Archives
Image et sacrement
Sommairement dit, on ne cesse
de prétendre que la Réforme aurait fait prévaloir
une religion de louïe sur celle de la vue. Cest vrai
de sa doctrine et de sa pratique des sacrements: là où
la piété populaire médiévale en était
venue, souvent sous la pression du clergé, à sintéresser
essentiellement, à propos du baptême, aux rituels dexorcisme
accompagnés de paroles en latin et de toute une gestique qui
en concrétisaient ladministration, ou à propos
de la messe, à valoriser avant tout le moment de lélévation,
qui donnait quelque chose à voir bien plutôt quà
entendre ou à comprendre, les réformateurs ont insisté
sur la nécessité de toujours accompagner laspersion
deau ou la distribution du pain et du vin des paroles sans lesquelles
elles nauraient plus ni sens ni raison dêtre. Une
des caractéristiques majeures des premières liturgies
réformées pour la célébration du baptême
ou de la cène est à cet égard labondance
des explications et des exhortations très claires, en langue
accessible à tous, quelles mettaient dans la bouche des
pasteurs.
- Réformes du visible
- Regarder mais quoi ?
- Les gens qui sont là
- Images et paroles
Réformes du visible
Le visible, limagier, seraient-ils alors de trop? Les réformés
des XVIIIe et XIXe siècle semblent navoir parfois pas
été très loin de le penser. Dans son célèbre
catéchisme de 1702, qui a profondément influencé
la catéchèse et la piété de toute la
francophonie protestante jusque très avant dans le XIXe siècle,
le pasteur neuchâtelois Jean-Frédéric Ostervald
nallait peut-être pas jusquà sexcuser
de prôner encore la célébration du baptême
et de la cène, mais il se montrait incapable de rendre compte
de leur visibilité. Son seul argument pour justifier leur
célébration était quils avaient été
institués, donc ordonnés par le Christ, que cet ordre
était certainement pour notre bien et quil fallait
y faire droit. Ensuite, en plein climat de polémique interconfessionnelle,
les réformés latins se sont ingéniés
à transformer en argument lantagonisme entre lexcès
de visibilité, donc aussi dextériorité
qui, selon eux, caractérisait la pratique catholique, et
lintériorité, donc un certain refus du visible,
dans lesquels ils nhésitaient pas à voir la
supériorité spirituelle du protestantisme.
Cétait oublier que, même passé sous
silence, le visible est toujours là, et que le fait même
de parler engendre des images. Ou encore, et cest plus grave,
que la piété chrétienne se donne à voir
par le fait même quelle existe et que, dans ses moments
cultuels, elle se concrétise en cérémonies
qui constituent autant dimages susceptibles de contredire
ou daltérer le sens des paroles, donc des discours
auxquels en théorie elle accorde la priorité.
Les réformés du XVIe siècle, en étaient
si conscients que, contrairement à lindifférence
envers le visible qui par la suite na cessé de gagner
du terrain dans leurs rangs, leur réforme théologique
fondamentale touchant les sacrements sest accompagnée
dune réforme non moins cardinale de la manière
de les célébrer, comme dailleurs de concevoir
lensemble du culte. Ce que lon en voit, donc les images
que lon en conserve dans lesprit, est en effet déterminant
dans le souvenir et la compréhension que lon en a.
Regarder, mais quoi?
Mais de quoi les sacrements sont-ils limage? Gardons-nous,
ici, de trop accentuer la distinction, pourtant classique, entre
signifiant et signifié, faute de quoi le signifiant en devient
vite superflu. Quy a-t-il en effet à voir dans les
sacrements? Tenons-nous-en aux deux seules cérémonies
que les protestants considèrent comme des «sacrements»
un terme toujours sujet à caution parmi eux. La réponse
qui semble simposer est: de leau, du pain, du vin.
En fait, ce nest pas aussi simple. Dabord du point
de vue de ces éléments eux-mêmes. Les premiers
chrétiens symbolisaient le baptême par un poisson,
ce qui était une manière dinsister sur le fait
que leau en question est une eau vive et qui donne la vie
et comme le poisson (ichthus) était en même
temps lacrostiche de «Jésus Christ Fils de Dieu
Sauveur», elle était une eau qui trempait en Christ
ou aspergeait de sa présence. Quant au pain et au vin, lune
des mosaïques de Ravenne les remplace, dans une représentation
de la dernière cène, par un poisson servi sur un plat
à des convives couchés à la romaine. Nous pourrions
multiplier les renvois de cet ordre.
