L’enfer et le paradis ont-ils encore un sens au XXIè siècle ?

L’enfer et le paradis sont, à bien des égards, des notions dépassées, des mythes. Les enseigner discrédite les Églises et en éloigne beaucoup, écœurés par la culpabilisation qu’apportent en la matière leur enseignement doctrinal et une pastorale de la peur. De toute façon, on ne peut plus aujourd’hui localiser l’enfer sous terre et le paradis au Ciel, pas plus que Dieu d’ailleurs. Il s’agit, pour être crédibles, d’inscrire, tant que faire se peut, notre foi et nos croyances dans les contextes scientifique et culturel actuels.

Cela dit, il y a hélas tous ceux, plus nombreux qu’on ne le pense, dans des courants plus ou moins sectaires, qui sont convaincus de la vérité presque matérielle de l’Au-delà et adhèrent à l’idée d’un petit nombre d’élus, dont ils font, bien entendu, partie, « ajoutant l’odieux au ridicule », comme l’écrit en 1945 l’exégète Philippe H. Menoud dans Le sort des trépassés.

On trouve certes des textes bibliques avec des menaces terrifiantes (voir par exemple Mt 13,42 et 50 ; 18,9). Il convient d’inscrire ces pages dans une analyse historico-critique et dans des contextes qui ne sont plus les nôtres. Ces passages nous sont sans cesse opposés, à nous qui ne croyons pas à des peines éternelles et qui affirmons, ne serait-ce que par simple honnêteté intellectuelle, que nous ne savons rien de l’après-mort.

Cependant, les croyances concernant la vie future disent en réalité quelque chose de vrai concernant notre vie présente. D’abord, la proclamation de l’enfer et du paradis a participé pendant des siècles, sous l’autorité du clergé, et participe encore aujourd’hui, sous le charme ou la férule de gourous, à une entreprise lucrative ; des sujets soumis, et terrorisés, s’ouvrent ainsi par leurs dons les portes du paradis. Ensuite, le salut pour soi et l’enfer pour les autres correspond à un égoïsme suprême conduisant à gagner le Ciel en passant sur le corps des autres. C’est là un enfermement contraire à l’esprit généré par l’amour du prochain. Le salut, s’il faut s’exprimer ainsi, n’est-ce pas en effet premièrement celui des autres ? Enfin, l’enfer est bien une réalité présente avec le visage terriblement ensanglanté de l’histoire. Le projeter dans l’Au-delà est parfois une manière de nous en détourner et de nous résigner, au lieu de combattre pour transfigurer, dans une œuvre créatrice, notre monde en chantier. C’est ce qu’a fait et nous montre Jésus. L’enfer appartient à notre temps. Nul besoin d’une éternité infernale pour le vivre, ni de rêves paradisiaques pour l’ignorer.

Avec l’idée de l’enfer, on attribue en réalité à Dieu un ensemble de sentiments qui sont nôtres, morbides, faits de haine, de vengeance et même d’un certain sadomasochisme. Il s’agit donc toujours de les surmonter en nous. On m’a fréquemment déclaré que l’enfer et le paradis n’ont rien à voir avec la justice d’un Dieu vengeur et cruel mais trouvent leur justification dans une liberté originelle et fondamentale que Dieu nous accorde pour ne pas nous faire entrer de force dans le paradis. Ainsi, l’homme suscite l’enfer plus qu’il n’y est précipité. Dans une telle perspective, l’enfer, c’est l’homme livré à lui-même et non pas l’homme tombé entre les mains de Dieu. Mais je crois, pour ma part, que c’est l’amour divin qui est plus fort que toutes ces résistances, que tous nos refus. Oui, je crois que « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15,28). Telle est ma foi en un salut universel. Pour moi, Dieu est amour, présent et ultime, ou il n’est pas.

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