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articles du N° 160 - Novembre 2002

( sommaire )

Éditorial pour la Réformation

La Réforme du XVIe siècle n'a pas toujours été tolérante : anabaptistes, anti-trinitaires, « papistes » ont connu des persécutions de la part des « protestants ». Déjà au IVe siècle et dans les siècles suivants, les chrétiens (alors qu'ils venaient de subir trois siècles de persécutions plus ou moins violentes selon les périodes) sont devenus persécuteurs eux-mêmes. Entre eux !

Aujourd'hui l'Etat d'Israël après la Shoah d'Hitler contre les Juifs semble parfois vivre des inconséquences, aussi.

Mais la Réforme avec son affirmation de la liberté de conscience individuelle (qui avait été la raison principale de la rapidité de la diffusion du christianisme après Jésus de Nazareth) portait en germe l'esprit de tolérance et de respect de l'autre. La revendication de choix personnels conduit à l'acceptation des différences et au « libre examen » de la Renaissance. En France aujourd'hui toutes les conséquences n'en ont pas encore été tirées...

Le régime despotique de Louis XIV et le clergé de l'Eglise Catholique et ses privilèges considérables, ont retardé en France cette évolution qui s'est produite un siècle plus tôt en Angleterre (« habeas corpus » 1679), en Hollande et les Pays Germaniques et Nordiques. Les persécutions peuvent prendre des formes variées de violence. Le Révolte des Camisards (1702-1704) est une explosion populaire par suite de pressions terribles.Voici parmi les violences « douces » les contraintes exposées par Antoine Court (1695 Villeneuve de Berg – 1760 Lausanne) auxquelles furent exposées les familles protestantes durant plus d'un siècle jusque dans les années précédant la Révolution.

Ce texte du « réorganisateur » des « Eglises sous la croix » raconte les drames de conscience imposés par l'absolutisme royal et religieux. C'est un rappe1 déchirant à la tolérance. « Tolérance » est aujourd'hui un mot ambigu : « ne pas interdire ou exiger alors qu'on le pourrait », « supporter avec patience et bienveillance des personnes qui professent des idées contraires ». On connaît l'apostrophe de Rabaut St Etienne (fils du pasteur du désert Paul Rabaud) à l'assemblée Constituante (1789) où il était député de Nimes réclamant « non la tolérance, mais la liberté »...

L'Evangile que veut proclamer et vivre la Réforme, invite au respect de l'autre et à la reconnaissance de ses différences.

Christian Mazel

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Textes divers

Et je crois, oui !

Et je crois, oui, je crois qu'un jour, ton jour,

ô mon Dieu, je m'avancerai vers Toi,

Avec mes pas titubants,

Avec toutes mes larmes dans mes mains,

Et ce coeur merveilleux que Tu nous as donné,

Ce coeur trop grand pour nous puisqu'il est fait pour Toi.

Un jour je viendrai

Et Tu liras sur mon visage

Toute la détresse, tous les combats,

Tous les échecs des chemins de liberté,

Et Tu verras tout mon péché.

Mais je sais, ô mon Dieu, que ce n'est pas grave

le péché, quand on est devant Toi.

Car c'est devant les hommes que l'on est humilié.

Mais devant Toi, c'est merveilleux d'être si pauvre

Puisqu'on est tant aimé !

Un jour, ton jour, ô mon Dieu, je viendrai vers Toi.

Et dans la formidable explosion de ma résurrection,

Je saurai enfin que la tendresse, c'est Toi,

Que ma liberté, c'est encore Toi.

Je viendrai vers Toi, ô mon Dieu,

Et Tu me donneras ton visage.

Je viendrai vers Toi avec mon rêve le plus fou :

T'apporter le monde dans mes bras.

Je viendrai vers Toi, et je Te crierai à pleine voix

Toute la vérité de la vie sur la terre.

Je Te crierai mon cri qui vient du fond des âges :

Père !

J'ai tenté d'être un homme,

et je suis ton enfant !

Jacques Leclercq
« Le jour de l'homme »

Voilà le Saint-Esprit

Il est parent de toutes choses. Il souffle dans les bas-fonds où sévit la misère et console même de souffrir. Il souffle également sur les hauteurs où l'air est toujours pur et vif. Il n'a pas peur de marcher sur les routes inconnues, ces routes de l'avenir que nul pied n'a foulées encore, pleines d'émerveillements et d'épouvantements.

Il habite la piété des vieux souvenirs et l'indomptable poussée vers l'avenir. II n'exclut rien, ne méprise personne, ne connaît aucune crainte. Il est plus ancien que les traditions les plus vénérables, plus frais que le matin nouveau. Il ne se lassera jamais. Car sa flamme brillait avant que ne soit dit : « que Ia lumière soit », et elle demeurera lorsque chacun de nous et toute la création auront subi la loi des temps et des changements.

Charles Wagner

C'est à lui-même qu'il nuit celui qui travaille au malheur d'autrui. Une mauvaise intention fait surtout du mal à qui la nourrit.

Hésiode
Les Travaux et les Jours, vers 265-266

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Au début de l'année scolaire

Éduquer ou enseigner ?

L'enseignement pour les profs, l'éducation pour la famille. Et qu'on ne mélange pas tout ! On oppose fréquemment ce qui relève de l'instruction, de transmission des connaissances, à ce qui appartient à la socialisation de l'individu, sa formation humaine.

Le débat a été relancé ces dernières années avec l'introduction de l'Education Civique Juridique et Sociale (ECJS) dans toutes les classes de lycée. L'ECJS n'est pas un cours comme les autres qui donnerait lieu à une évaluation. Il doit plutôt inciter les élèves à réfléchir sur des thèmes de société, au moyen de débats argumentés sous la houlette d'un professeur. Il existe un programme construit autour de la notion de citoyenneté. Cela va des questions de la vie quotidienne (incivilités, violence, famille, respect...) aux questions plus vastes de société. Elles permettent d'aborder des thèmes délicats comme la législation sur l'avortement ou le débat sur la dépénalisation des drogues « douces »... On y aborde aussi les questions de citoyenneté européenne, les enjeux éthiques des nouvelles technologies, la dimension culturelle de l'Europe et ses conséquences. Enfin, ce cours est le lieu privilégié pour aborder les questions brûlantes d'actualité comme celle du 11 septembre l'an passé.

