logo d'Évangile et Liberté

Archives

( liste des articles archivés)

Le retour du religieux : un mea culpa et une question, par Alain Houziaux

Quel avenir pour le Christianisme ? Et quel avenir pour la religion ?

Il faut le dire tout de suite, ce sont là deux questions différentes. Il peut très bien y avoir un avenir pour la religion sans qu’il y en ait un pour le christianisme.

Il n’y a pas si longtemps, on parlait de la mort du Christianisme, des Eglises chrétiennes et Dieu lui-même.Mais maintenant, on parle du “retour du religieux” ! Ces deux thèses sont-elles incompatibles ? je ne le pense pas.Essayons de dire pourquoi.

Mais d’abord, qu’est-ce que ce “religieux” que l’on dit être de retour ? Le “religieux”, c’est la “religion naturelle”, la religiosité, le “sentiment religieux”, et aussi la spiritualité.Ce n’est pas à proprement parler une confession de foi, c’est-à-dire un “credo” s’inscrivant dans des normes traditionnelles.C’est plutôt une quête et une pulsion vers le sacré, le surnaturel et le mystère.Cette religiosité s’exprime souvent sous forme de superstitions et de craintes, par un goût de fantastique, de l’irrationnel, du sacrifice et de l’exaltation.Mais elle s’exprime aussi par des recherches ésotériques, cabalistiques, astrologiques, initiatiques héritées de vieilles traditions païennes.C’est ce “religieux” qui s’exprime par le New Age, l’astrologie, l’ésotérisme et aussi par l’attirance que suscitent les religions orientales.Et c’est aussi lui qui s’exprime dans les mouvements charismatiques et aussi quelquefois dans les courants intégristes.

On dira que nous mettons “dans le même sac” des phénomènes très différents ! Certes, mais ils ont cependant tous en commun d’être des manifestations “post-modernes” c’est-à-dire revendiquant une forme d’irrationalité et contestant ce que l’on a appelé “la pensée des Lumières” déiste, tolérante et rationnelle.

1 - La désaffection vis-à-vis du christianisme, ce n’est pas la faute à Voltaire, c’est la faute aux clercs ! Pourquoi le retour du “religieux” se manifeste-t-il en dehors des Eglises chrétiennes officielles ?A mon avis, parce que celles-ci ont cherché à exclure ce “religieux” et la religiosité naturelle.Certes, le Christianisme est une “religion”, mais il est une religion dans laquelle le “religieux” a été rééduqué et peut-être même “mâté” par des catéchismes et des rituels réglés pas les Eglises.Et ce “religieux”, parce qu’il a été contrecarré par les Eglises, s’exprime maintenant hors des Eglises.

On conçoit donc qu’il puisse y avoir une désaffection vis-à-vis du Christianisme officiel et corollairement un retour du religieux hors de ces Eglises.En effet, maintenant, lorsque l’on se sent animé d’aspirations religieuses, on ne va plus dans les Eglises traditionnelles, on achète des livres d’ésotérisme et on suit des séminaires avec les lamas tibétains.

• Ce déni du “religieux” par les Eglises officielles existe depuis fort longtemps. Déjà, il y a près de trente siècles, le Judaïsme biblique s’est employé à canaliser et à “mater” la religion naturelle de ses fidèles.En effet, dès ses origines, le Judaïsme a interdit l’astrologie, la sorcellerie et la divination.Il a récusé les manifestations plus ou moins extatiques du paganisme.Certes, il est vrai que les fêtes juives et les sacrifices ordonnés par le Judaïsme ont constitué l’héritage des fêtes et des sacrifices païens, mais le Judaïsme les a repris en les dénaturant et en les purifiant. Pour le Judaïsme, les rites et l’obéissance à la Loi ont pris le relais de la magie.