Ensuite du fait de linsuffisance de ces images-là:
elles retiennent lattention sur un élément seulement
de ce qui est à voir dans une célébration du
baptême ou de la cène, comme si tout était dans
leau, ou dans le pain, ou dans le vin vision un peu
fétichiste.
Les gens qui sont là
Avant tout, il y a là des gens une communauté,
plus ou moins occasionnelle, rassemblée pour le culte. Le
théologien allemand Rainer Volp pose quasiment en axiome
que le symbole essentiel du culte, ce sont précisément
les fidèles qui y participent. Cest très bien
vu. Suivant qui participe au culte en question, il est vrai que
limage peut savérer fort perturbante. Mais cest
justement son mérite et son utilité: baptême
ou cène ont partie étroitement liée avec ce
que nous sommes, avec celles et ceux dont, bon an mal an, nous ne
pouvons éviter dêtre solidaires. Si le baptême
et la cène ne sont pas aussi pour eux, sils ne les
incluent pas, ces cérémonies perdent leur raison dêtre.
Et puis baptême ou cène ne se célèbrent
pas nimporte où, ni nimporte comment (du moins
on lespère!), mais au coeur dune assemblée
dont la composition peut justement savérer parfois
fort déconcertante. Sur ce point, la Réforme ny
est pas allée de main morte. Les fonts baptismaux ont été
soit transférés de lentrée des églises
au centre de lespace occupé par les fidèles,
soit supprimés pour être remplacés par une aiguière
permettant une célébration située elle aussi
au centre de cet espace, au vu et au su de toutes les personnes
participant au culte dominical. Le baptême nétait
donc plus tellement un rituel dagrégation à
quelque corps mythique symbolisé par le bâtiment-église,
mais bien plutôt un acte dattestation engageant toute
la communauté chrétienne ou une prière que
cette communauté adresse pour lui à Dieu.
Quant aux autels dont les fidèles ne pouvaient jamais sapprocher
complètement, ils ont été carrément
supprimés pour faire place à des tables, généralement
de bois, ou alors en pierre mais dune forme qui ne permettait
aucune confusion avec un autel, situées au centre de lassemblée
et à son niveau. Nous ne saurons probablement jamais pourquoi,
dans les pays latins, la réforme des usages liturgiques nest
jamais allée aussi loin, à cet égard, quen
Hollande ou en Écosse, mais nous pouvons tenir pour particulièrement
impressive limage que les réformés hollandais
ou écossais donnent de la cène quand ils y participent
en sasseyant à une table dressée au centre de
leurs temples. Limage dun repas, tout symbolique il
est vrai, partagé dans la communion du Christ ressuscité
sest substituée à celle du sacrifice expiatoire
dont la célébration de la messe symbolisait la réitération
symbolique et sacerdotale.
Images et paroles
Des paroles sont toujours nécessaires. Sans elles, les
cérémonies ecclésiastiques prêteraient
vite à malentendus. Mais prenons garde: les images peuvent
cruellement contredire les paroles prononcées ou les rendre
incompréhensibles. Dans la célébration dun
sacrement, ce qui se passe et que lon voit parle souvent beaucoup
plus fort que bon nombre de protestants ne veulent bien ladmettre.
Les premières liturgies réformées ont fait
un mauvais calcul en tentant de corriger leffet de ce que
lon voyait par labondance des discours explicatifs accompagnant
la célébration du baptême ou de la cène.
À la limite, les paroles devraient presque être de
trop, car ici ce ne sont plus les paroles qui expliquent ce qui
se passe ou ce qui se voit, mais les images de ce qui se passe et
se voit qui expliquent les paroles, ou du moins permettent den
percevoir le sens et la portée.
Par le fait même de leur célébration, baptême
et cène font image. Cest aussi pourquoi le culte na
pas besoin dautres images sauf celle de ces femmes
et de ces hommes de tous âges qui, justement, se rassemblent
pour rendre gloire à Dieu.
Cest ce quavaient parfaitement compris les évangélistes
qui, dans les gigantesques camps-meetings quils organisaient
à lintention des pionniers en route vers louest
américain, commençaient les cultes par la célébration
de la cène: un moment qui se vit et qui se voit. Ensuite,
le terrain se trouvait labouré pour les semailles à
grandes brassées de paroles.
Bernard
Reymond
|
|
|