Les thèmes, on le voit, sont passionnants et l'enjeu essentiel. Pourtant les professeurs ne sont pas tous à l'aise avec cette « matière ». D'un côté ils sont en position d'animateurs de débats, de l'autre ils restent professeurs, adultes, et savent qu'ils se doivent d'une parole édifiante pour les élèves, d'une opinion sur laquelle ils puissent se construire. Cette opinion, ils n'en sont pas toujours sûrs, ils ne souhaitent pas toujours la partager estimant que ce n'est pas leur tâche. Mais le débat des élèves reste souvent médiocre dés que l'information est mal maîtrisée, peu approfondie. La séance laisse alors un sentiment de malaise qui conduit le professeur à se retrancher derrière sa position d'enseignant et à rejeter ces tâches éducatives trop délicates et pour lesquelles finalement il n'est pas préparé.

L'ECJS a relancé ce conflit instruction/éducation qui ne se limite pas à cette seule matière.

Éduquer pour enseigner

Cette opposition ne devrait plus être ainsi présentée. Aujourd'hui, la question n'est pas enseigner ou éduquer, mais éduquer pour enseigner. En tant que professeur, ce souci de la formation des jeunes je l'ai en permanence.

Cette mission n'est pas nouvelle, elle ne s'oppose pas à la famille, elle est indispensable dans la société médiatique actuelle.

La mission éducative de l'école n'est pas nouvelle. L'école de la République a toujours eu le souci de forger de bons citoyens et beaucoup doivent se souvenir des « sentences » morales inscrites au tableau chaque jour. Il m'est arrivé dans une classe de seconde, très agitée où les élèves ne semblaient absolument pas comprendre ce qu'ils faisaient là, de commencer mes cours en écrivant au tableau : « l'école est une chance, apprendre est un privilège ». C'est un outil dont j'use régulièrement quand je souhaite que les élèves s'imprègnent d'une idée ou du moins y réfléchissent.

La mission éducative de l'école ne concurrence pas l'autorité familiale, elle la soutient. Ce n'est pas parce que la famille est absente de ce terrain ou « démissionnaire » qu'il faut s'y positionner, mais d'abord pour la soutenir dans cette tâche et tenir avec elle le même discours. On sait combien il est bon pour les jeunes d'entendre de plusieurs sources différentes des idées communes. La position des adultes en est renforcée. Mais il arrive aussi que les parents ne soient plus présents sur ce terrain. L'autorité aujourd'hui est un art subtil qui associe négociation, dialogue et écoute. Le père n'est plus chef uniquement parce qu'il est père. Il lui faut gagner cette autorité qui se fonde principalement sur la confiance. Beaucoup de parents ne savent pas manipuler ces outils nouveaux, et le fossé se creuse avec leurs enfants. Ils finissent par se taire. L'école doit à fortiori prendre le relais éducatif. Un enfant qui n'a pas confiance dans les adultes, qui ne sait pas se soumettre, obéir, écouter, ne peut apprendre. L'autorité des adultes est trop mise à mal aujourd'hui. A la maison comme à l'école il faut la rétablir. Une autorité non pas fondée sur la force, mais enracinée dans la confiance.

Un comportement d'élève, une réflexion déplacée, un événement inattendu, tout peut donner lieu en classe à une formation, une explication sereine de ce que l'on attend les uns des autres. Il ne faut craindre ni la répétition, ni l'échec. Il nous faut seulement savoir que les élèves ont besoin d'entendre encore et toujours toutes les règles de vie qui leur permettront de grandir. Ils doivent savoir qu'ils ne sont pas encore adultes et que notre souhait le plus cher est qu'ils le deviennent.

La société médiatique actuelle nous oblige à accentuer cette éducation. Les valeurs sur lesquelles l'école s'appuie, celles dont l'enfant a besoin pour apprendre, sont à l'opposé de ce que la société médiatique transmet. Et le pouvoir des médias est colossal, nous le savons tous.

Ainsi, la pub affiche-t-elle sur les murs de la ville « Oui, c'est de la paresse, et alors ! » pendant que les professeurs essayent de parler d'efforts et de contraintes pour progresser. Pour réussir il faut être jeune beau et fort, mais du rôle des savoirs il n'est jamais question. La convoitise et l'individualisme sont les valeurs dominantes des nouvelles émissions grand public, tandis que vous essayer de susciter solidarité, partage, entraide et respect dans la classe. Les parents ont souvent le rôle du benêt ignorant auquel l'enfant tout puissant explique le mode d'emploi du dernier logiciel informatique... et vous, vous tentez de rétablir l'autorité des adultes. Les exemples sont légion qui doivent mobiliser les adultes à tenir un discours réaliste. Les médias trompent les jeunes. Nous nous devons d'une parole adulte, vivifiante, responsable, engagée.

L'école doit se remobiliser sur les tâches éducatives, mais l'instruction reste sa mission. Cependant apprendre exige une participation active de l'élève, faite d'efforts et de frustrations, faite de confiance aussi. Cela nécessite une certaine compréhension de notre société, du rôle de chacun et des enjeux de la formation. Ces présupposés ne sont pas acquis. Ils se construisent non seulement dans le cours d'ECJS, mais aussi dans le quotidien de l'école.

Armelle Nouis

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La rencontre de Jésus avec une femme au bord d'un puits, Évangile selon Jean, chapitre 4

Voilà un texte très connu et pourtant tissé de surprises, voire de malentendus, qui déroutent aussi bien les acteurs du récit que ses lecteurs. Ce genre de décalage est fréquent dans l'évangile de Jean. Certains considèrent même que les malentendus font partie de ses « stratégies narratives » (J. Zumstein). Ils auraient une visée pédagogique. En dérangeant les attentes habituel1es, ils invitent à cheminer vers une autre compréhension du texte et de soi.

