On parle beaucoup de l'Euthanasie.
Dans les années 60 c'était l'avortement qui faisait
la une des propos. Maintenant, il s'agit non pas d'une vie à
naître mais d'une vie à terminer. Un pays européen
vient de légiférer à ce sujet après avoir
pratiqué officieusement pendant quelques années, mais
avec la complicité des pouvoirs publics, l'euthanasie.
L'euthanasie, par définition, est le fait de «donner
une mort douce» Le suicide est le fait de «provoquer sa
mort» Entre ces deux termes qui aboutissent au même résultat,
la différence qui s'exprime est l'intervention d'un tiers dans
le premier cas, l'exécution personnelle, en dehors de toute
aide extérieure, dans le deuxième cas.Il est convenable
que le désir de mourir soit respecté. Le suicide est
un acte de courage dans une situation de désespoir. Il concerne
l'individu dans le cadre de son libre arbitre et il en est le seul
responsable. L'euthanasie est l'intervention d'un tiers qui, par son
autorité «technique», prend la place, dans la réalisation
de l'acte, de celui qui veut se suicider, c'est-à-dire mourir.
A priori, on ne peut donc comparer l'un avec l'autre.
Une troisième hypothèse est le «suicide assisté».
J'entends par là, la décision de mourir, possédant
encore toutes, ou presque, ses capacités physiques et intellectuelles
et demandant en pleine conscience l'intervention d'un tiers pour passer
à l'acte.
Laissons de côté le suicide qui ne concerne que l'individu
dans son intégrité et ne relève que de sa propre
décision sans faire appel à qui que ce soit. Pratiquer
l'euthanasie ou le suicide assisté demande l'intervention d'un
autre à qui l'on remet la réalisation de l'acte. Ce
n'est plus un acte solitaire mais une réalisation collective,
mettant en scène plusieurs intervenants.
C'est de ces "tiers" dont il faut parler car le discours
est alors trop facile si on les néglige !Donner la mort à-la
demande de l'autre soulève un grand nombre de problèmes.
Il y a, avant tout, l'attitude individuelle de chacun, d'entre nous
qui accepte ou refuse de participer à la mort de l'autre. Elle
doit et ne peut être que respectée.
Ceci étant, s'il n'y a pas d'interdit personnel à
transgresser, la demande est-elle justifiée ?
Cette question est logique puisque elle fait intervenir un tiers
qui va avoir à prendre une décision. On ne peut répondre
simplement à une telle exigence ! participer à la mort
n'est pas une petite affaire et exige un minimum de réflexion.
Si la réponse peut-être relativement aisée en
cas de souffrances insupportables, non maîtrisées par
la pharmacopée actuelle et dont l'avenir est au-dessus de toutes
ressources thérapeutiques, il faut néanmoins que l'expression
de cette douleur soit en quelque sorte ressentie par l'intervenant
et "qu'il la fasse sienne". Ressentir la douleur de l'autre
c'est l'intégrer en soi, non pas la douleur même mais
sa répercussion sur son ego. La douleur est-elle ou non supportable
pour soi et l'autre en sachant que, éventuellement, les produits
utilisés vont "déconnecter" le mourant et
l'entraîner vers une mort non ressentie comme telle. C'est une
attitude relativement fréquente.
Admettons que la demande soit perçue comme étant justifiée.
Il faut envisager le passage à l'acte. Faut-il le faire seul
ou dans le cadre d'un accord avec le demandeur de sa famille ? il
me semble impossible de prendre sur soi une telle décision.
Soit la demande est clairement exprimée, à plusieurs
reprises par celui qui veut mourir et un certain délai de réflexion
montre que effectivement la situation s'aggrave et devient incontrôlable
; la famille fait votre siège pour que vous interveniez. Mais
alors n'y a-t-il pas par derrière des intérêts
cachés ? n'y a-t-il pas une demande "de liquider"
une situation devenue difficile voire impossible à vivre ?
De toutes façons il faut que la famille exprime une intention
car, si ce n'est pas le cas, dans l'état actuel de la législation,
la moindre plainte déposée devient mise en accusation
d'avoir tué et le geste réalisé devient un meurtre,
un crime ce qui n'est pas totalement faux.
