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La Résurrection de Jésus

Le grand érudit parisien Maurice Goguel publiait en 1933 son gros livre sur la résurrection de Jésus. C’était, et cela reste, un chef d’œuvre de la théologie libérale. Cette théologie critique, historique et scientifique fut presque entièrement évincée, au milieu de ce siècle, par la théologie dialectique de Karl Barth. On y présentait la résurrection de Jésus comme une révélation de la transcendance divine, unique et sans analogie dans l’histoire, obéissant à la logique d’un autre monde. Depuis quelques années la théologie libérale refait surface. On ne pouvait pas escamoter indéfiniment les problèmes historiques et psychologiques que pose à la chrétienté un événement aussi central que celui de la résurrection. Que s’est-il passé exactement à Pâques, pour autant qu’on puisse le savoir ?

Dans un ouvrage paru en 1994, Gerd Lüdemann, théologien de Göttingen, fait sienne cette interrogation. À soixante ans de distance, ses conclusions me semblent rejoindre, pour l’essentiel, celles de Goguel. Mais les progrès de la psychologie et notamment de la psychanalyse permettent à Lüdemann d’avancer des arguments qui restaient marginaux chez Goguel.

Je ne me souviens pas que le livre de l’exégète parisien ait fait scandale, à l’époque. Peut-être n’a-t-il été lu que par une centaine de spécialistes. Aujourd’hui, un théologien comme Lüdemann est interviewé par les medias et ses idées atteignent des millions de téléspectateurs. Autant dire qu’en Allemagne, elles ont choqué une foule de bons chrétiens.

On peut résumer en quelques mots la thèse de Lüdemann : Jésus est ressuscité dans le cœur des disciples et non dans une tombe. L’événement n’est pas d’ordre matériel mais spirituel.

Les anciens peintres ont représenté Jésus sortant triomphalement de son sépulcre. Ces images ont marqué la chrétienté. Pour Lüdeman, la résurrection est difficilement crédible sous cette forme naïvement réaliste d’un cadavre qui reprend vie. Et l’on imagine mal que Jésus se soit attardé 40 jours sur terre, comme le suggère le livre des Actes, pour apparaître fugitivement et de manière fantomatique à quelques apôtres dont le témoignage lointain devrait suffire à nous convaincre que le Christ est vivant.

La résurrection de Jésus est devenue un dogme qu’il faut croire sur commande. A l’origine c’était une expérience vivante. Comment la comprendre et la revivre ?

La vision du Ressuscité

La résurrection proprement dite n’a été observée par personne. Aucun apôtre ne prétend avoir vu Jésus sortir de sa tombe.

Le témoin le plus proche de l'événement et donc le plus fiable est l’apôtre Paul. Il déclare avoir vu Jésus (I Cor. 9:11). Au chapitre 15 de la même épître, il énumère selon une tradition qui remonte aux origines de la foi, ceux auxquels le Ressuscité est apparu, à commencer par Pierre pour finir par lui-même. Paul eut cette vision sur le chemin de Damas, environ 18 mois après la mort de Jésus qu’il n’avait jamais vu auparavant. Mais il devait être bien renseigné sur sa vie, son message et sa crucifixion puisqu’il persécutait les chrétiens dont les convictions heurtaient son légalisme de pharisien.

Parler de “vision” c’est dire que Jésus est apparu à Paul en esprit. Il est ressuscité dans le cœur de l’apôtre, selon l’expression de Lüdemann. St Exupéry disait déjà qu’on ne voit bien qu’avec le cœur. Il faut donc intérioriser l’événement comme Paul le fait lui-même : “Il plut à Dieu de révéler en moi son Fils” (Gal. 1:6). A l’extérieur, sur le chemin de Damas, les compagnons de Paul n’ont vu personne.

On n’a pas le droit, pour autant, de réduire cette vision à un phénomène purement subjectif. Cette révélation vient à Paul de l’extérieur, d’en haut, de Dieu par l’intermédiaire de l’Esprit. La vision renvoie à une réalité qui sort des limites de l’espace et du temps, une réalité qui est objet de foi.Mais cette foi n’est pas suspendue à des affirmations dogmatiques. Elle procède d’une expérience spirituelle.