Une marginale au bord de la margelle

« C'était environ la sixième heure » (v.6). Suivant le découpage de la journée, en vigueur à l'époque, la sixième heure correspond à midi. C'est pourquoi, dans cette région, on ne vient pas au puits au moment le plus chaud de la journée. On attend que la température baisse. Le puits devient alors un lieu de rencontre et de sociabilité. Premier étonnement : pourquoi cette femme vient-elle puiser sous le plomb de midi ? La suite le dira. Si elle agit ainsi c'est parce qu'elle est sûre de ne rencontrer personne, et le seul moyen d'éviter leurs quolibets et leurs regards méprisants. Midi c'est l'heure où seuls les marginaux sont au bord de la margelle pour y puiser leur part de l'eau qui désaltère. Sauf que ce jour-là il y a Jésus. Et à sa suite, le lecteur est invité à se rendre là où, parfois, il ne devrait pas être, c'est-à-dire à midi, au puits de Jacob, pour rencontrer au bord de la margelle ceux qui n'ont pas leur place parmi les gens bien, ceux qui sont condamnés à vivre sur les marges.

Un messie étonnant

Mais la demande de Jésus est également étonnante comme l'atteste la surprise de la femme.

« Comment toi qui est Juif oses-tu me demander à boire ? » (v.7) Son attitude peut susciter en effet un triple étonnement et pas seulement celui des disciples (v.31-33), D'ailleurs à cette époque, les Juifs ne devaient pas avoir de relations avec les Samaritains jugés impurs. De surcroît il n'était pas convenable pour un homme de s'entretenir seul à seul avec une femme en un lieu désert (surtout une femme peu recommandable). Enfin Jésus bouscule les images que l'on se faisait alors du Messie (v.25). Ce n'est pas ici un être puissant et supérieur, mais c'est un homme fatigué, affamé, assoiffé qui sollicite l'autre, qui se risque dans la rencontre de l'autre, ouvrant à une relation de réciprocité où chacun reçoit autant qu'il donne. C'est ainsi qu'il va faire une place à celle qui n'en avait pas. En somme Jésus est altéré, au double sens de ce mot, il a soif et devient autre. Autre que nous l'imaginions, Parole d'un Autre que nous-mêmes. (D. Vasse).

Un dialogue entre deux eaux

Dans ce passage tout va tourner autour de l'eau (v.10). L'eau fait partie de ces mots (comme pain, lumière, nuit, naître...) qui, chez Jean, se prêtent à plusieurs niveaux de lecture et peuvent donc susciter des malentendus.

Ici, de quelle eau s'agit-il ? De l'eau du baptême évoquée au début (v.1-2) ? De l'eau que la Samaritaine vient puiser et qui pourrait étancher la soif de Jésus ? De, l'« eau vive » que Jésus lui offre ? Se met alors en place un échange étonnant et lourd de quiproquos. La femme commence par se moquer de l'inconséquence des propos de Jésus. Mais peu à peu l'ironie va céder le pas à l'étonnement, à l'émotion contenue, puis à la reconnaissance. Car petit à petit Jésus la révèle à eIIe-même, elle prend conscience de ses illusions et de ses servitudes. Son passé est tourmenté, son présent épuisant, sa vie personnelle est un beau tumulte. Maintenant c'est elle qui chemine vers le Christ et qui lui réclame l'« eau vive » (v.15). Tour à tour méfiante et priante, la Samaritaine consent à se laisser entraîner dans l'espérance d'une vie heureuse et pleine.

Une vie reçue d'un Autre

Même si elle joue encore avec les mots cherchant une échappatoire, quand Jésus lui demande d'appeler son mari (v.l6) elle répond, littéralement, « je n'ai pas un mari » (v.4.17). En effet elle n'a pas un mari, puisqu'elle en a eu cinq ; elle n'en a pas un puisqu'elle en a cinq, le dernier n'étant pas à proprement parler son mari. Mais derrière cet humour, qui est souvent une manière de résister au malheur, la femme reconnaît que sa vie est un désert et qu'aucune eau ne parvient à étancher sa soif. C'est-à-dire ce désir d'être enfin reconnue et aimée, telle qu'elle est, durablement et fidèlement. Puiser l'épuise. Elle voudrait être maintenant « altérée », c'est-à-dire devenir autre, être changée par cette eau que Jésus promet et qu'elle attendait depuis longtemps. Il ne s'agit plus ici de l'eau illusoire et fuyante des oeuvres humaines, mais l'eau vive de la grâce que Dieu donne (les termes « don » et « donner » n'apparaissent pas moins de sept fois). Ainsi la foi est un chemin, une quête, une rencontre où l'on découvre que l'on reçoit sa vie d'un Autre que soi-même.

Une transmission qui peut surprendre

Sans cette parole d'amour qui 1'accepte telle qu'elle est, la femme aurait à retourner dans l'aridité, son existence. Mais maintenant parce qu'elle se sait reconnue, elle reconnaît en Jésus le Christ. Même si c'est encore de manière interrogative (v.29). Alors elle est repartie « abandonnant sa cruche » (v.28) car l'eau matérielle ne l'intéresse plus. Ce qui compte c'est de témoigner de sa rencontre avec Jésus. « Venez, voyez » dit-elle aux gens de sa ville. Et pour les convaincre elle raconte que Jésus a compris ce qu'était la réalité de son existence (v.29). Quoi qu'il lui en coûte, son témoignage passe désormais par le rappel public de sa mauvaise vie. Nul besoin de discours édifiants ou d'oeuvres exemplaires. Le lecteur découvre dans la fragilité de la Samaritaine, que la transmission de l'Evangile peut se produire au moment où on ne l'attend pas.