Certains considèrent que la mort et les moments qui la précèdent
sont source de révélations qui vont faire en sorte que
le mourant trouvera dans ce passage une exaltation bénéfique
et qu'il n'est pas acceptable de laisser passer cette possibilité
! Cette attitude égoïste mais basée sur une foi
du "tu ne tueras pas" et d'une "souffrance salvatrice"
doit être admise...
Admettons que le désir de chacun n'est pas formulé
de façon certaine et qu'un doute persiste sur la volonté
exprimée de hâter le décès. "L'exécuteur"
se retrouve seul. C'est en son for intérieur qu'il doit trouver
la solution pour guider son attitude et en prendre la pleine et entière
responsabilité. C'est dans le secret de ce qu'il ressent et
dans le secret de son action qu'il pourra éventuellement agir.
Mais il le fera à ses risques et périls !
Donc, s'il y a demande expressemet réitérée
de la part du mourant, un accord, voire une demande des proches, le
sentiment que la situation est hors de tout espoir d'améliorations,
il est envisageable d'intervenir.
Comment passer à l'acte ? Cela doit-il être brutal,
en quelques secondes ? ou faut-il laisser le temps de la mort s'approcher
en accélérant sa survenue, certes, mais en respectant
une certaine prise de conscience, un accompagnement des êtres
aimés ? faut-il mourir dans la brutalité aveugle d'une
chimie injectée ou faut-il qu'il y ait un processus rapidement
progressif qui laisse à celui qui part le temps de quitter
ce monde "en connaissance de cause". Comment répondre
? C'est ].a sensibilité de l'acteur et de ce qu'il sait de
l'autre qui va décider s'il devient bourreau ou accompagnateur.
L'euthanasie ou le suicide assisté ne peuvent se concevoir
que dans la lucidité du mourant, des accompagnateurs et de
l'exécuteur. De quel droit, sous prétexte que les ponts
sont coupés avec un vieillard en proie à une démence
sénile, qui que ce soit s'accorderait le droit de le supprimer
? Ceci est intolérable et ne peut être envisagé
car c'est la porte ouverte à tous les excès et les crimes
que nous avons connus dans l'histoire.
Depuis que la médecine s'est développée dans
la réanimation une certaine tendance à l'acharnement
thérapeutique a vu le jour dans les années passées.
Cet acharnement, il faut bien le dire, a souvent été
source de découvertes ou de protocoles qui ont permis de sauver
des vies sans pour autant les transformer en "plante verte".
Mais il est vrai aussi que certains cas se sont révélés
inhumains quant à leur pratique et leur résultat. C'est
alors affaire d'homme.
Les soins palliatifs, domaine dans lequel la France a pris un énorme
retard de mise en application par rapport aux pays anglo-saxons, se
sont enfin imposés. Ils font néanmoins l'objet de discussions
concernant les moyens utilisés et la morphine ou ses dérivés
sont encore, parfois, décrétés "dangereux".
Pour qui ? pour celui ou celle qui va mourir de toutes façons
? Notre vieux fond judéo-chrétien et l'aberration de
la souffrance salvatrice persistent encore dans certains centres hospitaliers
ou chez certains médecins. Mais là encore il s'agit
d'une affaire d'homme.
Alors ? euthanasie ? oui s'il s'agit d'un acte concerté,
pris en toute connaissance de cause avec le mourant et l'entourage
et réalisé dans le cadre d'un accompagnement. Non s'il
s'agit d'une décision arbitraire de "l'exécuteur"
qui n'a aucun droit pour être porteur de mort alors que par
définition il est là pour assurer la vie.
Suicide assisté ? Non. Arthur Koestler qui a fondé
cette association appelée EXIT soutenait son action en disant
que l'homme avait besoin d'aide pour naître et donc il était
normal qu'il reçoive de l'aide pour mourir. Il s'est librement
suicidé, accompagné de son épouse. Je respecte
entièrement sa décision mais, à ma connaissance,
il n'a pas fait appel à un tiers pour passer à l'acte.
EXIT donne des recettes, des façons de faire mais je ne crois
pas que ses adhérents participent de façon active à
l'aide à la mort. Il en est de même pour l'association
au Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD). Nous ne sommes pas
des exécuteurs, encore moins des bourreaux. A chacun de prendre
ses responsabilités. Alors en définitive faut-il légiférer
? Oui mais avec une extrême prudence en mettant des garde-fous
impératifs et exigeants. Mais on a vu avec la Loi WEILL concernant
l'avortement que ceux-ci n'étaient pas respectés.Non
car cela laisse une porte entrouverte vers de possibles excès.