Risquons une comparaison : notre esprit est en quelque sorte l’écran auquel des ondes invisibles transmettent une image. Sans écran, pas de vision. Mais la vision n’est pas le produit de l’écran.Elle procède d’un émetteur, en l’occurrence de Dieu. L’onde de son Esprit suscite en nous la vivante image de Jésus. Encore faut-il être sur la bonne longueur d’ondes.

Les textes établissent un lien entre la résurrection et le St Esprit. “Jésus-Christ a été déclaré Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté par sa résurrection d’entre les morts”. (Rom; 1:4). “Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous”. (Rom. 8:11). “Il a été rendu à la vie par l’Esprit” (I Pi. 3:18). Dans l’Evangile de Jean, le don de l’Esprit coïncide avec la résurrection de Jésus (Jean 20:22).

Peut-être que ce rapprochement entre la vision du Ressuscité et le don de l’Esprit permet d’élucider un texte énigmatique sur lequel les exégètes embarrassés passent généralement comme chat sur braise. Se référant à la tradition dont il se réclame, Paul rappelle que le Ressuscité “est apparu à plus de 500 frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants et dont quelques-uns sont morts” (I Cor. 15:6). Un rassemblement aussi considérable ne peut pas avoir eu lieu au surlendemain du Vendredi Saint. D’ailleurs les Evangiles n’y font aucune allusion. Il serait pourtant surprenant que l’on n’en retrouve aucune trace dans le Nouveau Testament. Ne s’agirait-il pas de la foule qui s’est convertie à la Pentecôte dans un mouvement d’exaltation collective, faisant par l’Esprit l’expérience que le Christ est vivant ? Dans une étude publiée en 1903, intitulée “Ostern und Pfingsten”, E. von Dobschûtz faisait déjà le rapprochement, l’amalgame, entre Pâques et Pentecôte. Il a été suivi par d’autres exégètes, notamment anglo-saxons. Il faudrait en conclure que le découpage chronologique que fait Luc dans les Actes pour situer l’Ascension à 40 jours de Pâques et Pentecôte à 50, est un découpage artificiel qui correspond à une intention de systématisation théologique. D’ailleurs Luc lui-même ne s’y tient pas puisque, dans son Evangile, Jésus est enlevé au ciel le jour même de Pâques et non 40 jours plus tard. Et Jésus apparaît à Paul sur le chemin de Damas longtemps après l’Ascension qui est censée mettre fin à ses apparitions. Autrement dit, l’apparition du Ressuscité, la vision du Christ vivant, ne peut et ne doit pas être limitée dans l’espace et le temps. Il faut s’en tenir à ce que Jésus dit à la fin de l’Evangile de Matthieu : “Voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde”.

L’expérience pascale peut donc prendre des formes très diverses. Elle peut être de type “pentecôtiste”, charismatique, collective ou individuelle, extériorisée ou intériorisée. Visionnaire, extatique ou très sobre au contraire.

Mais il faut revenir à la vision de Paul. On ne peut ni prouver ni démentir qu’elle soit divinement inspirée. L’historien et le psychologue n’ont que le pouvoir de la rendre crédible. La psychanalyse est l’un des instruments auxquels Lüdemann a recours.Selon lui, un conflit intérieur déchirait Paul. Dans l’inconscient, il aurait subi l’attirance du message de Jésus. Mais son légalisme de pharisien s’y opposait.Les chrétiens qu’il persécutait étaient les boucs émissaires sur lesquels il projetait son conflit. Sur le chemin de Damas, ce conflit refoulé explose dans une vision libératrice. Cette crise et sa solution seraient évoquées dans Rom. 7 que résume l’exclamation finale : “Misérable que je suis. Qui me délivrera du corps de cette mort ?… Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Sauveur”.

Lüdemann trouve son interprétation confirmée par l’expérience parallèle de Pierre, évoquée de manière stylisée dans Jean 21:15. Il s’agit, comme chez Paul, de la délivrance d’un complexe d’infériorité et de culpabilité. Par trois fois, Jésus demande à Pierre : “M’aimes-tu ?” C’est le rappel du triple reniement dont Pierre pleura amèrement. Il avait fait l’expérience de sa faiblesse et de sa faute en abandonnant son Maître crucifié. Mais il revoit ce Jésus qu’il avait aimé et pourtant renié, ce Jésus qui n’avait cessé d’offrir le pardon de Dieu aux pécheurs et qui le lui offrait à lui aussi en le confirmant dans sa vocation de pasteur des brebis.