Le Christianisme, tout au long de son histoire, a poursuivi ce travail d’éducation et de purification.En effet, à l’époque de l’apparition du Christianisme, le “religieux” avait repris du poil de la bête.Il y avait, au premier siècle de notre ère, beaucoup plus de magie, de démons et de craintes superstitieuses que dans le Judaïsme ancien.Mais le Christianisme a contenu ce “retour du religieux” par son dogmatisme théologique, par la force de ses institutions et de son magistère, et aussi par l’importance donnée aux sacrements qui, tout en satisfaisant la demande de magie, en constituait cependant une forme d’épurement.Ainsi, jusqu’au XXème siècle, le Christianisme a pu satisfaire les demandes de la “religion naturelle” des fidèles tout en les éduquant et en les épurant.Ce travail de “sortie de la religion” opéré par le Judaïsme et le Christianisme était, à mon avis, utile et souhaitable.Et il a réussi.

• Mais, depuis le milieu du vingtième siècle, les Eglises institutionnelles ont peut-être un peu trop forcé la dose des antibiotiques et des anti-inflammatoires à l’encontre du “religieux”, et celui-ci, du coup, s’est lassé d’être contenu et rééduqué par les Eglises officielles. Et il s’est échappé, de manière explosive, hors des Eglises.

Depuis l’apparition du protestantisme libéral (au sein du protestantisme) et depuis Vatican II (au sein du catholicisme), les Eglises, bien plus que l’agnosticisme et l’athéisme, ont été les maîtres d’œuvre de la désacralisation du monde et de la dédivination de Dieu. Elles ont été les premières à pourfendre le sentiment religieux, c’est à dire les demandes de salut, les demandes de sacré, l’expérience de la culpabilité et la crainte d’un jugement divin. Aujourd’hui, le Christianisme des Eglises historiques est devenu le lieu du “désenchantement du monde” et de la sécularisation du “religieux”.En prêchant que “Dieu s’est fait homme”, le Christianisme a plus ou moins adopté, avec deux siècles de retard, l’esprit des Lumières, son rationnalisme et son demi-agnosticisme.

Et ce qui a été catastrophique, en termes d’étude de marché, c’est que le tournant du Christianisme vers ce que l’on peut appeler l’esprit de la “modernité” (qui est en fait l’héritage de la Renaissance, de la Réforme et des Lumières) s’est effectué au moment même où les mentalités, de leur côté, opéraient leur “sortie de l’ére des Lumières” pour rentrer dans la “post-modernité”. En effet, aujourd’hui, les scientifiques, les philosophes et bien d’autres retrouvent le goût de l’irrationnel, de l’imaginaire et du sacré.Dans la société civile, c’est le retour de Dionysios et du spiritisme, des médecines douces et de l’astrologie, du communautarisme et des sectes millénaristes. Et pendant ce temps, les Eglises, de leur côté, prêchent, devant des auditoires de plus en plus maigres, le refus de la foi du charbonnier, la chasse à tout ce qui pourrait rapprocher la foi d’une consolation ou d’un opium, la méfiance vis-à-vis des miracles et même vis-à-vis de l’efficacité pratique de la prière.

Ce qui explique aussi le fait que le retour du religieux se soit effectué hors des Eglises, c’est l’effondrement de la culture religieuse et théologique du peuple chrétien.Et du coup les fidèles des Eglises traditionnelles sont devenus, eux aussi, tout à fait perméables au fantastique et à l’irrationnel.

Ajoutons encore que, aujourd’hui, l’individualisme est devenu un fait de société fondamental.Et en conséquence, les démarches spirituelles et religieuses des uns et des autres s’effectuent maintenant individuellement et même solitairement, hors du cadre des Eglises constituées, et échappent donc à leur contrôle et à leur pouvoir de régulation.

Un point encore.Aujourd’hui, la vérité professée par le Christianisme n’est plus considérée comme la seule forme d’accès à Dieu.Elle est devenue une forme religieuse parmi les autres.Et ce qui faisait la force du Christianisme, à savoir le fait qu’il était une tradition quasiment immuable, est devenu, maintenant, un handicap.Le public préfère exprimer sa soif de spiritualité dans des formes religieuses moins connues et usées par le conformisme et l’habitude.