Alors que faire ? se taire et que la mort se passe dans le secret
de l'échange entre celui qui veut partir et celui qui pourra
l'aider.? Pourquoi pas ?
Il faut trouver un biais qui accepte cette situation ; une tolérance.
Mais, pour être reconnue, celle-ci doit passer par la loi !
Alors ? La Hollande a-t-elle raison ? On peut le penser.
Philippe
Enge
haut
La portée de l'euthnasie volontaire et la loi aux pays-bas
par Robert
Hensen
"C'est également chrétien,
me semble-t-il, de ne pas vouloir qu'on fasse des dépenses
énormes pour prolonger une vie qui en fait est déjà
vécue. En 1949, j'ai assisté le professeur Lambert van
Holk (théologien libéral à Leiden) a réunir
des faits divers pour ses cours Délibérations Morales.
A ce temps là, j'ai entendu pour la première fois un
de ses arguments pour l'euthanasie soulignant l'extravagance des frais
pour prolonger une vie atteinte de sénilité ou accrochée
aux appareils. En fait, Etienne Rioux et Lambert van Holk renvoient
à une solidarité entre les générations,
fruit d'une sagesse de pouvoir faire la place aux autres. On n'est
pas loin du mot de Paul, nul de nous ne vit pour lui-même, nul
ne meurt pour lui-même. Cet acte de faire la place est loin,
vraiment , du commentaire éditorial (Le Monde, 13 Avril, p.16)
où l'utilitarisme a été suggéré
comme fonds de l'euthanasie : "le message implicitement utilisé
par l'ensemble marchand. Au contraire, dans les mots ci-dessus mentionnes
s'exprime une dimension trop négligée dans le monde
actuel. Savoir qu'il y aura un soir après lequel un autre jour
de souffrance est indésirable, savoir qu'il y a un moment où
on peut déposer le fardeau. Pourquoi accepter une prolongation
de la vie dans le ghetto de l'assistance médicale ? Certainement
c'est un objet de notre fierté d'avoir une batterie des techniques
et des découvertes qui reculent les bornes de nos possibilités.
Mais ce ghetto est aussi signe de notre identification minimale avec
les patients (nous veut dire la société en général).
Et là, dans ce ghetto, la priorité est toujours donnée
aux jugements des médecins, chacun dans sa spécialité,
pas au voeu de l'individu qui ne veut pas continuer sa vie. Il y a
des exceptions, mais en général le patient n'a pas le
dernier mot à dire. La décision du médecin n'est
pas qu'une constatation scientifique. Elle est impliquée dans
un jugement de valeur et c'est là que le bât blesse.
Le refus de l'euthanasie s'accompagne d'un plaidoyer pour des soins
palliatifs. Hélas, la contrainte budgétaire restera
un obstacle insurmontable, en France, aux Pays-Bas et ailleurs...
De plus, un traitement antidouleur n'est pas toujours une réponse
adéquate au désir profond d'un malade.
Parce que l'état d'urgence est devenu un problème
structurel, le code pénal néerlandais a été
changé et certains actes médicaux sont maintenant à
l'abri d'une poursuite judiciaire, sous des réserves très
strictes. A cause d'une situation structurelle l'officialisation était
nécessaire. Le juge ne peut pas adapter et changer les règles
parce qu'il n'est pas élu en vertu d'un vote démocratique.
Le législateur doit agir et pour lui, il s'agit de la recherche
d'un compromis entre une action en justice et l'impunité. Le
problème est le principe du " ne tenetur"' : personne
n'est obligé de contribuer à sa propre peine. Néanmoins,
l'exercice de balancement fait par la législation néerlandaise
n'exclut pas une poursuite d"un médecin,, qui fait mention
d'un acte d'euthanasie. Nul n'est définitivement à l'abri
de la justice et c'est pourquoi une démythification des critiques
à l'étranger est nécessaire.
L'élargissement de la loi aux Pays-Bas suscite un problème
encore plus important et va au-delà des délibérations
médicales, au-delà d'un certain déséquilibre
entre le jugement du médecin et le jugement de valeur d'un
individu qui est en train de subir le démantèlement
de son corps et (ou) de son esprit et veut mourir en dignité.