Ainsi, c'est parfois par les détours les plus secrets et les plus inattendus de la vie que peut se produire la rencontre avec la Parole qui ouvre à la « vie éternelle » (v.14) une vie nouvelle avec Dieu et avec les autres. « L'heure vient et maintenant elle est là » (v.23) dit Jésus. Cette heure c'est chaque jour. Cette heure c'est aujourd'hui. Cette heure c'est maintenant.

Michel Bertrand

Responsable de Théovie, Service de formation biblique et théologique à distance de l'Eglise réformée de France. Le service Théovie propose un module biblique « Douze rencontres avec Jésus » dans lequel on retrouvera « la rencontre de Jésus avec une femme au bord d'un puits ». Voir page d'information concernant ce service de formation biblique et théologique à distance mis en place par l'Eglise réformée de France.

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Le retour des fantômes, Halloween

En France depuis quelques années, les rues, les magasins, les maisons sont envahis par les fantômes, les citrouilles creuses, les têtes de morts et les déguisements macabres. Cette festivité sociale « bon enfant » nous vient des Etats-Unis.

Vient-elle ou revient-elle ?

L'origine de cette fête nous viendrait des antiques Celtes d'il y a 2.500 ans. Le dernier jour de l'année, le 31 octobre, a toujours été ressenti comme un passage, une coupure du temps, une fracture de la vie. C'est un évènement à la fois terrifiant et exaltant.

Les esprits s'invitent chez les humains et les puissances occultes font irruption. Les manifestations avaient pour intention d'apaiser, d'éloigner, de séduire ou de tromper ces mauvais esprits de la mort. Sont-ils malfai-sants ou bienfaisants ?

Les rites d'autrefois et les liesses populaires d'aujourd'hui tentent de conjurer les peurs de l'inconnu : avenir, mort, au-delà.

Au VIIIe siècle le pape Grégoire ler fixa au 1er novembre la fête de « tous les saints », « all hallow » en vieil anglais. Ces coutumes d'« All hallows'eve » (Halloween) passèrent par l'Ecosse et l'Irlande pour arriver avec les émigrants aux USA.

Faut-il déceler des remiscences de paganisme, de « christianisation ratée », d'invasion de l'aspect morbide et infernal de la société moderne ? Les sociologues et les théogiens s'y appliquent. L'anti-américanisme latent peut s'en emparer aussi.

C'est vrai qu'un vieux fond de paganisme sommeille dans nos sociétés et en nous... Et dans les enfants. La fête de « tous les saints » n'a-t-elle pas aussi une origine paienne ? La peinture de « christianisation » rapides rites ancestraux laisse entrevoir les vieilles coutumes antiques. C'est vrai que notre éthique chrétienne tend à être supplantée par des émotions folkloriques.

Pourtant l'humour et la dérision ne peuvent-elles pas être des remèdes contre les peurs tapies et des occasions de vivre ensemble la fête des enfants et des générations plus anciennes ?

Ces festivités, un peu étranges pour certains, ne sont-elles pas un appel à sortir des murailles de nos temples et de nos coutumes souvent « austères » pour témoigner au dehors du bonheur d'être chrétien dans une société en quête de repères, de raisons de vivre pour se réjouir

ensemble ?

Christian Mazel

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Le problème du mal

Quand on se met à réfléchir au sens profond des choses de la vie, il est impossible d'escamoter le lancinant problème du mal : mal physique, mal moral, chez l'homme, chez l'animal, dans la nature. Oui, il n'est pas nécessaire d'être un vieillard cacochyme pour vérifier le fait à ses propres dépens. Le mal est partout. Elle fait aussi bien réfléchir, cette déclaration d'un maître de la grande tradition initiatique : Omraam Mikhaël Aïvanhov : « Le mal est en nous. Le bien doit demander la permission pour entrer. »

Je découvre chaque jour, un peu plus, le génie destructeur du « Père du Mensonge » (Jn 8,44), toujours sur la brèche et passé maître dans l'art du déguisement.

Si l'on parcourt la Bible en quête d'une réponse à ce questionnement infernal (l'épithète est de circonstance), force est de constater qu'il nous reste en travers de la gorge une sorte d'arête en forme de point d'interrogation. La Bible baigne dans une vue pessimiste du temps présent et elle nous montre Satan comme le Prince de ce monde. Jésus ne nous fait-il pas demander au Père, dans la prière par excellence : « Délivre-nous du Tentateur » (Mt 6,13 et Lc 11,4). Sans doute, Satan sera-t-il détrôné et Jésus régnera à sa place. C'est ce que constate le Christ johannique : « Maintenant, le Prince de ce monde sera jeté bas. Et Moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tout à Moi » (Jn 12,31-32).

Mais Satan, pourquoi donc Satan, que diable !!!?

Si nous allions frapper à la porte des philosophes, peut-être notre questionnement intérieur y trouverait-il quelque apaisement ? Nous n'allons pas consulter tous les amis de la Sagesse mais seulement l'un d'entre eux qui est bien connu dans notre monde actuel : il s'agit de Paul Ricoeur.

Nous avons de ce grand penseur un écrit intitulé : « Le mal, un défi à la philosophie et à la théologie » 1 Il s'agit d'une conférence à la Faculté de Théologie de l'Université de Lausanne en 1985. Paul Ricoeur explicite le mot défi en disant en substance : un défi, c'est tour à tour un Echec pour des synthèses toujours prématurées et une Provocation à penser plus et autrement (p. 38). Il souligne que « le problème du mal n'est pas seulement un problème spéculatif ; il exige la convergence entre pensée, action (au sens moral et politique) et une transformation spirituelle des sentiments » (p. 38).

Pour Paul Ricoeur, une question se pose : « La Sagesse n'est-elle pas de reconnaître le caractère aporétique de la pensée sur le mal ? » (p. 38) - (Aporétique signifie : qui a le caractère d'une aporie, c'est-à-dire une contradiction insurmontable. On retrouve dans le mot aporie l'adjectif grec aporos (a-poros) qui veut dire : sans passage.)

