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Le « respect de la vie » extraits du sermon du 24 novembre 1918

 

Pour la cinquième fois [depuis 1914], alors que l’automne s’apprête à céder la place à l’hiver, il nous faut faire mémoire non seulement de ceux qui sont morts emportés par l’âge, par la maladie ou par un accident, mais aussi de ceux qui, au cours d’une guerre meurtrière, sont tombés frappés par la main d’hommes. Comment sont-ils morts ? Un coup de feu a traversé leur corps et ils se sont vidés de leur sang ; durant des jours, ils se sont consumés dans les gémissements, accrochés aux fils de fer barbelés, sans que nul ne puisse leur porter secours ; ils sont morts de froid nuitamment, sur une terre gelée ; des explosions les ont ensevelis ou les ont projetés dans les airs après les avoir déchiquetés ; en bouillonnant, l’eau a entraîné par le fond le bateau sur lequel ils se trouvaient ; ils se sont battus contre les vagues jusqu’à l’épuisement ou, enfermés dans la cale, se sont arc-boutés contre ses parois, apeurés et impuissants. Quant à ceux qui ne sont pas morts sur terre ou dans l’eau, ils sont rentrés chez eux, après avoir souffert à l’hôpital militaire mille tourments durant des semaines et des mois, pour être contraints de lutter avec la vie et l’existence d’un estropié. […]

 Comment célébrer leur mémoire ? […] Je crois qu’il nous faut – nous autres hommes de tous les peuples – leur promettre quelque chose. Que leur mort n’a pas été vaine. […] Désormais, alors que nous regardons la guerre comme quelque chose de passé, ceux qui ont été sacrifiés se tiennent comme une troupe au sein de laquelle il n’y a plus de différence de race ni de nation, comme des êtres humains qui sont unis dans la douleur et la souffrance, et qui exigent de nous quelque chose.

 C’est par notre faute qu’ils sont morts. C’est avec bien trop de légèreté [, avant la guerre,] que l’on songeait, dans tous les peuples, au bienêtre et aux maux de l’individu. On avait trop peu de considération pour la vie humaine, cette valeur mystérieuse et irremplaçable. On parlait de manière bien trop insouciante de la guerre et de la détresse qu’elle engendre. On était habitué à calculer le nombre de vies humaines que coûterait tel ou tel succès, et l’on glorifiait et l’on célébrait cette absence d’humanité. C’est alors qu’advint ce qui devait advenir, mais dans des proportions mille et mille fois plus effroyables que ce qu’on avait imaginé. […]

 Nos enfants devront puiser dans notre expérience et garder tout au long de leur vie, comme un héritage qui leur a été légué, la conviction que le commandement « Tu ne tueras point » a une valeur bien plus fondamentale que les gens qui nous ont éduqués et que nous-mêmes ne le pensions. […] Que le respect de la vie et de la souffrance humaines – même à l’égard des plus humbles et des plus obscurs d’entre les hommes – soit désormais la loi d’airain qui gouverne le monde !

(Albert Schweitzer, Predigten 1898-1948, Munich, Beck, 2001, p. 1208-1210 ; traduction M.A.)

 

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