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J.-S. Bach : Problèmes d'interprétation
Les programmes de concerts et le
marché du disque sont inondés d'uvres de Jean-Sébastien
Bach. Dans cette vaste production : que choisir, et dans quelle optique
? Les interprétations "baroquisantes" se vendent
bien. Les réalisations remontant à plusieurs décennies
font figure de monuments archéologiques et ont une valeur historique
de témoignage. Les grands chefs, les cantors et les organistes
spécialisés ont leurs critères, leurs effectifs,
leurs registrations pour le moins variables, leur lieu (Église
ou salle de concerts), préconisent les voix de garçons
(comme le Hannover Knabenchor, le Thomanerchor de Leipzig...) ou les
voix d'adultes. La finalité spirituelle doit passer au premier
plan, comme pour le Cantor de Leipzig qui uvre " Soli Deo
Gloria".
Les auditeurs ne peuvent plus "entendre comme au Moyen-Age,
à la Renaissance avec les divers tempéraments : pythagoricien,
zarlinien... puis tempéré égal (cf. Le clavier
bien tempéré à l'époque de Jean-Sébastien
Bach) qui a, en quelque sorte, déformé leur oreille
(on a du mal à réaliser que, selon le tempérament
en usage, un sol dièse sonne plus bas qu'un la bémol,
pourtant vérifié électroniquement). Le diapason
avec le la à 440 Hz est introduit en 1859 à l'Opéra
de Saint-Pétersbourg. Au XVIIIe siècle, le ton de chapelle
(celui de l'orgue) règne dans les Églises ; par exemple,
au temps de Bach, à Weimar, l'orgue était plus haut
que notre diapason actuel (selon Jacques Chailley, à peu près
un Si bémol , au point qu'il devait transposer les parties
d'instruments pour leur permettre de jouer avec l'orgue). Les accords
de certains instruments sont différents de la pratique du XXe
siècle. Les petites trompettes en Ré sont utilisées
pour l'aigu par J.-S. Bach, par exemple. La trompette aiguë (appelée
"trompette naturelle" (sans pistons) dans la Messe en Si
mineur, dans le deuxième Concerto brandebourgeois (cet instrument
disparaît à la fin du XIXe siècle au profit de
la trompette à pistons). Actuellement, les orgues sont accordées
en "tempéré égal", mais aussi en "mésotonique"
(cf. l'orgue Garnier à Metz...), parfois jusqu'à un
demi-ton plus bas, ce qui pose aux organistes des problèmes
pour l'accompagnement des instruments à vent, des cordes et
surtout de la voix : telle est brièvement esquissée
la situation à la fin du XXe siècle. Plusieurs conceptions
de l'interprétation coexistent.
Effectifs a l'époque de J.-S. Bach
J.-S. Bach disposait des "moyens du bord" : effectifs
de garçons issus de l'École Saint Thomas et du Collegium
musicum de l'Université. L'iconographie montre généralement
le Cantor dirigeant depuis son pupitre de jeunes garçons et
quelques adultes (tenors et basses). A son époque, l'instrumentarium
comprenait un clavecin à un ou deux claviers, un orgue qui
assure la basse continue dans les cantates religieuses et les Passions.
Dans les cantates profanes : le clavecin assumait ce rôle, et
le maître de chapelle dirigeait l'exécution depuis cet
instrument (ce qui n'est pas possible depuis l'orgue, car il tourne
le dos aux instrumentistes et aux choristes). Lorsque l'orgue est
en réparation, le clavecin le remplace.
Bach exploite largement les instruments à vent, par ordre
de préférence : les hautbois (oboe ) de tailles et de
tessitures différentes, les hautbois d'amour (oboe d'amore
) dont il privilégie le timbre, le hautbois da caccia pour
les parties de solistes ; les flûtes à bec (flauti),
la flûte traversière (flauto traverso ) comme instrument
soliste, le basson (souvent associé aux basses de l'orchestre
à cordes pour renforcer le grave). Les cuivres avec les dénominations
: tromba (trompette à coulisse), clarino , corno (trompettes
et cors), la trompette naturelle (qui ne sonne pas toujours très
juste), les cors ajoutent une touche pastorale ; les trombones par
4 ou 3 sonnent avec les flûtes à bec. Aux instruments
à vent s'ajoute la famille des cordes (violon, alto, violoncelle)
; selon Albert Schweitzer et l'iconographie, les archets étaient
très convexes.
Choix d'interpretation
Actuellement, plusieurs possibilités coexistent :
- L'interprétation au culte -par une chorale paroissiale-,
en liaison avec l'année liturgique, comme au temps de J.-S.
Bach à Leipzig, suivant la mouvance luthérienne. Dans
le cas d'"exécutions avec les moyens du bord",
ce qui compte, c'est la sincérité et la conviction
des interprètes, la justesse d'intonation et la diction précise,
même si les qualités les plus sophistiquées
ne sont pas atteintes.
- L'interprétation au culte, -par un chur semi-professionnel-,
en tenant compte de la sensibilité piétiste et orthodoxe,
de l'environnement à Leipzig, des effectifs et des moyens
dont disposait le Cantor qui devait diriger une cantate chaque dimanche
(d'où les emprunts à des uvres antérieures),
ainsi que des temps limités de répétition pour
les choristes et instrumentistes. Dans cette tendance, mais avec
une recherche interprétative plus poussée, se situe
la tradition de l'Église Saint-Guillaume à Strasbourg,
sous la dynastie des Münch (Ernest, puis Fritz), dans le sillage
de Karl Straube, lui -même proche de la tradition de Leipzig.
- L'interprétation en concert, par un chur professionnel
, avec des moyens plus importants, comme par exemple, le Chur
et l'Orchestre de Lausanne ou le Chur et l'Orchestre de la
Fondation Gulbenkian, sous la direction de Michel Corboz, selon
les critères assez traditionnels, avec des effectifs nombreux,
prenant en considération l'acoustique du lieu (par exemple,
à Lisbonne, le Monastère des Hiéronymites).
- L'interprétation "baroquisante" à la mode
depuis Nikolaus Harnoncourt (Gustav Leonhardt, Ton Koopman, Philippe
Herreweghe, René Jacobs, parmi d'autres...). Les chefs s'efforcent
de respecter les intentions de J.-S. Bach, de rechercher le phrasé
en cause, l'équilibre entre les voix et les instruments et
de créer, autant que possible, le paysage sonore du XVIIIe
siècle (pour des oreilles du XXe siècle).
En 1971, Nikolaus Harnoncourt précise que : «bien loin
d'être un recul en arrière, cette conception nouvelle
doit être comprise comme une tentative d'arracher cette admirable
musique ancienne à l'amalgame symphonique, de la libérer
de la sonorité "classique" et d'obtenir, grâce
à la transparence et à la différenciation des
instruments anciens, une interprétation véritablement
moderne. »
Édith
Weber
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