La pensée sur le mal serait donc un chemin sans issue. Voilà donc un précieux avertissement pour tous ceux qui empruntent l'autoroute en... questions (notez bien l's ! car l'autoroute en question, c'est celle des questions !).

Mais la philosophie de Paul Ricoeur sur le problème du mal débouche sur un comportement humain tout à fait positif. Ecoutons-le encore : « C'est à cette aporie que l'action et la spiritualité sont appelées à donner, non une solution, mais une réponse destinée à rendre l'aporie productive, c'est-à-dire à continuer le travail de la pensée dans le registre de l'agir et du sentir. » (p. 39)

Voilà bien des paroles stimulantes pour nous empêcher de laisser tomber les bras quand la vie est trop lourde à porter. Et cela fait penser au dynamisme de René Char quand il déclare : « A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir ! ».

Bien sûr, méfions-nous d'un idéalisme excessif et gardons bien les pieds sur terre en veillant à assurer nos pas car le sol est glissant. Il est facile, en effet, de déclarer qu'il faut agir contre le mal quand la météo de la vie est au beau fixe, mais, quand le mal nous assaille, quand la douleur est lancinante, alors !? alors !? alors !?

Souvenons-nous des paroles de l'ancien archevêque de Paris : Monseigneur Veuillot, atteint d'un cancer du pancréas et qui disait : « La souffrance, j'en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de ne rien en dire tant qu'ils ne savent pas ce que c'est parce que, moi, j'en ai pleuré. »

Pour nous, chrétiens, Jésus est notre référence. Ses témoins les plus proches qui nous ont conservé son souvenir nous Le présentent comme Celui qui a révélé au monde que Dieu est Amour, mais ils nous disent aussi que la vie du Rabbi de Nazareth n'a pas été... un long fleuve tranquille. Jésus n'a pas philosophé sur le mal. Il a combattu le mal en faisant le bien. Alors, quand nous sommes dans le noir, quand notre corps souffre et que notre esprit a perdu ses références, quand notre âme « est triste à en mourir » (Mc 14,34), il peut être réconfortant de savoir qu'un autre a vécu tout cela et qu'il peut nous dire à juste titre Je te comprends.

Remercions l'évangéliste Luc de nous avoir gardé, parmi ses perles précieuses, cette parole en or de Jésus ; ce sont des mots qui viennent du coeur et qui nous vont aussi droit au coeur : « Ne crains point, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume. » Lc 12 32

Jean Ghisdal

(1) Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie. Genève. Labor et Fides, 1986

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Vocations

Lorsque dans une conversation, quelqu'un prononce le mot « vocation », la pensée se porte aussitôt sur les vocations religieuses et est certain qu'une vie entièrement consacrée à Dieu, avec toutes les conséquences de cet « appel » est tout d'abord justifiée. Mais il existe bien d'autres tendances profondes qui peuvent devenir très douloureuses par la privation des exercices adéquats.

Je crois, de plus en plus, que la grande affaire de chaque existence (chrétienne ou non) consiste à découvrir quelle est exactement notre place en ce monde. Elle peut être héréditaire ou indépendante de toute attache familiale. Je crois que chaque être révèle au cours de ses âges, des tendances tout à fait personnelles de sa nature profonde, en dépit même de l'histoire du temps dans lequel nous vivons. Et si nous voyons dans le monde tant de névroses, de mécontentements, voire même de révoltes et de violences, c'est parce que trop d'êtres humains passent à côté de leur vraie destinée. « Notre vraie vie est souvent celle que nous ne menons pas » a dit le paradoxal Oscar Wilde...

« Quand tout le monde sera bachelier, qui donc cirera mes bottes ? » disait un esthète du XVIIIe siècle qui n'avait évidemment pas reçu la vocation de les cirer lui-même.

Mais des vocations médicales, militaires, juridiques, politiques, sportives, de mathématiques et de marins se révèlent parfois de très bonne heure.

Que dire alors des vocations artistiques ! On ne parle même plus de celle de Mozart que tout le monde connaît mieux que l'alphabet. Dans notre siècle où la science est si, ce sont, comme dans l'antiquité, les oeuvres d'architecture, de sculpture, de peinture de poésie et de musique qui raconteront notre époque à nos descendants...

Jean Rostand, dont le père, la mère et le frère étaient poètes, imbrique si bien l'art et la science qu'il a pu écrire avec humour que la recherche scientifique est « la seule forme de poésie qui soit rétribuée par l'état ». Personne, en effet ne fut plus qualifié que lui pour savoir quel engagement profond, quelle somme de patience et de réflexion exige une carrière scientifique comme celle dite des « Lettres ».

Les 35 heures ? Mais les chercheurs et les artistes engagés travaillent jour et nuit. Leur vocation devient une obsession continue. Pour un artiste ou un chercheur, la « rêverie » est justement l'acte véritable de Création. Quand l'oeuvre a été longuement méditée, il ne reste plus qu'à la « faire » ! ce n'est pas rien, mais le contraire serait inconcevable : faire d'abord et y penser ensuite...

Seulement, pour se permettre de rester assis pendant une heure au moins devant une page blanche en attendant que le poème vienne s'y inscrire, il faut être sûr que cette patience vaille la peine.

Paul Valery a écrit des pages admirables sur les cadences qui occupent d'abord le cerveau du poète, puis les mots aux « couleurs » harmonisées qui s'assemblent comme d'elles-mêmes, les images, les rythmes et les sonorités qui reflètent justement le sens du sujet prévu et comment cela finit par s'intituler : la jeune Parque, les pas, le cimetière marin, les grenades, le rameur et palme ! Il n'y faut évidemment qu'un certain génie. Qui nous dira si notre oeuvre vaut la peine de lui consacrer tout ce temps d'inaction ? Si nous sommes croyants, nous posons nos questions à Dieu. Nos oreilles n'ont jamais entendu la voix divine. (Avons nous mal écouté ?) Et si notre coeur est capable d'humilité, celle-ci n'est peut-être qu'à la mesure de nos incapacités.

