à
interdire la fréquentation des prostitués, ce qui était
tout à fait une pratique courante (cf. Genèse 39). C'est
dans ce contexte qu'il faut comprendre les lois du Lévitique
contre l'homosexualité laquelle, en Lévitique 20, est
même menacée de mort (il semble cependant que la peine
de mort dans ce contexte n'a jamais été appliquée).
Les lois du Lévitique veulent interdire l'homosexualité,
comme d'autres lois interdisent des relations sexuelles entre des couples
non mariés ; d'autres lois imposent des règles alimentaires
très strictes, d'autres encore légitiment l'esclavage.
Ceux qui veulent condamner l'homosexualité à l'aide
de Lévitique 18 et 20 devraient alors scrupuleusement respecter
toutes les autres lois énoncées dans le même livre.
Sodome et Gomorrhe tous des sodomites ?
Mais plus important dans l'histoire
de la condamnation de l'homosexualité dans la tradition judéo-chrétienne
fut l'histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe, histoire à
laquelle nous devons les noms de « sodomie » et «
sodomites ». Rappelons brièvement le passage qui nous concerne.
A la suite de ce forfait des habitants de Sodome, seul Lot et ses filles
seront sauvés et l'histoire se termine d'ailleurs par un récit
d'inceste. Les filles de Lot couchent avec leur père pour s'assurer
ainsi une descendance (à noter que l'auteur n'apporte aucun jugement
par rapport à cet épisode).
Les allusions à la destruction de Sodome et Gomorrhe en dehors
du premier livre de l'Ancien Testament font de ce récit l'épisode
le plus cité dans la Bible parmi les histoires de la Genèse.
Certains de ces textes font apparaître une expression stéréotypée
: comme le « renversement » de Sodome et Gomorrhe par Dieu
(toujours Elohim, jamais YHWH).
Il s'agit d'une tradition concernant un jugement divin aux premiers
jours, comparable au récit du Déluge (2 Pierre 2. 5-6,
comme beaucoup de textes juifs de la même époque, met les
deux histoires en relation). Genèse 19 est donc une mise en narration
de cette tradition d'une (première ?) destruction d'une ville
(d'une civilisation) par le feu (Déluge: par l'eau). L'originalité
de notre auteur est d'avoir mis cet événement en relation
avec le personnage de Lot - ce qui n'est nullement attesté dans
les autres références à Sodome et Gomorrhe dans
l'Ancien Testament. L'histoire en Genèse 19,1-11, concernant
Ia transgression du tabou de l'hospitalité, a un parallèle
très étroit dans l'Ancien Testament avec l'histoire du
Lévite d'Ephraïm : Juges 19,15-25.
On a la même structure, beaucoup de phrases sont identiques
; dans les deux cas l'hôte est un étranger parmi les habitants
de la ville. Il semble y avoir dépendance littéraire mais
il est difficile de trancher dans quel sens va la dépendance.
On pourrait avancer l'hypothèse que Genèse 19 est la base
pour Juges 19 ; l'auteur de Juges 19 aurait intégré ce
récit dans un épisode plus long (l'histoire du lévite,
ch. 19-20) pour montrer que l'époque des Juges se finissait en
décadence totale (« il n'y avait pas de roi... »)
et que le crime des habitants de Sodome avait été réitéré
par une tribu israélite (Benjamin).
Le récit de Genèse 19
Mais revenons aux versets cruciaux
de Genèse 19 à cause desquels on a condamné l'homosexualité
presque tout au long de l'histoire de l'Eglise et de la synagogue.
Notons au verset 4 :
- l'agression des habitants de Sodome se trouve en contraste total
avec le comportement de Lot et justifie dans la suite la destruction
de la ville,
- ce verset insiste d'abord sur le fait que tous les habitants de
Sodome participent à cette agression : les hommes de la ville,
les hommes de Sodome, de l'adolescent au vieillard, toute la population
jusqu'au dernier.
Cette insistance doit probablement être interprétée
dans le sens que même les futurs gendres de Lot sont parmi les
agresseurs.
