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Quelques notes sur l'origine du Symbole des Apôtres

Les trois premiers siècles de l’Eglise ne sont pas seulement ceux où elle sort du cadre géographique et culturel où elle est née (afin de prêcher l’Evangile à toutes les nations). Mais aussi et du même coup ces 3 siècles changent la langue de l’Eglise. Abandonnant l’araméen, l’Eglise utilise le grec puis le latin pour exprimer sa foi… Or l'emploi d'une langue implique nécessairement de manier les concepts développés par son génie propre. C'est par conséquent à un effort intellectuel important que, s'attèle le christianisme de cette époque, lequel doit s'auto-définir pour se comprendre lui-même dans le but de mieux présenter aux hommes qu'il veut toucher. Il convient toutefois de noter que l'effort n'est pas qu’intellectuel, car il s’accompagne d’un évident souci pastoral et mûrit dans un contexte éminemment spirituel, même enthousiaste, car l'Eglise a conscience d'être la communauté des élus convoqués en vue du prochain retour de Christ.

Parce que l'Eglise est ainsi, à l'origine, une communauté de foi, le christianisme n'apparaît pas d'emblée comme une théologie, c'est-à-dire une doctrine strictement définie, voire immuable, avec ses articles et ses obligations. L'Eglise apparaît plutôt comme le lieu d'une proclamation, la proclamation au monde d'une bonne nouvelle, et le christianisme comme une prédication. L'objet de cette prédication, le kérygme, est Jésus, reconnu comme Christ, mort et ressuscité. L'Eglise alors est le rassemblement de ceux qui invitent le monde à croire et donc qui affirment, que Jésus est le Seigneur et qu'il vit. Voilà sa confession de foi, aussi ancienne qu'elle, exprimée en des formulations diverses mais qui sur le fond se rejoignent.

Les formules qui permettaient à l'Eglise de résumer sa foi, qui étaient aussi sa prédication, avec le temps pourtant vont se développer, prendre de l'ampleur, préciser un certain nombre de points. Qu'il suffise de comparer, je ne donne que cet exemple, la confession de foi de Pierre, "Tu es le Christ, le Fils de Dieu vivant" (Mt 16, 16), et l'explication des cinq pains qui ont été multipliés, donnée par l'Epître des apôtres, un apocryphe daté des années 160-170 et donc de peu postérieur aux plus récents écrits du Nouveau Testament, lesquels pains "sont une image de notre foi au grand christianisme, c'est-à-dire au Père, Seigneur du monde entier, et en Jésus-Christ notre Sauveur, et au Saint-Esprit, le Paraclet, et en la Sainte Eglise, et en la rémission des péchés" (Epap 5). Deux thèses principales ont été proposées, pour expliquer la mise en forme et l'usage concomitant de ces formules de plus en plus développées, dont le Symbole des apôtres, le moment venu, va être la plus couramment utilisée en Occident.

La première thèse se fonde sur la référence de la confession de foi au baptême. A l'eunuque éthiopien qui lui demande ce qui l'empêche d'être baptisé, Philippe le prévient qu'il faut croire de tout son coeur ; l'eunuque répond en confessant sa foi, "je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu" (Act 8,37) et Philippe le baptise. A la fin du IIe siècle ou au tout début du IIIE, l'évêque Abercius d'Hiérapolis fait graver son épitaphe ; il s’agit d’une confession de foi qui, entre autres, évoque le baptême donné dans l'Eglise figurée ici sous les traits d'une vierge : "la foi [...] m'a servi en nourriture un poisson de source, très grand, très pur, pêché par une vierge sainte". Assez rapidement, le symbole baptismal revêt toutefois la forme trinitaire. La tradition apostolique, un recueil de réglements ecclésiastiques et de prières liturgiques souvent attribué à Hippolyte de Rome, évêque concurrent du pape Callixte, explique au chapitre 21 que le catéchumène, descendu dans la cuve baptismale, répond aux trois questions qui lui sont successivement posées, chacune suivie une infusion : "- Crois-tu en Dieu le Père tout-puissant ? - Je crois - Crois-tu au Christ-Jésus, Fils de Dieu, qui est né par le Saint-Esprit de la vierge Marie, a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort, est ressuscité le troisième jour vivant d'entre les morts, est monté aux cieux et est assis à la droite du Père ; qui viendra juger les vivants et les morts ?