Il est normal aussi, dans une vie chrétienne, que nous soyons amenés à renoncer à toute ambition sociale, professionnelle (ces hochets de la vanité). Alors on se prend à rêver de la gloire du petit ânon dont un jour, le Seigneur eut besoin. Et l'on est bien dans la ligne de l'Evangile. Si nous risquons de nous tromper, nous pouvons aussi tout oser.

Geneviève Graves,
juin 2002

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Chambre à part

Ils ont décidé de faire chambre à part. Au début les enfants ont trouvé ça bizarre que leurs parents ne partagent plus la même chambre. Ils ont apprécié qu'à la maison les silences tendus ou les flèches verbales ne traversent plus l'appartement de façon inopinée !

Les enfants n'ont plus été pris à parti pour régler des tensions qui ne concernaient que le couple. Ils n'étaient plus pris comme messagers de ce que le couple n'arrivait plus à se dire entre eux. Les parents pouvaient assumer leurs responsabilités plus sereinement. On les a même vu s'autoriser des gestes de tendresse qui jusque là étaient perçus comme déplacés, inadéquats ou ridicules... Chambre à part. C'est la forme que ce couple a trouvé pour rester ensemble dans cette étape de leur relation.

En la matière il n'y a pas de modèles. Chacun essaie de décliner l'amour à sa façon avec le cortège connu : engagement, fidélité, confiance, projets, etc... Je me garderai de juger qui que ce soit. Vivre en couple est une aventure unique où les recettes et les conseils sont souvent inopportuns. Il revient à chaque couple d'oser sa façon d'aimer. Et les modèles, ceux de nos parents, ou ceux de nos amis dont vraiment on peut dire « alors ceux-là, c'est un vrai couple » ne nous aident pas toujours.

Pourquoi y aurait-il de « vrais » couples, et des faux ? Un couple vit-il « en vrai » parce qu'il est proche ou parce qu'il sait aussi vivre dans la distance ? Parce qu'il est fusionnel (« on est pareils et tellement proches ») ou parce que les conjoints peuvent dire « on est très différents » et vivre ensemble ? Parce qu'ils sont fidèles avec ou sans sexualité ou infidèles avec une sexualité commune ?

L'édifice conjugal peut paraître superbe et bien construit mais en fait ennuyeux et toujours au bord de l'écroulement. L'édifice peut paraître bancal ou fragile mais en fait vivant et confortable. Chacun construit son couple comme il peut, avec ce qu'il est et dans un ajustement permanent à ce que chacun des partenaires peut vivre et ressentir. Et ça n'est pas facile.

Les gestes et les mots sont autant de pierres bien ou mal ajustées pour bâtir cet édifice. Mieux vaut poser une pierre quitte parfois à la jeter, que laisser s'installer le désert. Mieux vaut se rencontrer et se confronter, quitte parfois à aller trop loin, que de laisser s'installer le silence gêné et le statu quo. Mieux vaut oser que renoncer. Mieux vaut vivre en chambre à part que mourir dans le silence d'une chambre commune !

Jean-Paul Sauzède

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Choix de livres

UN JESUS PLUSIEURS CHRIST (Essai sur les origines plurielles de la foi chrétienne), Grégory J. Riley, Ed. Labor et Fides, (Diffusion en France et Belgique SOFEDIS, Paris), 218 pages 15x22, 24 euros.

Pourquoi le christianisme s'est-il répandu avec un tel succès par les premières générations chrétiennes dans le monde romain ?

Pourquoi l'adoption rapide et contagieuse de cette foi ? Le professeur Riley (université de Californie) explique la diversité impressionnante de compréhensions de Jésus, prédication et vie, durant les deux premiers siècles de notre ère. Des figures différentes et parfois contradictoires sont présentées de Jésus. Dans la culture méditerranéenne ambiante marquée depuis huit siècles par la philosophie et les légendes grecques, les héros, mi-dieux, mi-hommes, jouent un rôle considérable. Cette mythologie riche de symboles psychologiques façonne une façon de penser et de croire. Jésus apparaît comme un nouveau type de héros, accessible à tous, permettant à chacun d'imiter cette dimension spirituelle et de prendre conscience de la valeur de chaque destinée humaine (quelle qu'elle soit) dans une société qui s'ouvre à l'avenir et à l'espérance. Excellente traduction de Jean-françois Rebeaud qui offre un texte clair et agréable pour tous.

Christian Mazel

EGLISE CATHOLIQUE ET TEMPLE MACONNIQUE (un autre regard), Hubert de Thier, Editions Dervy (Paris 75014) 251 pages 14x22, 100 FF.

Par la dizaine d'anathèmes pontificaux (de 1738 à 1884) et les attaques violentes de catholiques éminents, on sait les condamnations répétées de l'Eglise Romaine contre l'Ordre de la Franc-maçonnerie. Inscrit dans le Canon (1917) le rejet catégorique dure près de 150 ans. Pourtant le divorce entre l'Eglise Romaine et la F-M. n'est pas consommé au XVIIIe siècle. En tous temps beaucoup de prêtres, de religieux et de fidèles catholiques sont maçons. Dans ce livre l'auteur expose les idéaux et l'organisation de ce mouvement spirituel de solidarité, de travail intérieur personnel, d'échanges et de confiance. Le Temple est au milieu de la ville. Hubert de Thier donne les origines protestantes de l'Ordre. Son secret se justifie pleinement pour un catholique. Les détracteurs d'une conspiration (tel Barruel et tant d'autres) se trompent. L'enseignement du mépris, le poids des malentendus, l'interprétation des dogmes et de l'infaillibilité pontificale, le Dieu des F-M, le cléricalisme sont expliqués par l'auteur avec bienveillance et doigté. Une pacification « de fait » est entrée dans les attitudes réciproques de l'Eglise catholique et la F-M. La double appartenance est tout-à-fait possible. On appréciera la connaissance que l'auteur communique de la Belgique et du Nord de la France. Bonne bibliographie et chiffres sur la F-M. actuelle.

