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Le pasteur et la paroisse

Les communautés chrétiennes de base sont-elles des Eglises ou des “paroisses” ? Le Nouveau Testament (Epitres, 4 Evangiles, Actes des Apôtres) ne mentionnent que des “Eglises” (assemblées, en grec). A l’heure actuelle dans le langage courant une “paroisse” est une entité géographique et humaine dépendante de l’”évêque du lieu”. Dans le monde d’aujourd’hui le dynamisme du protestantisme (des millions de convertis chaque année en Amérique du Sud ; expansion des baptistes et des “évangélistiques”) repose sur la responsabilité primordiale des Eglises (locales).

Nous publions ici un autre point de vue.

Christian Mazel

Les mois de septembre-octobre correspondent au moment de toutes les rentrées. Après la dispersion de l’été chaque conseil presbytéral fixe un culte qui ne doit être ni trop tôt ni trop tard pour ne pas faire concurrence aux autres rentrées non paroissiales.

La plupart de nos coreligionnaires n’aiment pas beaucoup le mot paroisse qui évoque un milieu frileux, plutôt replié sur lui-même, souvent sur la défensive, comme l’indique l’expression prêcher pour sa paroisse. Qui n’est pas de la paroisse est un étranger.

Vous connaissez l’histoire de l’assemblée dominicale qui rit des propos humoristiques de son pasteur. Un seul ne rit pas. Comme on lui en demande la cause, il répond : “Je ne suis pas de la paroisse”. Le mot paroissien est souvent utilisé pour désigner un drôle de paroissien. Mais surtout la paroisse a fini par correspondre à l’unité administrative de base de l’Ancien Régime et à sa lourde connotation sociologique avec la répartition des impôts et la levée des troupes. La monarchie a développé cette institution qui a favorisé le pouvoir central en limitant celui de la féodalité.

A l’origine, au IV° siècle la paroisse se confond avec le diocèse, circonscription placée sous l’autorité de l’évêque. La plupart des Eglises locales sont des Eglises urbaines. Peu à peu les campagnes sont évangélisées. L’action de l’omniprésent Saint Martin dès le IV° siècle est bien connue en Gaule. Dans les bourgs ruraux et les grands domaines l’évêque le plus proche délègue un prêtre qui va prendre de plus en plus d’autorité. Le curé devient ainsi un évêque au petit pied, au point de recevoir parfois le titre de chorévêque, toujours décerné en Orient, mais il n’aura jamais le droit de confirmer les catéchumènes ni celui d’ordonner des clercs.

Le mot paroisse n’apparaît dans notre langue qu’à la fin du XI° siècle venant du latin qui l’a emprunté au grec. Il est utilisé aussi pour désigner en ville les annexes de la cathédrale qui ne peut plus recevoir tous les fidèles. La paroÏkia correspond à un groupe d’habitations voisines, à un ensemble de maisons autour de l’église. Le site géographique, l’ensemble architectural l’emporte sur l’idée de communauté. C’est là toute la différence avec l’Eglise locale du Nouveau Testament qui réunit les chrétiens qui vivent dans le même cadre géographique. L’Eglise de Philippes, dans les actes des Apôtres, regroupe les chrétiens qui vivent dans la ville de Philippes et sa banlieue.

Le mot paroisse est cependant commode. Le soussigné se considère avant tout comme un pasteur de paroisse. Sans négliger les ministères spécialisés qui ont fait la preuve de leur utilité, le ministère pastoral de base demeure le ministère paroissial.Le pasteur de paroisse est l’équivalent du généraliste dans le corps médical. Certes il y a le danger d’être transformé en homme-orchestre, en bouche-trou, et en touche-à-tout.

L’absence d’expérience pastorale et de bon sens peut conduire à des erreurs infiniment regrettables car elles laissent des traces chez les victimes. Il y a un moment où il faut savoir reconnaître ses limites et son niveau de compétence ou d’incompétence. Cela n’a rien à voir avec certaines maladresses qui seraient évitées en faisant davantage attention comme le prédicateur qui s’écrie au bord d’une tombe à propos d’un membre actif de sa paroisse “Mes frères, nous sommes réunis pour enterrer un chrétien vivant”. Le manque de tact est plus difficile à corriger. Que penser du rédacteur d’une feuille paroissiale qui n’hésite pas à écrire : “Nous avons perdu cette année quatre membres de notre Eglise. Nous regretterons en particulier M. un tel…”

Rendant compte du service au cimetière d’une personnalité en vue, un journaliste est allé jusqu’à dire : “Le pasteur de service a hurlé quelques paroles de consolations”.

