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Repenser le mythe puritain

 

Les mythes ont la peau dure et l’histoire bien souvent fantasmée des puritains n’échappe pas à la règle. La surévaluation du rôle des passagers du Mayflower dans la mythologie des origines de l’Amérique, les expose, aujourd’hui encore, à tous les coups. Il est bien rare d’entendre une critique de l’Amérique qui ne soit pas aussi une critique du puritanisme. La Bible dans une main et le colt dans l’autre, le puritain est un prédateur qui détruit tout ce qui se dresse devant lui. Indiens, faune, flore, rien ne résiste à sa volonté de maîtriser l’espace synonyme de possible et de liberté. Le dos tourné à la vieille Europe dont il n’y a rien à attendre, il est obnubilé par la frontière qui, comme l’horizon, s’éloigne au fur et à mesure qu’il avance. À l’ouest, toujours plus à l’ouest. Quant à sa légendaire rigueur morale, elle n’est qu’hypocrisie. Et que dire de sa religiosité, de ces démonstrations de piété collective qui passent des cérémonies les plus austères aux larmes que seule la conversion peut faire couler. Sa religion confine au comble de la perversité, sous des allures d’humble pécheur, il sait qu’il fait partie des élus que son Dieu a prédestinés au salut de toute éternité. Par un contrat mystérieux, il est aimé de Dieu et la réponse à cet amour, la foi, est déjà un signe de l’élection. Contrairement à ce qu’affirme la thèse de Max Weber (1864-1920), sa rage d’entreprendre ne découle pas de cette relation mais de son amour de l’argent, son énergie n’est autre que l’appât du gain. On lui doit la transformation de l’Amérique en un immense marché dans lequel l’argent règne à égalité avec Dieu comme en atteste le billet vert : « In God We Trust ».

On pourrait étoffer à l’infini ce portrait à charge, tant notre époque est friande de raccourcis et d’amalgames. Comme toujours, l’histoire nous invite à revisiter cette suite de clichés de magazines de hall de gare. Dans ce qu’on appelle l’Amérique anglaise, les puritains ne sont pas seuls, ils forment une colonie parmi d’autres et sont principalement implantés dans le Massachussetts. La Pennsylvanie des Quakers, le Maryland à majorité catholique, la Caroline du Sud et du Nord, la Virginie ou encore la Géorgie pour ne citer qu’elles, sont, elles aussi, le berceau de l’Amérique. L’implantation et le développement des premières colonies nous apprennent que le Sud n’a pas attendu le Nord pour commencer l’aventure ; le ressentiment des États Confédérés n’en sera que plus grand lors de la guerre de Sécession. C’est pendant ce conflit fratricide, que les vertus puritaines vont être célébrées comme étant celles du Nord abolitionniste face au Sud esclavagiste. Le Mayflower, Thanksgiving, la figure de William Bradford (1590-1657), premier gouverneur de la colonie de Plymouth, arrivé au Cap Cod en 1620 et celle, dix ans plus tard, de John Winthrop (1588-1649) et son célèbre sermon : A model of christian charity, entrent dans l’arsenal rhétorique du discours politique américain pour ne plus jamais en sortir. Ces événements quelque peu oubliés deviennent, au gré des circonstances, les actes fondateurs porteurs intemporels des idéaux de la grande nation dont la destinée particulière consiste à être pour le monde entier : « Cette cité qui luit au loin sur la colline » (phrase extraite du sermon que prononça John Winthrop en 1630, avant de débarquer à Plymouth avec la deuxième vague d’émigration puritaine). L’Amérique existe par la volonté de Dieu. Elle est le phare qui éclaire le monde comme l’atteste la symbolique de la statue de la Liberté à l’embouchure de l’Hudson au sud de Manhattan. Les premiers puritains n’en demandaient pas tant et étaient loin d’imaginer qu’ils passeraient à la postérité avec une telle réputation faite à la fois de fascination et de détestation.