Christian Mazel

PETAIN ET LES FRANCAIS 1940-1951 Nicole Cointet, Perrin, 2002, 321 p.

Sous la plume d'une historienne professionnelle, l'analyse des millions de lettres ouvertes par la censure, et des rapports de synthèse mensuels qui s'en suivaient peu de surprises... Les piliers du régime sont moins solides qu'on ne l'a dit. La Légion des combattants ? elle est vite impopulaire. L'Eglise ? Elle « flaire » le revirement de l'opinion, en juillet-août 41, après l'attaque allemande en Russie et devient prudente. Un an plus tard, l'hostilité des ouvriers et intellectuels catholiques au STO, l'oblige à reculer de nouveau. Les femmes de prisonniers ? ce n'est pas un groupe de pression. En 41, en sus de la Russie, l'affaire de Syrie a porté un coup dur au régime dans les milieux cultivés. La presse ? Elle est inégale en efficacité. La radio ? Dès 41, 95 % des 5 millions de possesseurs de postes, écoutent Londres, sans compter Radio-Sottens (Suisse). Les voyages en Province ? Dès 41, ils ne sont pas, il s'en faut, une réussite totale ; et en 44, encore moins. Le rassemblement de l'Hôtel de Ville, à Paris est cinématographiquement truqué ! En 45, l'opinion penche pour la peine de mort à l'égard du maréchal. Ce qui veut dire que la bourgeoisie l'a lâché ; à Paris c'est fait depuis 41. Les ruraux aussi. A cause de la milice ? peut être.

Nous évoquons ici nos souvenirs de chef scout, en 53-54, en Savoie et dans les Vosges.

NB : les officiers de marine de retour de Toulon sont, en 42, sifflés en Bretagne.

Jean Georgelin

DES SAVANTS FACE A L'OCCULTE (1870-1914) Vincent Bensaïde, Christine Blondel Paris, la Découverte ; 2000 ; 222 p.

Les années 1930, E.Mounier, en accord avec P.Ricoeur ne cessa d'écrire que les chrétiens du 20e siècle devaient affronter trois défis : Marx, Nietzsche et Freud, lequel, on l'oublie trop, adhéra à la SPR de Londres (Société d'études psychiques). Si les chrétiens se montrent incapables d'endiguer cette marée de religions au rabais qui déferle sur l'Europe, ils n'auront plus qu'à mettre la clé sous la porte et l'auront bien mérité.Tout livre qui nous aide à maîtriser cette crise ne peut donc être que le bienvenu. Celui-ci, fort bien écrit, impartial, mérite le respect. Mais comment définir le sujet ? Où commencent, où finissent l'occultisme et le spiritisme ? L'essor de ce dernier en un siècle féru de science est, aussi, il est bon de le rappeler, un symbole de progrès. Par chance pour les spirites, la grande figure de C. Flammarion est à la jonction des deux, tout comme les Curie. Les auteurs ont bien vu l'intérêt pour les problèmes des militaires et des catholiques. (Marie Curie l'était). Complexe de culpabilité à l'égard des catholiques de gauche du 20e ? Peut-être... Hélas, les années 1925, c'est la rupture entre la science « officielle » et le métapsychisme. Quel gâchis... Alors que la SPR existe depuis 1882. Mais depuis 20 ans et plus le père Brune est là avec ses recherches sur l'au-delà. Alors espérons, contre les appareils ecclésiaux, aussi bien romains que réformés.

Jean Georgelin

ACTUALITE DE MARC Jean-Marc Babut, Editions du Cerf, 342 pages, 13.5x21.5,18 euros

Jean-Marc Babut a été un des traducteurs essentiels de la Bible dans la TOB et dans la Bible en Français courant. C'est un des meilleurs spécialistes de la traduction. L'Evangile de Marc est le plus ancien, le plus facile d'accès et le plus dépouillé des quatre textes canoniques. Jean-Marc Babut met à la portée du grand public un commentaire-méditation. Par une soixantaine de prédications, il expose l'actualité inattendue du message proclamé et vécu par Jésus tel que le présente Marc. Malgré les progrès des connaissances et des techniques les hommes cherchent leur salut dans l'avoir et le pouvoir.

Le Jésus de Marc apporte un autre message. Ces explications, simples brèves et documentées suivent les versets du livre et couvrent l'ensemble.

Christian Mazel

DIETRICH BONHOEFFER Henry Mottu, Editions du Cerf, 219 pages, 13.5x21.5, 19 euros

Le théologien résistant (1906-1945) contre le nazisme, pendu au camp de concentration de Flossenburg est une figure connue et appréciée. Dans ce livre, Henry Mottu, professeur à la Faculté de Théologie de Genève, donne de ce penseur croyant la biographie intellectuelle, les axes de son oeuvre, sa doctrine de l'Eglise, son anthropologie théologique, sa christologie et sa célèbre interprétation non-religieuse des affirmations de la Bible, pour un christianisme dans « un monde devenu adulte ». Une sélection de textes est proposée dans la 5e et dernière partie du livre. H.Mottu est le traducteur en français de beaucoup des ouvrages parus et connaît bien Bonhoeffer.