- Je crois - Crois-tu en l'Esprit-Saint dans la sainte Eglise ? Je crois." C'est là l'ancien symbole baptismal romain, en quoi l'on reconnaît sans peine le germe de ce qui va devenir le symbole des apôtres. Plusieurs symboles baptismaux du IVE siècle nous sont connus, que l'on peut reconstituer par les catéchèses que leur ont consacré certains Pères (Rufin d'Aquilée, Cyrille de Jérusalem ou Théodore de Mopsueste pour ne citer que ceux-là), et on ne peut d'ailleurs que constater une grande parenté entre eux. Quoi qu'il en soit, au IVE Marcel d'Ancyre, dans une lettre au pape Jules Ier, témoigne que le symbole romain a quasi pris la forme qu'il conservera, puisqu'il le présente en ces termes : "Je crois en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son Fils unique notre Seigneur, qui est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, qui sous Ponce Pilate a été crucifié et enseveli, le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite du Père d'où il viendra juger les vivants et les morts, et au Saint-Esprit, à la Sainte Eglise, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair. Amen" C'est l'évêque Césaire d'Arles (mort en 542) qui, le premier, donne le texte du Symbole des apôtres tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Mais si cette première thèse, qui lie la confession de foi au baptême, a connu et connaît encore une grande vogue, un certain nombre de critiques, parmi lesquels J.N.D. Kelly et H. Von Campenhausen, ont avoué n'en être guère satisfaits. Pour eux en effet, ce n'est pas le baptême qui est le Sitz im Leben de la confession de foi. Avec Hippolyte de Rome, nous font-ils remarquer, nous sommes déjà parvenus au IIIE siècle ! Auparavant, selon eux, le chrétien devait moins proposer une formule de confession, qu'un acte, nous pourrions aujourd'hui le qualifier d'existentiel, qui montre en tout cas combien leur vie est bouleversée par la présence agissante du Christ, qui est en outre celui qui réunit la communauté chrétienne. Ainsi à l'origine, confesser la foi ne consistait pas à réciter des vérités, si belles et profondes fussent-elles, mais à manifester la vie en Christ. Ce n'est que sur ce fondement que les chrétiens en sont venus à définir, à préciser ce que le Christ a enseigné, ce que les apôtres ont transmis et que l'Eglise dorénavant maintient, et cela sous forme de formules courtes et facilement mémorisables. C'est la regula fidei ou regula veritatis, ainsi que la désignent Irénée de Lyon et Tertullien. Or, c'est une telle confession de foi que le catéchumène, qui en a été instruit, reprend au moment de son baptême, selon l'usage de la traditio et de la redditio symboli.

Pour les tenants de la seconde thèse, c'est la reprise du symbole, et en particulier à Rome du symbole des apôtres, lors du baptême qui aurait conduit à se méprendre sur son origine. Cela conforté par l'utilisation du symbole dans les querelles théologiques du IIIE siècle déjà, puis évidemment du IVE. Cyprien de Carthage écrit non sans virulence : "Si quelqu'un objecte que Novatien [...] baptise avec le même symbole que nous [...], qu'il sache [...] d'abord que nous n'avons pas le même symbole, ni la même interrogation que les schismatiques !" (Ep 69, 7, 1). La confession de foi devient ainsi un signe en même temps qu'un "test" d'orthodoxie, voire un critère de sainteté, et on ne demande plus seulement aux catéchumènes, mais aussi aux évêques nouvellement élus de "professer" leur foi. On peut ici rappeler cette belle légende rapportée dans un sermon longtemps attribué à S. Augustin (sermo 240) mais que l'on reconnaît maintenant être d'un évêque gaulois du VIe siècle, qui répartit l'ensemble du symbole des apôtres en douze articles, chacun rédigé par l'un des douze apôtres. Si Pierre a -bien évidemment !- commencé en disant "Je crois en Dieu le Père tout-puissant", c'est Jean qui a continué "Créateur du ciel et de la terre" (cf. Jn 1, 3), et ainsi de suite, Thomas, dont on sait la rencontre singulière avec le Christ ressuscité (cf. Jn 20, 24-29), affirmant pour sa part que "le troisième jour il est ressuscité des morts", jusqu'à Matthias, le dernier venu, auquel il reste de conclure par "Amen" ! Je pense que cette légende est en vérité une belle tradition. Car ce dont elle nous instruit en effet, c'est qu'il y a multiplicité de croyants, mais une seule foi, un seul kérygme, comme il n'y a qu'un seul évangile, quoiqu'il soit tétramorphe dans notre Bible. L'unique "je crois" du symbole des apôtres est celui de tout apôtre et de tous les apôtres, de tout chrétien et tous les chrétiens. Il manifeste l'Eglise dans sa légitime diversité.

Jacques-Noël Pérès

 

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