• Que se passe-t-il maintenant ?

D’une part, le Christianisme officiel est devenu laïc, rationnel, démocratique, intelligent et tolérant. Hélas et Alléluia tout à la fois.Les chrétiens des Eglises officielles ne sont plus superstitieux, ils n’ont plus peur de l’enfer, ils n’ont plus une conception magique des sacrements. Beaucoup sont, en fait, de vagues déistes et des humanistes bon ton.

Et d’autre part, le “religieux” s’exprime maintenant hors des Eglises traditionnelles, dans les courants charismatiques, les sectes, l’ésotérisme, l’intégrisme...

Certes, ce phénomène du “retour du religieux” et le fait qu’il se fasse en dehors des Eglises traditionnelles inquiète et surprend ces Eglises.Mais il faut reconnaître qu’elles ont bien cherché ce qui leur arrive !

Il est cependant exact que, depuis peu, les Eglises essaient, un peu tardivement, de réparer les pots cassés en tentant de faire une place à la “religion” et à la religiosité.Elles tentent de faire un travail de “récupération”.On joue de la guitare dans les offices, on pratique de nouveau des pèlerinages à la Vierge et les exorcistes de l’Eglise catholique sont de nouveau en fonction. Mais, bien souvent les clercs n’acceptent qu’à contrecœur de faire ce travail de réconciliation avec le “religieux”.En fait, ils écartent bien souvent les “nouveaux religieux”. Et les Eglises laissent à la société civile le soin d’endiguer l’astrologie, les sectes et les déviations religieuses. Le Christianisme officiel doit battre sa coulpe.Il a trop prêché que l’homme était adulte, libre et majeur.Il a trop insisté sur le fait que la foi n’était ni une thérapie ni une école de bonheur alors que le besoin d’être guéri a presque toujours été à l’origine des démarches et des conversions religieuses.Il a trop sécularisé et désacralisé son clergé alors que beaucoup ont besoin de l’exemple de saints, de prophètes et de maîtres spirituels.

2 - Le Christianisme est-il vraiment inconciliable avec la religiosité naturelle ? Mais, une fois faite cette analyse sociologique, la question de fond, c’est quand même celle-ci : les nouvelles formes de la religion sont-elles vraiment incompatibles avec la prédication évangélique ? Faut-il vraiment accepter comme irrévocable le divorce entre le Christianisme et la religion populaire ?

Si l’on veut tenter de répondre à cette question, il faut se demander quel est l’objectif fondamental de cette prédication évangélique, c’est-à-dire, en fait, quelle est l’essence du Christianisme ? C’est ainsi que l’on pourra voir si le Christianisme est vraiment incompatible avec la religiosité d’aujourd’hui.

A mon sens, le propre du Christianisme, c’est la prédication de la libération de tous les faux dieux, de tous les esclavages, de toutes les superstitions.Et certes, les nouvelles religiosités peuvent être souvent considérées comme des formes d’aliénation librement consenties.Mais cela ne peut qu’être un argument favorable à l’accueil des “nouveaux religieux” au sein de l’Eglise puisque la prédication chrétienne a justement pour objectif de prêcher la liberté à tous ceux qui sont les esclaves de leurs hantises et de leurs superstitions.

On peut aussi considérer que le propre du Christianisme, c’est la mise en exergue de notre dépendance (cf. le “sentiment de dépendance” 1 de Schleiermacher) vis-à-vis d’un Père de mystère et d’amour et du fait que nous sommes tous au bénéfice de sa grâce.S’il en est ainsi, le Christianisme, bien loin d’excommunier les “nouveaux religieux”, devrait les accueillir.En effet, les nouvelles religiosités expriment fort bien ce “sentiment de dépendance” et cet appel de la grâce, et ce de façon souvent bien plus convaincante que le Christianisme officiel où, à force d’insister sur la liberté adulte de l’homme, on a oublié que la foi était d’abord de l’ordre de l’esprit d’enfance.

