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Le refuge huguenot

L’historienne du XVIIe, siècle Michelle Magdelaine a effectué une longue recherche sur le Refuge Huguenot. Des résultats remarquables ont été obtenus grâce à l’outil informatique et une collaboration universitaire internationale. Cette base de données dont l’exploitation ne fait que commencer a permis de reconstituer les allées et venues de près de 25000 migrants protestants qui fuyaient les persécutions consécutives à la Révocation de l’Edit de Nantes (1685). En Suisse, de nombreuses traces de leur passage rappellent leur errance.

Michelle Magdelaine est particulièrement connue pour ses travaux sur la communauté réformée de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin), située en plein territoire luthérien.Or ses recherches l’ont conduite à Francfort où, en consultant un catalogue d’archives, l’historienne est tombée sur le répertoire de tous les “pauvres huguenots réfugiés” à qui l’on donnait assistance. Cette découverte l’a incitée à pousser son enquête et à dépouiller plusieurs années d’Assistance aux Huguenots du Royaume de France et des Vallées (du Piémont, à l’époque sous domination française). Ainsi va-t-elle dénombrer environ 46000 passages en dix ans, concernant 20 à 25000 Huguenots provenant de la France entière.

Grâce à la collaboration de collègues historiens d’autres pays, Michelle Magdelaine organise alors une équipe internationale de recherches. En Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande et en France, des étudiants et des chercheurs vont tenter de suivre à la trace les pérégrinations des Huguenots errants. Le résultat de ces travaux a produit une base de données qui ne contient pas moins de 240000 fiches sur le Refuge Huguenot. La base de données défend un intérêt majeur : appréhender un mouvement migratoire aussi important que celui de la diaspora huguenote qui a concerné de nombreuses familles, entraînant parfois avec lui des villages entiers, et qui n’est pas sans lien avec les mouvements migratoires actuels. Le départ de ces populations causa parfois - on le sait de longue date - des désastres économiques en raison de l’implication des réformés dans le secteur économique et industriel de l’époque.

Un curé accueillant envoyé aux galères

De ces recherches, il ressort que pour certains - les officiers de l’armée qui savaient qu’en Hollande ou à Berlin ils trouveraient du travail, et les grands entrepreneurs qui avaient établi avant la Révocation de l’Edit de Nantes des relations d’affaires internationales - le voyage fut relativement simple. Les choses furent moins aisées pour les gens du commun, les plus nombreux. La base de données constituée a permis d’établir que les gens, pour échapper à la mise sous tutelle de leur identité spirituelle et de leur conscience, décidèrent de partir, au péril de leur vie puisque l’exil leur était interdit.

Les recherches entreprises n’ont pas permis d’établir l’itinéraire suivi par ces fugitifs en France : le secret était bien gardé en raison des espions. En revanche, à partir de la frontière, les chercheurs ont pu retrouver leurs traces grâce à ces registres d’assistance aux Huguenots, ainsi qu’aux registres de mariages et de funérailles. De ces pérégrinations, l’historienne note un certain nombre d’analogies avec l’exode des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, notamment le recours aux passeurs dont certains sont honnêtes, tel le curé de Boué qui fut envoyé aux galères pour avoir aidé les réfugiés. D’autres encaissèrent l’argent sans fournir la prestation promise, certains dénonçant même leurs clients.

Accueil temporaire en Suisse

L’historienne se déclare étonnée de constater le relativement petit nombre d’arrestations entre 1685 et le début du XVIIIe siècle : 255 seulement, ce qui s’explique par le fait que les forces de police étaient assez restreintes à l’époque. Des errances relevées, M.Magdelaine note que la plupart des fugitifs continuent d’espérer jusqu’en 1697 - soit douze ans après la Révocation - que le roi reviendra sur sa décision. C’est pourquoi les réfugiés ne se fixent pas. Mais il est vrai aussi que certains pays ne souhaitent pas les voir s’incruster. Ainsi en Suisse, les cantons protestants déclarent vouloir aider volontiers les réfugiés, mais seulement pendant un temps donné. Un passeport appelé “attestation” leur est remis, qu’ils devaient montrer pour avoir accès à la Cène. Cette mesure devait les empêcher de revenir, une fois partis. Mais les Huguenots désespérés trouvèrent des moyens de contourner cette obligation et les chercheurs ont découvert la trace des allées et venues de nombreuses familles autour de St-Gall, Winthertour, Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds, etc.

L’Allemagne constituera également une terre de Refuge pour de nombreux Huguenots. Ce pays qui n’a pas retrouvé à cette époque le niveau de population qui était le sien avant la Guerre de Trente ans, se déclare ravi d’accueillir les fugitifs. Cependant, ces derniers auront de la peine à s’acclimater aux coutumes paysannes et sociales si différentes des leurs. Certains monteront jusqu’en Pologne, voire jusqu’à St-Petersbourg, espérant en vain s’y établir, et redescendront alors vers Francfort. Vers 1721, après la troisième vague d’émigration (la première se situe entre 1686 et 1698), on constate les premières fondations d’églises réformées d’origine française en Allemagne. Dans ces communautés, on parlait le français jusqu’à une date récente.

D’autres Huguenots gagnèrent la Hollande, pays qui a accueilli le plus de fugitifs protestans et d’où certains s’embarquèrent pour l’Afrique du Sud. Grâce à la base de données constituée, relève M.Magdelaine, les historiens ont pu répondre aux demandes généalogiques de bien des familles soucieuses de retrouver la trace de leurs aïeux qui préfèrèrent être chassés du Royaume de France plutôt que de rater leur entrée dans le Royaume de Dieu pour cause d’abjuration. Cet aspect n’est pas le moindre des intérêts d’une telle recherche, dont le fruit pourrait être la publication de thèses dans les années à venir.

Michelle Magdelaine

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