La demande adressée à Lot : « Fais-les [les invités]
sortir pour que nous les connaissions » a fait fantasmer beaucoup
les commentateurs chrétiens et juifs qui ont souvent interprété
cette histoire sous l'angle du « péché abominable
de l'homosexualité » dont tous les Sodomites se seraient
rendus coupables.
Mais ce n'est guère, ou pas en premier lieu, la présumée
homosexualité des habitants de la ville qui va provoquer le jugement.
Notons d'abord des commentaires qui ont contesté toute connotation
sexuelle : on a remarqué que le mot yada (= connaître)
peut bien désigner des rapport sexuels, mais hétérosexuels
; pour les rapports homosexuels (Lévitique 18,22 ; 20,13) l'Ancien
Testament utilise shakan. Selon Bailey, yada pourrait en 19 5 simplement
signifier « faire connaissance avec ». Lot qui est expressément
appelé étranger par les habitants aurait outrepassé
ses droits en accueillant deux inconnus dont les intentions pouvaient
être hostiles et dont les identités n'avaient apparemment
pas été contrôlées. Cette explication donnerait
une raison suffisante à la demande : « Où sont les
hommes qui sont venus chez toi ? Fais-les sortir pour que nous puissions
voir qui ils sont ».
Si une telle interprétation pouvait à la limite encore
être défendue pour le seul verset 5, elle est exclue pour
la suite. La réaction de Lot montre bien que les hommes de Sodome
tentent une agression d'ordre sexuel, mais en même temps l'initiative
de Lot met quelque peu en question l'homosexualité des Sodomites
puisque Lot veut leur offrir ses filles en échange. D'ailleurs
il n'est logiquement guère concevable que tous les habitants
de Sodome (v. 4) soient des homosexuels. Ce qui est en jeu ici c'est
le viol, une sexualité sans relation qui réduit l'autre
à l'état d'objet pour satisfaire son propre désir.
D'ailleurs tous les autres textes de l'Ancien Testament qui parlent
du péché de Sodome ne mentionnent jamais l'homosexualité.
Par exemple Ezéchiel 16,49s : « Voici ce que fut la faute
de ta soeur Sodome : orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante...
»
Dans Jérémie 23, 14, il est question d'adultère,
fausseté, encouragement des malfaiteurs.
Le Siracide 16,8 parle simplement de l'orgueil.
Cette diversité dans la description du comportement de Sodome
montre que la tradition n'était pas fixée sur un péché
spécifique mais plutôt sur la destruction effrayante de
cette ville. Selon Genèse 19, le péché majeur de
Sodome est clairement une atteinte à l'hospitalité et
la violation, voire le viol des droits des étrangers - l'hospitalité
étant un des piliers de toute société dans le Proche
Orient ancien. Cette interprétation du péché majeur
de Sodome comme relevant de l'inhospitalité se retrouve dans
le Nouveau Testament lorsque Jésus discute le cas où ses
disciples seraient reçus avec hostilité :
« Mais dans quelque ville que vous entriez et où l'on
ne vous accueille pas, sortez sur les places et dites : même la
poussière qui s'est collée à nos pieds nous l'essuyons
pour vous la rendre...
Je vous déclare : ce jour-là Sodome sera traitée
avec moins de rigueur que cette ville-là » (Luc 10,10-12).
Nous n'allons pas traiter maintenant du comportement de Lot qui, pour
protéger ses invités, va jusqu'à offrir ses filles
; Lot se trouve dans un conflit de loyauté par rapport à
l'hospitalité. Notons juste l'ironie du récit : à
la fin ce sont les filles qui vont « abuser » de leur père.
Finalement il y a un « happy end » (au moins de cet épisode).
Les invités sauvent Lot qui a si vaillamment défendu l'hospitalité.
Donc le problème principal, c'est bien la transgression du devoir
d'hospitalité. Cependant cette transgression est décrite
en prêtant aux habitants de Sodome des tendances homosexuelles
agressives qui les mènent vers le viol. Il est difficile de dire
quels étaient les fantasmes de l'auteur qui nous a transmis ce
texte. L'idée de présenter toute une ville comme potentiellement
homosexuelle présuppose éventuellement la connaissance
d'une certaine civilisation grecque contre laquelle l'auteur prendrait
position. Mais cela est hautement spéculatif et dépend
de la datation très incertaine de Genèse 19.