La foi étant contagieuse, d’autres disciples durent connaître de semblables visions. Elles firent apparaître Jésus dans une lumière qui le transfigurait. La croix n’était donc pas un échec. L’élévation de Jésus se manifestait dans son abaissement même. Les disciples pouvaient maintenant lui appliquer les titres d’honneur qu’ils trouvaient dans le répertoire religieux de l’époque : Messie, Christ, Seigneur, Fils de Dieu. Ces mots exprimaient l’expérience qu’ils avaient faite depuis que Jésus était ressuscité dans leurs cœurs.

Reconnaissons que ces phénomènes visionnaires et mystiques paraissent étranges, voire pathologiques à nos esprits modernes. A tort, me semble-t-il. De tout temps, des gens qui n’étaient pas des malades mentaux eurent des visions. Le dynamisme et le pragmatisme de ces visionnaires et de ces mystiques a laissé de fortes traces dans l’histoire. La vision est un phénomène psychique naturel auquel certains esprits sont enclins plus que d’autres, notamment en situation conflictuelle. Mais peu importe, en définitive, comment notre regard fonctionne, avec ou sans visions, avec ou sans extases, avec ou sans lunettes. Seul importe ce qui est vu. Les disciples n’ont pas vu des chimères. Il ont vu, reconnu et enfin compris Jésus de Nazareth. Cela donne à leurs visions une signification exemplaire.

Lüdemann interprète de manière plausible les visions de Pierre et de Paul. mais toute explication scientifique, même en théologie, comporte une marge d’incertitude. Elle peut être corrigée au besoin. Dans la Bible subsistent de nombreuses inconnues. C’est le cas, notamment, des apparitions pascales que rapportent les Évangiles. Ces récits ne concordent guère. Ils ont été rédigés tardivement, une cinquantaine d’années après la mort de Jésus. Ces textes renferment, sans doute, d’authentiques souvenirs. Mais toute reconstitution historique reste aléatoire.

Cela n’a rien d’étonnant. Les rédacteurs des Evangiles n’avaient pas l’intention d’établir un minutieux compte-rendu des événements comme l’historien moderne s’y attendrait. Leurs narrations étaient des professions de foi destinées à communiquer cette foi. Les traditions sur lesquelles leurs récits se fondent se transmettaient oralement et très librement dans les communautés avant d’être fixées par écrit. Elles gardaient une certaine plasticité qui permettait à chaque rédacteur évangélique de les modeler pour les adapter aux auditeurs qu’il voulait convaincre.

Un exemple : Nous devons à Luc le merveilleux récit des disciples d’Emmaüs. Luc était un chrétien de la seconde génération.Il n’avait pas vu Jésus. Il destine son Evangile à d’autres chrétiens de la seconde génération, notamment un certain Théophile. Comment dire à ces frères chrétiens que Jésus est présent, vivant ressuscité alors qu’ils ne peuvent plus le voir ? Eh bien Jésus est là, pourtant, incognito, secrètement proche dans l’absence apparente, comme sur le chemin d’Emmaüs. Il se fait connaître par la parole et la fraction du pain. La Parole et l’Eucharistie que Théophile connaissait comme nous d’ailleurs. Le récit est donc parfaitement adapté à la situation de ceux auxquels il s’adresse.

Ces textes nous interpellent encore aujourd’hui. Non parce qu’ils relateraient avec une scrupuleuse exactitude des faits devenus invérifiables. Mais parce qu’ils nous placent dans une situation existentielle où nous pouvons nous reconnaître. Je me reconnais en ce Thomas qui ne cesse de douter, en Marie-Madeleine que Jésus appelle tendrement par son nom, en Pierre qui renie et trouve grâce cependant, en ces disciples d’Emmaüs auxquels Jésus se manifeste incognito par sa parole et la fraction du pain.

Ces récits d’apparition rappellent les gestes que Jésus avait faits durant son ministère : une pêche miraculeuse, un repas, un appel, un enseignement, un shalom. Les visions et les apparitions ne révèlent pas aux disciples un être fantastique et imaginaire.Elles les font retrouver ce Jésus bien réel qu’ils avaient accompagné en Galilée et jusqu’à Jérusalem et dont ils se sentent plus proches que jamais.

Lüdemann déplore que dans les antiques confessions de foi que les Eglises font réciter aux fidèles, on retienne surtout le cadre métaphysique, l’auréole surnaturelle qui se sont formés autour du personnage de Jésus. L’auréole finit par cacher le visage. Les éléments surnaturels de celui que l’on dit consubstantiel au Père, né de manière miraculeuse, assis à la droite de Dieu s’affirment aux dépens de l’humanité de Jésus, de ce qu’il a effectivement vécu et enseigné. Lüdemann doute que cette représentation orthodoxe et surréaliste du Christ puisse s’imposer aux XXIe siècle. Il faut revenir au Jésus historique que les Evangiles synoptiques nous font entrevoir. C’est l’autorité et la pérennité de ce Jésus-là que les visions pascales mettent en évidence.

Le tombeau vide

Lüdemann a choqué en affirmant que le tombeau de Jésus n’a jamais été vide. Son corps s’y serait décomposé comme le font tous les cadavres.

Cette déclaration péremptoire est difficile à prouver. Mais c’est effectivement autour de ce tombeau que se décide notre compréhension plus ou moins matérielle ou spirituelle de la résurrection de Jésus.

Les récits du tombeau vide sont tardifs et de plus en plus amplifiés selon les Évangiles. Ils devaient réfuter la rumeur selon laquelle les disciples auraient enlevé le corps de Jésus. Ils devaient aussi attester la réalité de la résurrection de la chair. Il n’y avait pas de résurrection pour ces chrétiens-là tant que le cadavre restait dans la tombe.

Or l’apôtre Paul qui parle souvent et longuement de la résurrection n’argumente jamais à partir du tombeau vide. Il n’y fait même pas allusion. Quand il prêche la résurrection à Athènes, en style judaïque, on se moque de lui. En écrivant aux Corinthiens, il prendra soin de dissiper le malentendu d’une résurrection charnelle : “La chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu” (I Cor. 15:50). Mais l’apôtre se distancie aussi de la notion grecque de l’immortalité de l’âme. A égale distance du réalisme juif que de l’idéalisme héllénique, Paul enseigne la résurrection du corps. Au sens paulinien, le corps désigne la totalité de la personne que la résurrection doit faire passer par une transformation radicale, le corps charnel devenant un corps spirituel. Paul compare le corps charnel à une semence jetée en terre. Elle y meurt et s’y décompose pour donner naissance à la plante qui s’épanouit dans la lumière d’en haut. Cette plante, image du corps nouveau, est entièrement différente de la graine dont elle est pourtant solidaire. On comprend que, dans cette perspective, Paul s’intéresse moins au corps charnel de Jésus qu’à l’être spirituel qui habitait ce corps et en émane par la résurrection.

Un autre texte paulinien le confirme : “Lors même que l’homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour.” (2 Cor. 4:)

L’apôtre pouvait donc admettre la destruction de l’être extérieur de Jésus puisque l’être intérieur était promis au renouvellement.

La résurrection de Jésus ne dépendant pas du tombeau vide, on ne saurait faire de ce tombeau un article de foi. Reste le symbole. Car en allant sur une tombe, chacun fait l’expérience qu’elle est vide. L’être aimé n’y est plus.

Il faut reconnaître que le terme de “résurrection” emprunté au vocabulaire judaïque n’est pas exempt d’ambiguïté. Il peut être compris dans un sens physique et biologique qui, au temps de Paul, rendait déjà les Athéniens allergiques au message. Sans doute il fait aussi difficulté pour nous et nos contemporains. Le terme de VIE est plus universellement recevable. “Je suis la résurrection et la vie”, telle est l’expression lapidaire qui résume le message de Pâques (Phil. 1:21). Jésus est vivant parce qu’il change nos vies.

Nous ne sommes pas tous des visionnaires et des mystiques. Mais chacun peut voir Jésus, le contempler et l’entendre. Pas nécessairement dans un état d’extase mais, sobrement, avec l’intelligence et le cœur. Chacun peut recevoir de lui une parole de vie, de vérité et d’amour.

Chacun peut être visité et habité de sa présence.

Notre situation, par rapport à Jésus, ne diffère pas essentiellement de celle des premiers chrétiens. Visionnaires ou non, tous furent intérieurement éclairés, comme nous pouvons l’être, au contact de Jésus que l’Esprit nous rend proche. Nous savons alors, non par oui-dire seulement mais par expérience personnelle que Jésus est vivant, ressuscité.

Gaston Deluz

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