Ainsi, si l’on s’en tient à cette rapide analyse de ce qui constitue l’essence du Christianisme et de la prédication chrétienne, on peut constater qu’il n’y a aucune raison de considérer qu’elle n’a rien à dire aux “nouveaux religieux” d’aujourd’hui et qu’il doit les rejeter.

• Mais, en fait, je ne pense pas que le divorce entre Christianisme et “nouvelle spiritualité” se pose d’abord en termes théologiques. Ce ne sont pas les convictions sous-jacentes au “retour du religieux” qui sont récusées par les Eglises officielles.Il me semble au contraire que nos Eglises pourraient s’accommoder assez facilement de toutes ces croyances fantasmatiques et ésotériques d’aujourd’hui.Les Eglises sont en effet très tolérantes et même laxistes pour ce qui est de la consistance du credo à confesser !

Le problème n’est pas dans le champ des doctrines.Il est plutôt au niveau des rituels.Les Eglises officielles sont sans doute quelquefois prêtes à introduire dans leurs offices des guitares et même des danses liturgiques, mais elles ne sont pas prêtes à renouveler le sacrement de l’eucharistie par des symboles New Age ni à introduire dans la liturgie de Pâques un rituel de communication avec les morts.

• La véritable question est donc celle-ci : jusqu’où les Eglises peuvent-elles et doivent-elles aller, dans la transformation de leurs rituels, pour pouvoir accueillir en leur sein les “nouveaux religieux”, si tant est que ceux-ci aient le désir de réintégrer le giron ecclésial ?

Au premier siècle de notre ère, les Eglises chrétiennes, qui restaient fidèles aux rituels du Judaïsme (circoncision, règles alimentaires), ont, pour pouvoir accueillir des pagano-chrétiens, renoncé à exiger d’eux qu’ils se plient à ses rituels traditionnels.Elles ont accepté une forme de “paganisation” de leurs usages et de leurs règles liturgiques pour mieux accueillir et convertir les païens. Les Eglises d’aujourd’hui devraient-elles faire de même ? Devrions-nous accueillir les “nouveaux religieux” tels qui sont et même transformer nos usages et nos confessions de foi pour qu’ils leur conviennent ?C’est une question que l’on peut se poser.

• Mais il faut cependant être conscient des enjeux.

Nous sommes à la fin des “temps modernes”, c’est-à-dire à la fin de l’ère des Lumières, des droits de l’homme, de la laïcité, de l’universalisme et de la tolérance.Certes, les religions traditionnelles ne sont entrées dans les “temps modernes” que très récemment, avec deux siècles de retard, mais, maintenant, ce sont elles, plus peut-être que ce qu’il reste de la Libre Pensée, qui sont responsables de cet héritage.

Mais si les religions monothéistes sont peu à peu conquises par les intégristes, les charismatiques et les superstitieux, cela sonnera le glas non seulement de la prédication de l’Evangile libérateur et universaliste, mais aussi de cette vocation des Eglises d’aujourd’hui à défendre l’esprit des Lumières, de l’intelligence et d’une certaine forme de rationalité.Et cela handicapera aussi la vocation des Eglises à être un lieu de formation et d’éducation à la réflexion, au partage, à la conscience individuelle et à l’implication responsable dans la vie civique.Et, de plus, cela sonnera le glas d’une certaine conception de Dieu, celle d’un Dieu totalement transcendant, étranger aux superstitions, aux astres et aux “électrons pensants”, celle d’un Dieu qui est l’instaurateur et le garant du principe de l’égalité de tous les hommes devant la vie et la mort, devant le péché et la grâce, devant la justice et la liberté.

Alain Houziaux

haut


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs

dernier N° complet


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions