Si la philosophie française jongle avec les concepts, la philosophie américaine s’enracine dans le quotidien, dans le vécu. C’est à partir de l’expérience du quotidien que des philosophes comme Stanley Cavell (1926-2018) tirent une sagesse qu’ils font partager à leur lecteur au moyen de récits, de descriptions, plutôt que d’analyses abstraites.
Henry David Thoreau (1817-1862) n’est pas pour rien dans cette façon d’être philosophe. Son travail, qu’on ne peut guère différencier de son existence, fut une plongée dans son environnement. Thoreau fut un explorateur de la nature dans laquelle il s’était installé et, ce faisant, il fut un explorateur de l’âme humaine car, se confronter à la nature, c’était le moyen de mettre en évidence la nature humaine. Entreprendre le grand voyage vers les profondeurs de l’être fut sa grande affaire. Nous y avons accès par ses récits qui nous embarquent dans son aventure au long cours. Philippe Aubert nous en montre la teneur et les enjeux dans ce dossier qui révèle un penseur pour notre temps.
En effet, toutes nos théories ne se cassent-elles pas le nez face au défi écologique actuel, face aux enjeux planétaires ? Les discours théoriques aident-ils vraiment les uns et les autres à prendre conscience de la gravité de la situation ? La critique d’une société jugée trop consommatrice de technologie et d’énergie conduit-elle à des changements d’attitudes réels ?
Force est de constater que les discours alarmistes qui s’appuient sur des théories passent au-dessus des personnes qui ne sont pas convaincues. En revanche, la philosophie du quotidien développée par Thoreau et ses contemporains nous enseigne qu’il serait sans doute plus efficace d’ouvrir les yeux sur la création que de faire peur, si nous voulons des changements de comportement significatifs à l’égard du monde. Découvrir notre monde, et l’aimer, passionnément, au point d’en découvrir des aspects qui transcendent ce que nous pouvions imaginer, voilà qui pourrait nous convertir à de meilleurs sentiments. Aller à la rencontre de notre monde, de notre voisin, de soi, est la meilleure manière de devenir responsable.
La philosophie de Thoreau ne nous dit pas ce qu’il faut faire ou ce qu’il faut impérativement éviter. Son effort porte sur la révélation de la nature profonde du vivant, de notre maison commune, pour en souligner la beauté tout aimable. Il s’agit de porter un regard neuf sur tout ce qui fait notre vie, pour en déceler ce qui est illusoire, ce qui ne mérite pas d’être entretenu ou, au contraire, pour saisir ce qui est éternel et en vivre. C’est un regard de foi que Thoreau porte sur le monde, un regard qui remarque toutes les servitudes auxquelles nous nous soumettons et qui rendent notre existence impossible, un regard qui repère ce qui relève de Dieu et suscite la vie.
À lire les articles de Philippe Aubert « Se convertir au monde d’après avec Henry Thoreau » et « Cap Code »
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