Le ministère paroissial nécessite une formation et une vocation particulières. Si l’Eglise reconnaît tel ou tel candidat n’oublions pas que sa vocation lui vient de Dieu. A l’extrême limite l’Eglise à laquelle appartient le pasteur pourrait disparaître, sa vocation demeure. Telle est la signification de la consécration pastorale qui est malheureusement ravalée aujourd’hui au niveau d’une vague reconnaissance de ministère. Bien entendu il ne s’agit pas d’un sacerdoce in aeternum.

On n’est pas pasteur pour l’éternité ; mais on est pasteur ad vitam, à vie. L’engagement pris lors d’une consécration pastorale concerne toute la vie de l’intéressé jusqu’à son terme. La confiance des membres de l’Eglise en leur pasteur est liée au respect des engagements qu’ils ont pris, non pour un temps, mais à vie. L’oubli de cette spécificité du ministère pastoral explique en partie le manque de considération pour les pasteurs notamment, hélas, pour les jeunes pasteurs, ce qui n’était pas le cas il y a quelques décennies.

Il est également vrai que le refus de beaucoup de pasteurs de passer pour des notables les a parfois conduits à des négligences sur le plan de la tenue et du langage. Sans aller jusqu’à revêtir une redingote noire et porter une cravate blanche comme au XIX° siècle, le port de la veste et de la cravate s’impose. Il arrive que toute une paroisse enfants inclus, interpelle le pasteur par son prénom. Le tutoiement se généralise. Je ne tutoie pour ma part, en dehors des membres de ma famille, que mes amis de jeunesse, mes camarades de régiment, mes collègues, selon un vieil usage, et quelques amis de longue date, ce qui, à mon avis, est largement suffisant. L’absence de tenue suffit à expliquer pourquoi certains pasteurs ont fini par rencontrer des difficultés dans leur paroisse.

Il me souvient, lors d’une séance d’un conseil régional d’avoir entendu la présidente déchaînée d’un conseil presbytéral donner les raisons pour lesquelles son Eglise voulait se séparer d’un pasteur que le conseil presbytéral, qu’elle était sensée présider, avait pourtant choisi, avec une absence totale de discernement, il est vrai, et sans prendre les renseignements qui s’imposent dans cette circonstance. Avant même que les présentations ne soient faites, elle attaque d’emblée le collègue en question que nous appellerons Alphonse : “Alphonse a dit ceci, Alphonse a fait cela. Alphonse est au-dessous de tout. Alphonse est devenu indésirable…” Alphonse n’est plus un serviteur de l’Eglise, Alphonse est le laquais de son conseil presbytéral. Et pourtant Alphonse a renoncé à une bonne situation pour répondre à sa vocation pastorale. Alphonse a seulement eu tort de ne pas garder suffisamment ses distances lorsqu’il le fallait. Alphonse se laisse marcher sur les pieds. Heureusement la famille d’Alphonse a bien tenu le coup. Alphonse a trouvé une autre paroisse. Il va maintenant faire très attention, presque trop peut-être car toutes les paroisses ne sont pas entre les mains d’un quarteron d’esprits tordus, heureux de trouver dans l’Eglise une parcelle de pouvoir à exercer que la société civile a eu la sagesse de ne pas leur confier.

Pour un pasteur une paroisse n’est ni un hospice, ni un centre de détention, ni un bataillon disciplinaire, ni une voie de garage.“Une véritable Eglise, disait Wilfred Monod, offre aux individus isolés l’appui d’un milieu qui inspire, soutient, protège ; elle discipline, elle enrôle, elle sauve de la solitude et de la tentation”. Nous n’avons pas besoin des petits chefs, des petits juges, des petits professeurs, des petits curés ou des petits pasteurs, des petits teigneux nombriliques et narcissiques. Dans le protestantisme français l’ensemble des forces vives et des moyens matériels provient des paroisses ou des Eglises locales, si vous préférez ce second terme qui est plus approprié. Si le protestantisme français ressemble à une peau de chagrin, c’est parce que les synodes ont supprimé trop de postes paroissiaux. Supprimer une paroisse, c’est tuer la poule aux œufs d’or. Il est vrai qu’il y a cent ans dès qu’on réunissait quelques dizaines de protestants on était prêt à ouvrir un temple et à construire un presbytère. Avec les moyens de communication d’aujourd’hui un temple tous les trois kilomètres n’est plus nécessaire. Nos Eglises ne construisent plus. Elles ont bien du mal à entretenir les bâtiments existants. Il s’agit d’édifier aujourd’hui une communauté vraiment fraternelle. Le pasteur de paroisse n’est-il pas la cheville ouvrière de cette entreprise ?

Philippe Vassaux

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