Même si Genèse 19 ne met pas l'homosexualité au
premier plan, et c'est là peut-être l'ironie de l'histoire,
il n'est guère un seul traité de droit criminel, jusqu'à
la fin du XVIIIe siècle, qui ne rappelle en préambule
le récit de Genèse 19 afin de justifier la rigueur inouïe
des lois anti-homosexualité. Et il n'est guère (au moins
jusqu'à peu) de traité de morale religieuse qui ne fonde
sur la fable biblique l'énoncé mille fois répété
de l'interdit.
Mais face à Genèse 19, ou plutôt face à
une certaine interprétation de Genèse 19, se trouve dans
la Bible hébraïque une autre histoire où la relation
entre hommes apparaît dans une autre lumière. L'histoire
de David, Saül et Jonathan que j'aimerais brièvement présenter
en dernier point.
Saül, David et Jonathan, une histoire d'amour à trois
?
L'histoire de ces trois hommes se
trouve relatée entre 1 Samuel 13 et 2 Samuel 1. L'histoire raconte
l'amour entre Jonathan, fils de Saül et dauphin destiné
à succéder à la royauté de son père,
et David, originaire de la campagne et venu à la cour, consacré
par le prophète Samuel pour devenir le prochain roi sur Israël.
Jonathan devrait donc voir en David un concurrent mais, malgré
cette situation, ils vont vivre une relation qui a passablement troublé
les rabbins et les exégètes modernes. David et Jonathan
sont en effet le seul couple d'amis (ou d'amants) dont parle la Bible.
La plupart des commentaires « scientifiques » s'efforcent
en effet de démontrer que la liaison entre David et Jonathan
n'a absolument rien à voir avec une relation homosexuelle. Par
exemple, F. Stolz : « Ce texte ne doit pas être mal interprété.
Il n'a absolument rien à voir avec l'homosexualité qui
était en usage en Grèce, mais détestée et
condamnée en Israël. C'est tout simplement une histoire
d'amitié très forte entre deux hommes qui a duré
toute une vie. »
De même, Mme Sakenfeld : Quand l'histoire parle d'amour (ahab)
le terme est utilisé dans le sens de « loyauté ».
Lorsque Jonathan « aime » David, il lui signifie sa loyauté
et le narrateur veut ainsi démontrer que David est le roi légitime
reconnu même par la famille de Saül.
Un autre argument contre la lecture homosexuelle est avancé
par Georg Hentschel. Il écrit : « Il est connu que David
aimait les femmes jusqu'à son grand âge. A cause de son
attirance pour les femmes on ne peut pas interpréter sa relation
avec Jonathan comme une relation amoureuse. D'ailleurs l'homosexualité
était interdite en Israël. »
Face à cet argument, il faut dire trois choses :
- les textes du Lévitique qui interdisent l'homosexualité
viennent d'une époque tardive comme nous l'avons vu plus haut
; les histoires de David ont été rédigées
avant cette époque.
Et ce qu'on interdit ce sont des choses qui existent !
Le fait qu'un homme se marie n'exclut nullement la possibilité
qu'il ait des sentiments ou des relations homosexuels. Dans l'Antiquité
encore plus qu'aujourd'hui, il était socialement indispensable
qu'un homme soit marié. Il était tout simplement impensable
que quelqu'un de la position de Jonathan ou de David reste célibataire.
D'ailleurs les mariages étaient aussi contractés avec
des intentions diplomatiques et politiques (ce n'est pas par hasard
que David épouse entre autres la fille de Saül et Batshéba
issue de la noblesse cananéenne...).
Si on lit cette histoire de près on constate que certaines
scènes comportent clairement des allusions d'ordre érotique
ou sexuel. Certains exégètes l'ont vu, mais ont essayé
de l'expliquer par le fait que seul Jonathan avait des attirances homosexuelles
pour David. David aurait profité des sentiments de Jonathan pour
s'allier Jonathan contre Saül. Il est apparemment inadmissible
que David lui aussi ait pu avoir des sentiments d'amour vis-à-vis
de Jonathan.
Notons encore que les écrivains-romanciers qui « réinventent
» la biographie de David, contrairement aux exégètes,
pensent très souvent que David et Jonathan avaient une liaison
érotique (cf. en dernier lieu, Alan Massie, Les mémoires
de David).
Parcourons maintenant ce que le texte biblique nous dit: selon 1 Samuel
16, David arrive à la cour de Saül en tant que thérapeute
musical pour guérir les dépressions du roi Saül.
1 Samuel 16,21. David arriva auprès de Saül et se mit
à son service et Saül l'aima beaucoup et il devient son
écuyer (= porteur d'armes). Saül envoya dire à Jessé
: « Que David reste donc à mon service, car il a trouvé
grâce à mes yeux » (= il me plaît).
La position du porteur d'armes signifie dans le Proche orient ancien
une position de confident. La manière dont Saül exprime
son attachement à David est ambiguë : « aimer »,
« trouver grâce aux yeux de... » peut désigner
la faveur qu'un supérieur accorde à un inférieur,
mais peut également désigner une relation entre un homme
et sa femme : Deutéronome 24,1 : divorce si une femme ne trouve
plus grâce aux yeux de son mari ; Esther 5, 2 :le roi perse tombe
amoureux d'Esther.
Et en 1 Samuel 18,2, on lit : « Saül retint David et ne
le laissa pas retourner chez son père ». Cette expression
évoque la coutume selon laquelle les femmes, au moment du mariage,
quittent la maison de leur père (elles n'y retournent plus, sauf
en cas de veuvage ou de divorce : Lévitique 22, 13 ; Juges 19,2).
C'est dans ce même contexte qu'on parle pour la première
fois de la relation étroite entre David et Jonathan. Lorsque
David eut fini de parler à Saül la nefesh de Jonathan se
lia à la nefesh de David et il l'aima comme sa nefesh... Jonathan
conclut une alliance avec David, car il l'aimait comme sa propre nefesh.
Se pose d'abord le problème de la traduction de nefesh. Ce
mot signifie d'abord la gorge et à partir de cela les différentes
pulsions et désirs de l'existence humaine (en Genèse 34,3,
par exemple le désir sexuel).
Dans le Cantique des Cantiques 1,7, la femme appelle son amant : «
Celui que ma nefesh aime » ; de même en 3,1-4. Suite à
ces parallèles, on peut reconnaître un aspect érotique
dans l'amour de Jonathan pour David.
1 Samuel 18,3 est également ambigu : « Jonathan fit alliance
avec David ». Il peut bien sûr s'agir d'un pacte d'amitié
(mais nous n'avons de parallèle pour cela), mais berit peut dans
certains textes aussi désigner un contrat matrimonial (Proverbes
2,17 ; Malachie 2,11).
Notons qu'au verset 4, Jonathan enlève tous ses vêtements
et se met tout nu devant David. On peut y voir un simple geste symbolique
de soumission - Jonathan renonce à son statut royal -mais il
y a à mon avis ici de claires connotations érotiques.
On peut dès lors se demander si la jalousie de Saül concerne
exclusivement les exploits militaires de David, ou si la relation entre
David et Jonathan n'y est pas aussi pour quelque chose. Toujours est-il
que Saül cherche à tuer David.
1 Samuel 19,1 : Saül parla à son fils Jonathan et à
tous ses serviteurs de son projet de mettre à mort David. Or
Jonathan, fils de Saül, avait beaucoup d'affection pour David.
Le terme « avoir de l'affection » peut, en hébreu,
avoir des connotations sexuelles : par exemple en Genèse 34,
19, Sichem et Dinah Deutéronome 21,14 : si un homme n'éprouve
plus de désir pour son esclave-femme.
En 1 Samuel 19, c'est Mikal qui sauve David des projets de Saül,
mais en 1 Samuel 20, c'est Jonathan qui considère son amour pour
David plus important que la loyauté vis-à-vis de son père
(d'ailleurs le verset 3 montre clairement que Saül est au courant
de leur liaison).
