Parmi les nombreuses manifestations
prévues autour de lan 2000, il y aura une déclaration
de lEglise catholique, exprimant ses regrets sur la manière
dont ont été traités jadis les hérétiques.
Fin septembre, une commission internationale de théologiens
catholiques a donc commencé à se réunir, sous
la présidence du Cardinal Joseph Ratzinger, "Préfet
de la Congrégation pour la foi". Elle a pour but de préparer
une déclaration papale. Celle-ci portera sur lattitude
de lEglise catholique envers les hérétiques des
siècles passés, ceux qui ont été torturés,
brûlés, emprisonnées, etc, au nom de la "vraie
foi".
Pour démarrer cette réflexion, un document de travail
de 35 pages a été élaboré par le théologien
napolitain, Bruno Forte.Ironie de lhistoire, son prénom
rappelle le nom de Giordano Bruno, né lui aussi dans la même
province de Naples : ce dominicain a été brûlé
le 17 février 1600 à Rome, pour avoir trop bien suivi
les théories de Copernic.On sait que Galilée, trente
trois ans plus tard, a échappé au même sort en
reconnaissant que les théories de Copernic sur les mouvements
du Soleil et de la Terre étaient fausses.Il aurait dit, ensuite
: "E pur, si muove..." - "et pourtant, elle bouge".Est-ce
lEglise qui finit, elle aussi, par "bouger" et changer
?
Dans la longue liste des hérétiques exécutés,
quénumère ce document préparatoire, figurent
deux autres noms illustres.Celui de Jan Hus (brûlé à
Constance, en 1415) et celui de Girolamo Savonarole (brûlé
à Florence en 1498).Selon le journal italien "La Repùblica",
la réhabilitation ne serait pourtant pas la même pour
tous.Savoranole serait peut-être même déclaré
"bienheureux".Jan Hus serait reconnu comme un grand spirituel.Mais
il ne serait pas question dadmettre la théologie de Giordano
Bruno.
Que deviennent dans tout cela les vaudois et les cathares, entre
autres ? On sait que pour des raisons politiques autant que religieuses,
lEglise catholique les a réprimés avec plus de
férocité que les hérétiques qui les avaient
précédés au cours des siècles précédents.Dans
le cas des cathares, une pétition ("Manifeste pour la
Réconciliation") a été signée dans
la région du sud-ouest de la France, et transmise à
Mgr Marcus, archevêque de Toulouse, pour être remise au
Pape.
Ces regrets de lEglise catholique sont importants.Cest
reconnaître, en effet, que la condamnation dun homme ou
de sa doctrine ne suffit pas à supprimer la question quil
pose, ni à lui répondre ! Mais reconnaîtra-t-elle
quelle a commis ces "erreurs" en tant quinstitution
?LEglise elle-même a-t-elle pu se tromper ? Ou bien se
contentera-t-elle de dire quil sagissait de fautes accomplies
seulement par des personnes, et nengageant quelles ? Quen
est-il alors des Simon de Montfort et autres bourreaux ?
Pour faire bon poids, et ne pas faire de lanticatholicisme
primaire, rappelons que les Protestants aussi nont pas été
épargnés par cette fureur de dénoncer et de condamner
des hérétiques.Tout en ajoutant cependant que peu ont
été brûlés - Michel Servet a été
un triste exemple, en 1553.Beaucoup ont dû sexpatrier
de terres catholiques, mais aussi protestantes.Un cas limite de persécutés
devenus persécuteurs est celui des Puritains de Boston au 17ème
siècle : Sur le Common de cette ville, ils ont pendu plusieurs
quakers, dont des femmes, de 1659 à 1661.Autre exemple : quelle
que soit lopinion que lon peut avoir des Mormons, on ne
peut oublier que leur chef Joe Smith a été assassiné
(avec dautres) avant leur longue marche vers le territoire qui
allait devenir lEtat de lUtah.
Parler de tolérance en notre fin de siècle, cest
bien.Mais cest aussi un peu facile et anachronique par rapport
à la manière dont les chrétiens ont traité
dans le passé leurs "dissidents" et leurs hérétiques.Et
même dans notre siècle, que sont devenus les "théologiens
de la libération" ? Ils nont certes pas été
brûlés, ils ont été pour le moins marginalisés.
Je lisais dernièrement un programme américain pour
touristes au Honduras.Parmi les activités "culturelles"
(!), il indiquait quon trouvait dans ce pays des supermarchés,
avec les mêmes produits quaux Etats-Unis, des cinémas,
avec les mêmes films.Le tout pour rassurer les voyageurs allant
dans cette contrée sauvage : sur la même gondole de supermarché
à Tegulcigalpa (Honduras) on peut donc trouver les mêmes
produits quà Burlington (Vermont) ou à Little
Rock (Arkansas), avec, en prime, quelques produits locaux.Nest-ce
pas sécurisant?
Certains se font de lEglise une image de ce genre.Son but
ne serait-il pas de proposer partout les mêmes articles (de
foi) ?Ce modèle peut certes fonctionner dans notre société,
qui est à la recherche didentité, de racines et
de sécurité. LEglise peut ainsi paraître
une des rares autorités qui restent encore, en notre époque
de pensée unique, cest-à-dire de la panne générale
des idéologies. mais faut-il pour cela transformer lEglise
en une mère porteuse de clones ?
Il ne suffit pas dailleurs de critiquer le fonctionnement
de lEglise catholique romaine. Lhistoire du christianisme
montre sur ce point bien des hésitations et des variations,
entre le rôle joué par une assemblée (Concile
ou autre), un Conseil ou un homme, au sommet dune hiérarchie.Soit
dit en passant, et contrairement aux idées reçues chez
les protestants, il ne faut pas trop se fier aux assemblées
: cest un concile, à Constance, qui a envoyé Jan
Hus et Jérôme de Prague au bûcher.
En lan 2000, le Pape fera donc une déclaration déplorant
le traitement infligé dans le passé aux hérétiques.Cest
un bon geste, et qui devait être fait.Toutefois, cela ne fera
guère avancer le problème : Restera toujours la question
de savoir quelle autorité décide qui est hérétique
et qui ne lest pas.Allons plus loin : qui, hormis son Chef,
peut valablement tracer les frontières de lEglise ?En
pastichant Pascal, on pourrait dire que son centre est partout, et
sa circonférence nulle part.
Pierre
Stabenbordt