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Institution et autorité

Pierre Stabenbordt

La proximité des élections au Parlement Européen relance un débat déjà ancien : celui de l’autorité dont peut jouir une institution. De nos jours, des institutions, religieuses aussi bien que politiques, voient leur image de marque entachée de soupçons, soit à cause de leur fonctionnement, soit pour des raisons de personne.

Pour ne prendre que deux exemples, ce débat a été alimenté dès le début de cette année par l’ébranlement d’Institutions, et non des moindres : le Comité International Olympique et la Commission Exécutive Européenne. Dans le premier cas, des membres du Comité ayant été achetés, pour qu’ils influencent le choix d’une ville pour de prochains Jeux Olympiques. Ils ont dû démissionner. Dans le second cas, c’est le fonctionnement de la Commission qui a été critiqué par un rapport au Parlement Européen. Après quelques tentatives pour minimiser l’affaire, puis pour discréditer ce rapport, et après quelques atermoiements, la Commission a dû démissionner collectivement, ce qui constitue une première de taille ! Nous voyons ainsi poindre, parfois, un sentiment de responsabilité parmi les princes qui nous gouvernent…

L’après-guerre avait vu un rêve : faire régner sur notre planète la paix par l’entente des nations ; ce projet s’était concrétisé par la création de l’Organisation des Nations Unies. Dans un autre domaine, mais avec un espoir semblable, il y avait eu en 1948 la création du Conseil Œcuménique des Eglises, puis de la KEK, ensemble d’Eglises protestantes, anglicanes et orthodoxes à l’échelle européenne.

De nos jours, la confiance dans des institutions pour régler les problèmes n’est pas très grande, c’est le moins qu’on puisse dire. Leur magie ne paraît plus efficace.Ainsi, les problèmes des Balkans ne sont pas plus clairs à la fin de ce siècle qu’au début, alors que bien des institutions européennes ou mondiales ont été créées entre-temps.

Est-ce dû à ces institutions elles-même, à leur dysfonctionnement ? Est-ce le manque de transparence, les décisions ou les changements de personnes se déroulant dans des conditions connues des seuls initiés ?Est-ce dû au fait que les états-majors et leurs apparatchiks sont de plus en plus coupés des réalités, éloignés des hommes de la base, et de leurs préoccupations quotidiennes ? Les causes ne sont pas identiques pour toutes, mais toutes sont concernées.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire. Enfants de la Réforme, nous en savons quelque chose, puisque ce mouvement a consacré l’échec de la réforme d’une institution par elle-même. Par ailleurs, on n’a pas attendu la fin de ce siècle, ni même 1968, pour que fleurissent les critiques et les interrogations. Les “affaires”, les soupçons, ne datent pas d’hier.Seulement, de nos jours, on exige des institutions plus qu’autrefois : moins de copinage, moins d’administration, et plus de transparence, plus de vie.Faut-il reprocher aux médias d’en parler ? Faudrait-il cacher tous les cadavres dans des placards ?

Quelques constatations s’imposent. Tout d’abord, il s’agit de faits, et non seulement de rumeurs. Ensuite, tout cela apporte de l’eau au moulin de sectes, et surtout aux Témoins de Jéhovah, pour qui certaines de ces institutions sont signes de la fin des temps : selon eux, ce sont de nouvelles Tours de Babel, érigées par les humains qui se prennent pour des dieux, et veulent lutter avec orgueil contre le vrai Dieu.

Et puis le développement d’Internet, accélère ce mouvement qui, au mieux, rend les institutions superflues, au pire les discréditent. Elles y sont en effet court-circuitées. En d’autres époques, on se serait contenté d’en créer de nouvelles, comme on a remplacé la défunte Société des Nations par l’ONU, ou comme cela s’est passé pour la création d’Eglises libérales, orthodoxes, évangéliques, en face ou contre d’autres. Mais, de nos jours, c’est en dehors de toute centralisation ou organisation officielle que des liens se tissent.

L’un des exemples connus, bien que limite, est le site électronique créé par Monseigneur Gaillot en 1996, “Partenia.org”, après sa nomination au diocèse fantôme de Partenia ; il attire de la correspondance de tous les continents (114.000 appels en 1998), comporte un catéchisme, une mise à jour, etc., le tout en plusieurs langues. La liste de sites religieux que donne un annuaire montre qu’ils s’agit souvent de francs-tireurs, ou de catalyseurs. Bien sûr, il y a là du meilleur comme du pire. Il faut tenir compte, en tous cas, de ce mouvement.

Il est vrai que sur le Web on vit d’autres relations que hiérarchiques, formelles ou administratives, encadrées par des commissions, des décrets, des articles de loi et de foi.Les règles du jeu sont différentes. Le partage y est souvent convivial et chaleureux. Certains sites religieux officiels font alors contraste, quand ils ne présentent que des adresses ou un organigramme.

Qu’en est-il, plus précisément, des institutions religieuses ?A leur manière, elles vivent en effet les mêmes problèmes que d’autres. Au point qu’une question ne peut être passée sous silence : si les Eglises institutionnelles sont désertées, existera-t-il quelque part une limite à toutes les dérives de pensée et de foi ? A regarder les rayons des librairies, n’en sommes-nous pas déjà arrivés à ce stade ? On y voit en effet plus d’ouvrages sur le rayon “ésotérisme” que sur ceux des judaïsme, christianisme et islam réunis.

En ce qui concerne le protestantisme, sa dissémination est croissante, aussi bien en ville qu’en milieu rural. Quel lien avec la ou les institutions peut avoir un “paroissien” isolé à 70 kms du plus proche centre paroissial ? Et une organisation qui forme et envoie des pasteurs existera-t-elle toujours ? Ce qui supposerait, d’ailleurs, qu’une vérité religieuse ne puisse se perpétuer sans l’existence d’un corps constitué de spécialistes de cette transmission. C’est un cas de figure, mais est-ce le seul possible ?

Le temps n’est plus où des références étaient imposées d’autorité, avec des textes obligatoires. Le temps des organisations intouchables et incontrôlables, énonçant les certitudes, est passé.

Je lisais dernièrement la constatation mélancolique d’un pasteur de paroisse : “L’Eglise a du mal à vivre au-delà du cercle confidentiel des personnes engagées dans la vie de l’Eglise”. De telles réalités peuvent être effectivement dures à vivre, et en particulier pour quiconque a une responsabilité dans l’institution.Mais ce genre de constatation rend-elle entièrement compte de ce qu’est l’Eglise et de son objectif ? Ne sommes-nous pas trop liés à certaines formes ? Le nombre de croyants est-il seulement celui des pratiquants et des recensés, celui figurant dans des statistiques de l’institution ? Il est certain que le chiffre de quelques centaines de foyers pour telle ou telle paroisse, ou bien celui du pourcentage des pratiquants par rapport à l’ensemble d’une population, a de quoi donner du vague à l’âme.Mais est-ce là toute la réalité ?

Notre fin de siècle n’est pas une fin tout court. Par ses interrogations sur les institutions, elle nous oblige à un effort de réflexon, d’imagination, de communication et de clarté, qui peut être salutaire.

Pierre Stabenbordt

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