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La nuit réhabilitée

Un soir, nous étions dans un petit village de la France profonde. Tout à coup, à dix heures et demie, les lumières de la rue se sont éteintes. Panne de courant due à un orage ?Non, la commune coupait tout simplement son éclairage pendant la nuit. Habitués à la débauche de lumière de nos villes, les citadins de passage en étaient tout surpris, et même un peu perdus.

Lorsqu’on survole la France de nuit, c’est ainsi qu’on la voit : les grandes taches de lumières des villes, et puis quelques îlots éclairés, enfermés dans les ténèbres, apparemment sans communication entre eux.

Du coup, il y de moins en moins de lieux d’où l’on puisse bien regarder les étoiles, à cause de cette pollution lumineuse qui gêne l’observation. Il faut se retirer haut ou loin pour admirer la voûte étoilée. Pour la majorité de nos contemporains, peu importe d’ailleurs le ciel, ils préfèrent cette clarté artificielle qui les rassure. A l’époque où des autos sont guidées par satellites, l’étoile polaire a moins d’importance pour eux que de baigner dans ces lueurs plus ou moins vives qui chassent les démons. Au moment de l’éclipse du mois d’août, même en des régions où le soleil n’était pas entièrement obscurci, il y a eu des gens pour rester enfermés chez eux.Permanence chez l’être humain de réactions qui datent de millénaires, imprimées en lui depuis des temps immémoriaux !

A la suite de ces lointaines peurs religieuses, on pourrait penser retrouver dans la Bible, et en particulier dans l’Evangile la classique opposition : celle entre Lumières et Ténèbres, Bien et Mal. Ce dualisme est en effet présent dans beaucoup de religions, même quand il n’aboutit pas à l’adoration du Soleil.

Or la réalité biblique est plus nuancée. Certes, “Dieu est lumière”, mais l’inverse n’est pas vrai : la Lumière n’est pas dieu.Jésus a dit : “Je suis la lumière”. Mais cette phrase est une affirmation polémique, qui situe Jésus à une place incomparable, qu’aucune autre puissance ne peut occuper, pas même le dieu Soleil.

Dans l’Evangile, le sens de la nuit n’est pas simplement négatif (sans nous étendre sur la signification de la nuit dans la mystique chrétienne, ni les prolongements plus ou moins racistes).

L’évangile de Marc rapporte ainsi un très beau texte (1,32-34) : le soir, après le coucher du soleil, toute la ville est rassemblée à la porte. On amène à Jésus malades et “démoniaques”.Alors que les ténèbres règnent encore, la nuit de l’angoisse et du cauchemar est devenue la nuit de l’espérance et de la guérison. C’est ainsi une nouvelle création qui commence, avec un nouveau jour. Suivant la manière juive de décompter, la journée commence en effet à la tombée du soleil, quand paraissent les premières étoiles. Nous sommes donc déjà le lendemain du sabbat, c’est à dire le dimanche.Nous sommes déjà au huitième jour, celui qui deviendra le jour de la Résurrection, et celui du culte chrétien.

Cela éclaire un autre passage de Marc (4,35), souvent utilisé comme exergue à une annonce de décès : “Sur le soir, Jésus leur dit : Passons sur l’autre rive !” Ce texte était souvent entendu comme “soir” d’une vie, entrée dans la nuit de la mort. Alors que ce soir et cette nuit sont passage dans le monde nouveau du Règne de Dieu - dans le cas précis de ce récit de Marc, celui où les tempêtes sont apaisées et les frayeurs calmées. Quant aux récits de la Passion qui sauve le monde, ils se déroulent en majorité durant la nuit, depuis Gethsémané jusqu’aux ténèbres de midi à trois heures le lendemain.

D’où aussi les exhortations à veiller durant la nuit. Parce que c’est là durant la nuit que l’Epoux arrive (Matth. 25, 1-12 ; la parabole “des dix vierges” n’aurait aucun sens si elle se déroulait de jour).

Ainsi, distinguer le jour et la nuit comme le font nos contemporains, avec d’un côté la lumière qui est bonne, de l’autre les ténèbres qui sont mauvaises, est d’un dualisme trop simpliste par rapport aux Ecritures. C’est l’expression de religions très anciennes, maintenant l’être humain dans les terreurs du noir, réduit à se sauver par des lumières artificielles. La religion biblique n’a pas peur du noir, car “La nuit devient lumière autour de moi, même les ténèbres ne sont pas obscures pour Toi” (Ps. 139, 11-12).

Pierre Stabenbordt

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