Christian Mazel

UN ITINERAIRE THEOLOGIQUE Bernard Reymond, sur la trace des théologies libérales. Un demi-siècle de rencontres, de lectures et de réflexions. ISBN 2-91087-47-9, 20 euros

Pour expliquer ses idées, orientations et convictions, le meilleur moyen consiste souvent à expliquer comment on y est parvenu. Plusieurs théologiens de tendance libérale ont écrit des autobiographies intellectuelles, où ils racontent l'histoire de leur pensée : ainsi Ernst Troeltsch, Albert Schweitzer, Wilfred Monod, Paul Tillich, pour n'en citer que quelques-uns. Dans son dernier livre Sur les traces des théologies libérales, Bernard Reymond retrace ses cinquante ans de réflexion théologique. Il est entré en 1952 à la Faculté de Théologie de Lausanne, a été pasteur à Paris et dans le canton de Vaud, exerçant son ministère en paroisse et dans des postes spécialisés (aumônier des étudiants), avant de devenir professeur de théologie. Il a exercé d'importantes responsabilités ecclésiastiques dans son pays et a eu de multiples engagements et contacts internationaux. A sa retraite, il a pris la direction du journal « Le Protestant », le frère suisse de notre « Évangile et Liberté ». Il est un des théologiens les plus connus et les plus écoutés du protestantisme libéral francophone, mais ses travaux, en particulier sur l'art, lui ont valu une audience qui dépasse largement les frontières linguistiques et confessionnelles. Il a beaucoup publié, et l'éditeur a eu la bonne idée de joindre en annexe l'impressionnante liste de ses écrits.

Un livre personnel

Ce livre m'a passionné, d'abord pour des raisons personnelles. J'ai exactement le même âge que Bernard Reymond, j'ai commencé mes études de théologie à Montpellier la même année que lui à Lausanne. J'ai vécu dans un monde théologique et ecclésial très proche du sien, même en tenant compte des différences entre la Suisse et la France (plus touchée par les guerres, en particulier, pour ma génération, celle d'Algérie).

Nous avons fait connaissance vers 1970, grâce à L. Gagnebin qui avait organisé une rencontre au Foyer de l'Ame, et sommes devenus de proches amis, échangeant constamment expériences et réflexions, collaborant dans des entreprises communes (comme la petite collection de livres Alethina), et passant souvent des vacances ensemble pour discuter, mais aussi pour nous promener et pour visiter sites et monuments. Nos épouses partagent et enrichissent ces rencontres.

Ce livre évite les confidences et anecdotes qui relèvent de la vie privée. Il est pourtant très personnel et fait sentir qu'un théologien est un homme vivant, concret, inséré son temps, marqué par des événements et des rencontres. Il ne manie pas des notions abstraites ni ne construit des architectures de concepts dans un monde d'idées sans rapport avec le concret. Il pense à partir et en fonction de ce qu'il vit. La dimension existentielle de la pensée apparaît pleinement, même si la validité de la pensée ne dépend pas de l'expérience vécue.

Un panorama théologique

L'intérêt de ce livre ne se limite pas au cercle de ceux qui ont des souvenirs communs, et il ne se borne pas à l'évocation de personnages qui nous ont marqués (Vidal, Lauriol, Ducros, Marchal, Malet, etc.)

De manière très vivante, avec une grande clarté, sans jamais tomber dans un jargon technique, il passe en revue les grands courants, les principaux thèmes, et beaucoup de figures importantes de la théologie protestante des cinquante dernières années. Il en fait vivre de l'intérieur les fièvres, les impasses, les avancées, et les recherches. Pour la connaître et la comprendre, ce livre est irremplaçable, même si on n'en partage pas les options.

Avec beaucoup de justesse, Reymond évalue l'apport de Vinet, de Sabatier, de Troeltsch, de Schweitzer, de Bultmann, de Tillich, des théologiens du Process, et, grâce à lui, point n'est besoin d'être un spécialiste ou un érudit pour s'y retrouver (ce qui n'empêche pas que spécialistes et érudits y apprendront beaucoup). Il nous fait entrer aussi, avec intelligence et bon sens, dans la vie des églises, et dans les problèmes des pasteurs et des paroisses aux prises avec le monde contemporain. On n'en finirait pas d'énumérer les sujets qu'il aborde et éclaire : oecuménisme, sciences, art, prédication, etc.

Reymond parle en témoin et acteur de ce qu'il raconte, non en observateur du dehors. Son regard n'est pas neutre, mais ne se laisse pas obscurcir ou aveugler par des préférences ou des aversions. L'introduction (intitulée « mise en route ») signale honnêtement la subjectivité de ses jugements. Il est vrai que ce livre exprime un point de vue, et que son regard n'embrasse pas tout. Mais cette subjectivité s'accompagne d'un effort constant de lucidité et du souci de rendre justice à tous y compris à ceux qui ont été ses adversaires, sans pour cela cacher ses désaccords.

Qu'est-ce qu'un libéral ?

Je souligne un autre intérêt de ce livre qui devrait toucher particulièrement (mais pas seulement) les lecteurs d'« Évangile et liberté ». Paradoxalement, quand on nous demande : « Qu'est-ce que le protestantisme libéral ? En quoi consiste la théologie libérale ? », nous sommes toujours un peu embarrassés pour répondre. Il y a tellement d'explications à donner, d'idées à développer, d'orientations à décrire. De plus, les libéraux sont et se veulent différents, ils refusent de se caractériser par des textes qui énuméreraient ce qu'ils pensent et croient. Ils tiennent aux démarches personnelles, et à des recherches toujours ouvertes. Pas facile de dire qui nous sommes.

Reymond ne décrit pas le libéral type (qui n'existe pas), mais il montre un exemple de ce que peut être un libéral. Plutôt que de proposer des considérations générales, il indique à propos de divers thèmes et de situations variées la démarche libérale (par exemple, l'attention qu'elle porte à la culture). Comme son récit fait mieux comprendre la théologie des cinquante dernières années qu'un manuel d'histoire des idées, de même la lecture de son livre éclaire plus l'esprit et les orientations du protestantisme libéral que n'importe quel manifeste (même s'il ne faut nullement mépriser et rejeter les déclarations de principes ou d'intentions).

Voilà donc un livre qui se lit facilement et apporte beaucoup, qui dresse avec talent et exactitude un tableau du christianisme et du protestantisme contemporains, et qui, de plus, nous aide à nous situer et à nous comprendre nous-mêmes. Puis-je souhaiter que tous les lecteurs d'Évangile et Liberté l'aient dans leur bibliothèque ? En tout cas, je voudrais bien les en convaincre.

André Gounelle

 

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