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Une immense volonté de violence

 

On aime à répéter que les religions sont des vecteurs de paix et que ceux qui en tirent une justification de la violence en dévoient l’orientation fondamentale. D’aucuns diront plutôt que certaines religions sont sources de conflictualité alors que d’autres sont essentiellement pacifistes. Un coup d’œil même rapide à l’histoire des religions montrera que toutes ces perspectives, qui se fondent souvent sur une lecture décontextualisée des textes fondateurs des grandes religions, sont sinon fausses, du moins très largement partielles. Le livre de Denis Crouzet, dont je ne saurais trop recommander la lecture, en est un témoignage historique parlant. Durant les guerres de Religion qui déchirèrent la France du XVIe siècle, de nombreux enfants catholiques, souvent très jeunes, participèrent à la mise à mort, à la torture ou à la mutilation de protestants, dans des mises en scènes macabres qui n’ont rien à envier aux plus lugubres toiles de Goya. Véritable plongée dans l’horreur d’une époque glaçante, agrémentée d’aller et retour vers des témoignages contemporains (en particulier liés au génocide du Rwanda), l’étude de Denis Crouzet met bien en évidence cette « immense volonté de violence » qui parcourt alors la société catholique française et qui suppure dans le comportement de ses enfants. C’est que, fondamentalement, l’enfant est pour l’adulte le signe, le témoin et le porteur symbolique d’une espérance religieuse – ici, celle d’une France « toute catholique », pour citer Pierre Bayle, et donc débarrassée de ses hérétiques. Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette violence enfantine n’est pas l’apanage du seul catholicisme français puisque, comme le note l’auteur en conclusion, on en retrouve les traces sous la Révolution avec ces bambins venus « jouer » avec les ossements des rois de France ou le crâne du cardinal de Richelieu. De là à voir dans l’idéal révolutionnaire un messianisme sécularisé, il n’y a qu’un pas qui en dit long sur la fluidité du « religieux » mais aussi sur les ressorts violents qu’il est toujours susceptible de déployer. Une conclusion que l’on ne saurait trop méditer, surtout de nos jours.

Denis Crouzet, Les enfants bourreaux au temps des guerres de Religion, Paris, Albin Michel, 2020, 336 pages.

 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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