La maison sur le sable

Dans un livre posthume, Cape Cod, Henry David Thoreau (1817-1862) nous donne une tout autre compréhension de ces hommes et de ces femmes qui cherchaient un refuge pour tenter de vivre en conformité avec les principes bibliques tels qu’ils les comprenaient. Derrière le désir de pureté à l’origine du sobriquet dont ils seront rapidement affublés, se cache surtout une profonde émotion, une expérience qui parce qu’elle est intime peut prétendre à l’universel. C’est là tout le paradoxe et peut-être aussi la source d’une intolérance bien réelle. Deux siècles plus tard, Ralph Waldo Emerson se fait encore l’écho de cette bouleversante expérience : « Croire en notre propre pensée, que ce qui est vrai pour vous au fond de votre cœur l’est aussi pour tous les hommes, voilà où est le génie. Exprimer vos convictions latentes, elles deviendront universelles, car ce qui est le plus intérieur devient à la longue le plus extérieur ». Ce subjectivisme encore appelé personnalisme, on le retrouve aussi sous la plume de Walt Whitman (1819-1892) : « Solitude, identité et caractère font émerger l’âme et s’évaporer en fumée profession de foi, églises et sermons. Solitude, pensée et respect silencieux, ambition font que la conscience intérieure, telle une inscription tracée à l’encre magique jusqu’ici invisible, éblouit la conscience de l’éclat de ses lignes merveilleuses. Les Bibles ont beau transmettre, les prêtres interpréter, ce n’est pourtant que l’opération muette du Moi isolé qui permet exclusivement de rejoindre le pur éther de la vénération, d’atteindre les hauteurs divines et de communier avec l’indicible ». Thoreau, tout comme Emerson et les transcendantalistes dans l’ensemble, se sont montrés très critiques à l’encontre des puritains, mais lors de son dernier voyage au Cap Cod, il fait une différence entre ce qu’ont été leurs aspirations et ce qu’est devenue l’Amérique. Dans un passage relativement long, Thoreau revient sur l’arrivée des Pères Pèlerins, il cherche à reconnaître les lieux décrits dans les premières relations du débarquement de 1620, notamment celle de Bradford. C’est dans ce contexte presque anecdotique, qu’il commente le projet puritain : « Il faut bien avouer que les Pèlerins ne possédaient que peu des qualités du pionnier moderne. Ils ne sont pas les ancêtres des Américains des arrière bois d’aujourd’hui. On ne les voit pas s’enfoncer tout de suite dans la forêt, la hache à la main. Ils formaient avant tout une famille et une église, et leur premier souci était plus de rester ensemble, même sur le sable, que d’explorer et de coloniser le nouveau monde ».

Une famille, une église « même sur le sable ». Comment ne pas penser à la maison construite sur le roc en Matthieu 7, 24 – 27 ? Thoreau retourne-t-il la métaphore ? C’est possible car selon lui, le roc des puritains, ce sont la famille et l’église. L’église, toujours sans majuscule, s’entend ici dans son acception congrégationaliste, à savoir, le bâtiment, souvent très simple, dans lequel se réunit une communauté autonome élisant elle-même ses membres, ses responsables et ses pasteurs. La simplicité revendiquée à longueur de traités, de pamphlets et de sermons par les théologiens puritains ressemble à un catalogue à la Prévert de tout ce dont il faut se défaire pour parvenir à la pureté. Les querelles homériques autour du surplis, du signe de croix, de la manière de prendre la communion et plus globalement des pompes de la liturgie dépasseront les limites de l’espace puritain et feront les beaux jours de la littérature victorienne au dix-neuvième siècle. Le couple famille/église n’est pas seulement indissociable, il est surtout interchangeable, l’église comme famille et la famille comme église. C’est bien le rêve puritain et plus encore l’utopie à partir de laquelle ils espéraient créer le Nouveau Monde. Ce n’est pas la conquête qui les anime mais la volonté de vivre les Écritures dans tous les aspects du quotidien. Si, de nos jours, on ne reprend qu’avec prudence la thèse développée par Max Weber dans son livre : L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, il a cependant bien perçu ce qui était au cœur du rêve puritain. Ils n’ont pas seulement insisté sur le travail comme accomplissement de la vocation, ou encore compris la richesse comme bonne à condition de ne pas se reposer dessus, mais de la réinvestir ; ils ont voulu abolir la séparation classique entre profane et sacré. Il y aurait bien des choses à dire sur les conséquences de l’abolition de cette séparation qui semble tellement naturelle, mais plus encore sur les illusions qui en découlent.

 

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À propos Philippe Aubert

est pasteur de la paroisse Saint-Paul à Mulhouse.

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