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Comment les scientifiques abordent-ils le troisième millénaire ?

À la fin du dix-neuvième siècle, beaucoup de scientifiques avaient des certitudes. Les mathématiques étaient vraies. Le monde était déterministe et on pouvait connaître ses lois. Darwin avait jeté les bases de la théorie de l’évolution, expliquant la succession des espèces. Pour beaucoup, matérialisme et progrès continueraient à se conjuguer. La science a fait depuis, dans tous les domaines, des progrès prodigieux, attestés aussi par l’explosion, pour le meilleur et pour le pire, des nouvelles technologies : nucléaire, ingénierie génétique, informatique et télécommunications... Paradoxalement, les scientifiques ont l’impression de s’être éloignés des certitudes du siècle dernier. Les raisons de cet éloignement sont assez complexes ; nous allons essayer de les analyser.

L’unité même de la science est maintenant discutée. Certes, les sciences aval utilisent, plus que jamais, les sciences amont. Certes aussi, des concepts variés, comme déterminisme, hasard ou précision, continuent à “traverser” toute la science. Mais l’expansion des connaissances et la multiplication du nombre des chercheurs conduit à un morcellement. Plus fondamentalement, la spécificité de chaque science s’est accrue ; il n’est pas évident que l’on puisse “réduire” la physique macroscopique, avec sa flèche du temps, à la physique quantique ; ni la biologie et les sciences cognitives à la physico-chimie.

Donnons maintenant quelques exemples de difficultés rencontrées par les constructions les plus performantes :

En logique mathématique, les apories, transpositions du fameux paradoxe du menteur, ne sont pas réellement surmontées. Les axiomatisations restent rétives. Les infinis non dénombrables nous échappent.

En physique, la théorie quantique des champs permet de prédire les structures fines des spectres des atomes et de les recouper avec les vérifications expérimentales, avec une précision fantastique de 10 -13 ! Mais son application à des particules toujours plus petites, “plus élémentaires”, est difficile. On essaie parallèlement d’unifier toutes les forces de la physique, mais les obstacles sont énormes : les outils mathématiques nécessaires n’existent pas encore ; des révolutions conceptuelles seront nécessaires ; les phénomènes que l’on étudie se passent à des échelles de longueur (minuscules) et d’énergie (immenses), probablement définitivement inaccessibles à l’homme. Sur un plan moins fondamental, la “zoologie” des particules élémentaires reste complexe, le rôle du vide mystérieux. En macrophysique, il n’existe pas aujourd’hui de bonne théorie de la turbulence.

La chimie quantique, malgré ses progrès, ne peut en pratique permettre de comprendre les interactions complexes, si importantes en particulier pour les molécules biologiques.

En cosmologie, la théorie du big bang est étayée présentement par plusieurs faits scientifiques majeurs. Mais déjà les essais de relativité quantique remettent en cause l’idée même de l’existence d’un temps linéaire avant le temps de Planck (1O - 44 sec). Sur un tout autre plan, certains théologiens ont voulu déduire de cette théorie scientifique, évolutive, des confirmations de leurs idées sur la Création (confondant ainsi commencement et origine). Parallèlement astronomie et cosmologie sont encore pleines de questions non résolues et pourtant fondamentales : l’expansion de l’univers est-elle irréversible ? quelle est sa structure topologique ? y a-t-il une “constante cosmologique” ? si oui, quel est son rôle ? existe-t-il des “trous noirs”, gouffres de matière ? le système solaire est-il stable à l’échelle de quelques centaines de millions d’années ? (d’une façon plus générale, le déterminisme d’antan est remplacé, à mesure des progrès des études mathématiques sur les systèmes dynamiques, par la constatation que plus grand chose ne peut être prédit avec précision ; cela conduit à médiatiser la notion de chaos).

En biologie, la théorie de l’ADN rend compte de plusieurs faits majeurs : la synthèse des protéines, les mécanismes de l’hérédité. Mais on réalise de plus en plus que l’ADN du noyau cellulaire n’agit pas seul, que l’environnement joue un rôle. Comme partout en biologie, dès qu’on entre dans les détails, on constate des complications, des raffinements, des exceptions et des exceptions d’exceptions. Surtout, les mécanismes de l’ontogénèse restent en grande partie incompris.

Le darwinisme a bénéficié de nombreux apports (dont celui de la théorie de l’ADN) et est devenu la “théorie synthétique de l’évolution”. Plusieurs de ses idées maîtresses font l’objet d’un quasi-consensus : les êtres vivants, apparus sur la terre, dérivent les uns des autres par un arbre généalogique unique ; le hasard et la sélection naturelle jouent de concert un rôle essentiel dans l’évolution. En revanche, la doctrine traditionnelle, selon laquelle une succession de petites mutations peut expliquer la totalité de l’évolution, est de plus en plus contestée ; les très grands changements évolutifs sont constatés, non expliqués.

Les neurosciences enfin posent des problèmes majeurs : peut-on réduire les états mentaux à des processus cérébraux ? (c’est alors le “physicalisme identitaire” qui se rattache au matérialisme). Mais beaucoup de savants, même matérialistes, reconnnaissent l’existence d’un mental spécifique.

A partir de là, le savant se trouve entraîné dans des questions difficiles auxquelles il peut apporter sa contribution, mais qui le dépasseront nécessairement. :

Si l’évolution (et aussi l’origine de la vie) sont aussi peu expliquées faut-il (comme J. Monod) se satisfaire d’une telle improbabilité ? ou évoquer une Finalité ? De toute façon, il ne sert à rien de se réfugier devant un principe anthropique, recourant comme “explication” à l’hypothèse : il y a un nombre gigantesque (infini ?) de mondes possibles et nous sommes précisément sur celui où les “conditions initiales” ont permis la vie.

Encore moins expliqué : comment a pu émerger le cerveau humain ? (l’objet le plus complexe de l’univers !). Le cerveau est, fort justement, comparé à un ordinateur. Mais n’est-il qu‘un ordinateur ? Qui a établi son programme ? lui a donné du sens ?

Nous constatons une liberté, mais ne savons pas la rattacher à des phénomènes physiques. Le déterminisme, et encore moins le hasard, ne peuvent en rendre compte malgré certaines tentatives médiatiques de savants dépassant leur domaine de compétence.

Alain Stahl

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