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Helen Prejean ou la banalité du bien

 

On la connaît mieux sous les traits de Susan Sarandon dans La dernière marche (Dead Man Walking) de Tim Robbins. Helen Prejean est une figure hors-norme : née en 1939, soeur de saint-Joseph, entrée dans les ordres en 1956 (avant Vatican II !), elle a d’abord voué sa vie à l’accompagnement des pauvres avant de débuter un ministère en prison à partir de 1981. Sollicitée pour écrire une lettre à Elmo Patrick Sonnier, condamné à mort pour le meurtre de deux adolescents, elle finit par l’accompagner jusqu’à sa mort sur la chaise électrique en 1984. C’est cette histoire qu’elle raconte ensuite dans un livre, bientôt porté à l’écran puis à la scène sous la forme d’un opéra. Helen Prejean continue aujourd’hui encore sa lutte de tous les instants pour que la peine de mort soit abolie. À plus de quatre-vingts ans et malgré la pandémie, elle est toujours présente sur les réseaux sociaux et dans les médias, ne cessant de sensibiliser le public au sort des détenus.

Il faut dire que c’est aujourd’hui plus que nécessaire, tout particulièrement depuis le début de l’année 2020. De janvier à novembre 2020, quinze « exécutions » ont ainsi eu lieu aux États-Unis alors que depuis dix-sept ans, un moratoire s’était imposé pour les crimes relevant du niveau fédéral. Parmi ces condamnés, on compte William Emmett, qui a été mis à mort le 22 septembre dernier et était parrainé par l’ACAT – il avait entretenu des liens épistolaires avec des militants d’Épernay et de Reims. La raison de cette recrudescence ? Comme le souligne Anne Boucher dans le dernier numéro du mensuel Humains (novembre-décembre 2020), c’est la conséquence directe de la présidentielle qui s’est achevée en novembre dernier. En juillet 2019, Donald Trump a en effet mis fin de manière totalement arbitraire au moratoire sur les exécutions qui dépendaient du niveau fédéral des États-Unis – les États fédérés restent quant à eux souverains en cette matière, même si le président peut suspendre des exécutions relevant de leur juridiction. Or, toutes les interdictions ont été levées à partir d’avril 2020. La raison est bien sûr politique : alors que la pandémie faisait rage et que la présidentielle approchait, il s’agissait pour Donald Trump de caresser sa base conservatrice dans le sens du poil. Cela se comprend, puisque 41% des condamnés à mort sont d’origine afro-américaine alors que ces derniers ne représentent que 13% de la population totale des États-Unis. Pire : plusieurs des condamnés sont impliqués dans un crime mais n’ont pas eux-mêmes donné la mort. Au moment d’écrire ces lignes (9 décembre 2020), Brandon Bernard, impliqué dans un meurtre alors qu’il n’avait que dix-huit ans, attendait sa mise à mort pour le lendemain, journée consacrée aux droits de l’homme.

Récemment, Helen Prejean écrivait sur twitter : « La peine de mort a complètement faussé le sens de la justice dans notre société. Tout ce qui n’est pas une exécution est décrit comme “indulgent” lorsque le gouvernement a le pouvoir de tuer. […] La peine capitale n’est que la pointe de l’iceberg en matière d’injustice dans notre système pénal et judiciaire. » Malgré cette situation désastreuse sur le plan des droits de l’homme, Helen poursuit sa lutte depuis son petit appartement, plaidant pour une justice restaurative et ne cessant de démonter la logique mortifère qui se cache derrière la peine de mort (qu’elle associe à une forme de torture). Ne nous imaginons pas, en effet, nous qui vivons dans un pays qui célébrera bientôt les quarante ans de l’abolition de la peine de mort, que nous serions à l’abri de son retour. En 2013, de passage au Canada (pays qui a également aboli la peine de mort), Helen rappelait avec une parfaite lucidité : « les questions de droits de l’homme peuvent si facilement s’éroder… » Chacun de nous est susceptible de passer du côté des défenseurs de la peine capitale : « il y a une partie de nous, de chacun de nous, qui se dit : ces gens méritent de mourir pour ce qu’ils ont fait. » Car ce qu’Helen Prejean pense être à la racine de la peine de mort, c’est ce ressort profond de la violence qui se trouve caché au fond de chacun de nous. Mais plus fondamentalement encore, Helen Prejean aime à rappeler l’importance de la grâce dans un engagement qu’elle conçoit comme une forme de fidélité à Dieu, à son prochain et à l’Évangile. Pour elle, se battre pour l’abolition ne passe pas forcément par de grands actes de bravoure. Face à la banalité du mal, elle aime à mettre en valeur la banalité du bien : c’est en commençant par écrire une petite lettre que sa vocation est née et a fini par renverser des montagnes.

 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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