Ensuite, David et Jonathan élaborent un plan grâce auquel
Jonathan peut avertir David des intentions de son père.
20,11. Dans ce contexte Jonathan dit à David : « Allons,
sortons à la campagne et tous deux sortirent ». Qui va
à la campagne ? Ceux qui veulent être seuls, notamment
les amoureux (Cf. le Cantique des Cantiques 7,12 : « Viens mon
chéri, sortons à la campagne »). Ce sont exactement
les mêmes termes qu'en 20, 11. A la campagne, les deux hommes
se disent au revoir. Notons encore que David ne sent apparemment pas
le besoin de dire au revoir à sa femme. En 20, 41 le texte dit
: Il Ils s'embrassèrent l'un et l'autre et ils pleurèrent
l'un sur l'autre.(Après, le texte est obscur : jusqu'à
ce que David eut rendu grand... ?).
Le même chapitre nous informe également que Saül
est au courant de leur relation.
20,30 : alors Saül s'enflamma contre Jonathan et il dit : «
Fils d'une dévoyée. Je sais bien que tu as une liaison
avec le fils de Jessé à ta honte et à la honte
de la nudité (du sexe) de ta mère ». L'accusation
de Saül implique apparemment qu'il est au courant d'une relation
érotique entre David et Jonathan. Jonathan qui est ici appelé
avec l'équivalent de « fils de pute » est censé
porter honte à sa mère.
L'amour de Jonathan pour David représente aux yeux de Saül
un tel scandale qu'il équivaut à un inceste avec sa mère
- la pire des insultes. Saül ne supporte absolument pas cette relation
entre David et Jonathan. Les deux doivent maintenant se séparer
pour la suite de l'histoire. David ne reverra plus Jonathan vivant et
lorsqu'il reçoit le message de la mort de Saül et de Jonathan,
David les pleure les appelant « les aimés et les chéris
» et plus spécifiquement Jonathan, disant ce célèbre
vers : « Que de peine j'ai pour toi, mon frère Jonathan,
toi tu étais mon grand désir; ton amour était pour
moi plus merveilleux que l'amour des femmes » (2 Samuel 1, 26).
Le terme « merveilleux » est utilisé en Proverbes
30, 18-19 pour décrire « le chemin de l'homme vers la femme
», c'est-à-dire l'acte sexuel.
La relation entre David et Jonathan se termine de manière tragique,
mais la complainte de David fait partie des plus belles poésies
de la Bible hébraïque.
Pour conclure
Contrairement aux interdits du Lévitique
et à l'histoire de Sodome et Gomorrhe, les livres de Samuel nous
relatent une histoire d'amour entre deux hommes, sans condamner cette
relation. Il se peut même que Saül aussi soit décrit
comme amoureux de David, comme l'est dans la tradition grecque l'éraste
(l'amant, le vieux) par rapport à l'éromène (l'aimé).
Nous ne savons pas si cette histoire est déjà influencée
par la culture hellénistique (la Palestine entre en contact avec
la culture grecque environ vers le VIlle siècle avant J.C.).
On peut sans doute observer de nombreux parallèles avec l'épopée
de Gilgamesh et voir en David et Jonathan la version hébraïque
de Gilgamesh et Enkidu (cf. le géant, la lamentation, etc.).
Evidemment, le texte ne dit jamais explicitement que David et Jonathan
ont couché ensemble. C'est pourquoi certains exégètes
laissent ouverte la question de savoir si David et Jonathan étaient
des homosexuels. Mais il y a beaucoup de mots à connotation érotique
qui parlent en faveur d'une relation homosexuelle entre Jonathan et
David.
Si cette interprétation est juste, cela ne signifie pas que
la Bible entière est prohomosexualité. Par contre, nous
voyons qu'à côté des interdits il y a de nombreux
textes bibliques qui mettent au premier plan l'amour: que ce soit l'amour
hétérosexuel comme dans le Cantique des Cantiques ou l'amour
homosexuel comme dans l'histoire de David et Jonathan.
Thomas
Römer
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