Les mandements de la loi visent les médecins. Mais ensuite
se pose le problème d'une aide active à mourir par l'intervention
d'une personne hors de la profession médicale, par un proche
à la demande explicite du patient. Qui tient bon dans la démolition
de son corps fait preuve de force d'âme autant qu'un individu
qui veut décider de son propre sort. L'un et l'autre sont les
expressions d'une autodétermination.
Robert
Hensen
haut
Les drames des personnes âgées
par Jean-Louis
Richard
Ce que je voudrais ici c'est entamer
la réflexion sous un autre aspect, bien évidemment inséparable
pour nous de toute "lecture" biblique : celui de la société
sécularisée dans laquelle nous vivons. Le thème
y a été beaucoup abordé ces dernières
semaines dans les médias. Avant même la récente
législation des Pays-Bas, "Le Monde des Livres" avait
rendu compte en janvier dernier de l'excellent livre de Catherine
LEGUAY "Mourir dans la Dignité" (Ed. R. Laffont),
livre qui constitue l'exposé de faits sociaux, dépassionné
par rapport aux excès soulevés parfois par le terme
"euthanasie" dont on oublie trop facilement le sens "accorder
une mort douce".
Il est un fait dans notre société, trop souvent occulté
: le nombre important de suicides de personnes âgées,
qui ne sont pas encore grabataires, ni même trop fortement diminuées
physiquement et psychiquement, et qui choisissent, comme les stoïciens
d'autrefois, de "tirer leur révérence" dignement
quand elles estiment en conscience que le bilan devient trop négatif
entre ce en quoi elles peuvent encore peut-être un peu être
utiles, et ce en quoi elles sont manifestement de plus en plus une
lourde charge, matérielle et affective, pour leurs proches,
la société... et ... elles-mêmes.
Là encore, qui n'a pas connu dans son propre entourage et,
pour nous pasteurs, dans notre ministère ? (Quant à
moi, c'était il y a bien des années, et je mesure maintenant
combien, étant jeune alors, j'étais loin de comprendre
ce qui se passait).
Du point de vue social - et par conséquent je pense qu'il
faut dire, au bon sens du terme, politique - ce que je souhaite donc
et réclame c'est selon les fondements même de notre démocratie
républicaine :
LIBERTÉ... qui doit pouvoir être celle de tous les
êtres humains" qui naissent libres et égaux en droits"...
de "décider en conscience des modalités et du moment
de leur mort"... les moins dommageables pour eux et pour leur
entourage.
EGALITÉ... On sait que certains ont trouvé la liberté
d'exercer ce choix, et le choix des moyens pour une mort digne et
douce. Catherine Laguay dans son livre donne des exemples de gens
connus, qui ont eu le privilège d'avoir parmi leurs proches
médecin ou pharmacien fraternellement et humainement compréhensifs
et ayant la possibilité" d'en dégager et d'en fournir
les moyens adéquats. Où est l'égalité
pour ceux qui n'ont d'autres ressources que les moyens , sauvages"
et brutaux à leur portée ? - pendaison, noyade défenestration
, s'ouvrir les veines, armes à feu, sac de plastique (Bruno
Bettesleim, Bernard Buffet) plantes vénéneuses, accident
volontaire, etc... avant leur cortège de souffrances inconnaissables,
pour eux et leur proches.
FRATERNITÉ ... Il est brutal de dire que c'est un des plus
grands déficits de notre société (sans parler
parfois des Églises ... ). La législation actuelle qualifie
de crise (passible des assises) lassistance au suicide"
alors que les exemples cités par Catherine Leguay montrent
qu'il s'agit de compassion fraternelle (ou filiale, ou dans le couple
... ) Dans notre État, dit laïc, les Eglises, ou toute
association "dans le cadre de la loi" sont libres de prêcher
et enseigner à leurs adhérents telles doctrines ou prescriptions
orales, et d'établir les moyens qu'elles jugent disciplinairement
utiles pour les faire respecter par ces adhérents, mais aucune
n'est en droit d'imposer ses propres positions à l'ensemble
des citoyens et habitants du pays . Cela s'est vu et se voit encore,
et pas seulement de la part du catholicisme. Maintenir cette façon
de vouloir imposer en toutes choses sa morale à l'ensemble
de la société ce serait justifier tous les extrémistes,
dont les islamistes...
Jean-Louis
Richard
Evangile et Liberté n° l45