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La liberté de conscience

 

Comme Dominique Avon le souligne dans le dossier de ce mois, l’émergence de la liberté de conscience est un processus long et complexe. Dans cette histoire, la figure du philosophe huguenot Pierre Bayle (1647-1706) joue un rôle qui n’est pas mince. Sa réflexion, bien sûr, est importante et son Commentaire philosophique (1686) demeure incontestablement l’un des plus impressionnants plaidoyers en faveur de la tolérance : la religion, y écrit-il, est « affaire de conscience qui ne se commande pas. » Mais derrière l’argumentaire décapant du « philosophe de Rotterdam » et par-delà sa place dans l’histoire de la tolérance, il me semble important de rappeler ici deux éléments. Le premier, c’est que le propos de Bayle plonge ses racines dans une réalité : celle de la persécution des protestants français, qui voit la prétention à détenir la vérité de Louis XIV se traduire par une politique de répression dans laquelle viols, meurtres et déplacements de populations ne sont que des expédients mis au service d’une conviction religieuse. Et si Bayle écrit contre la politique religieuse du Roi Soleil, dont il respectera pourtant toujours l’autorité, c’est d’abord parce que lui-même a été touché dans sa chair : chassé du royaume, il a vu son frère pasteur mourir dans les prisons de Louis XIV. Or, face à la dignité de la vie humaine, la prétention à détenir la vérité ne devrait jamais faire le poids. Cela, Bayle l’a appris par son expérience.

La deuxième chose que nous ne devrions jamais cesser de méditer, c’est que ce que Bayle conteste, c’est une légitimation de la persécution fondée sur l’Écriture elle-même. Depuis saint Augustin, en effet, les défenseurs de la contrainte en matière religieuse s’étaient fondés sur la parabole de Jésus (Luc, 14,15-24) dans laquelle un maître, qui a convié beaucoup de monde à un banquet et n’a vu personne répondre à son invitation, ordonne à son serviteur d’inviter tous ceux qu’il trouvera dans la rue : « contrains-les d’entrer, afin que ma maison soit pleine ». Quand on connaît les conséquences de ces paroles, on ne peut s’empêcher de penser que Luc aurait mieux fait de se taire… Mais par-delà cette conclusion un peu vaine, ce qui importe, c’est de se souvenir d’une part que toute religion et tout texte fondateur de religion peut susciter la violence et que, d’autre part, il y a une chose plus importante que la vérité, sa religion ou ses convictions les plus fermement ancrées : la vie.

À lire les articles de Dominique Avon « Liberté de conscience et religieux »  et Yadh Ben Achour « Unissons-nous pour la liberté de conscience, contre le meurtre de l’esprit ! »

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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