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Emmaüs : retour vers le futur Luc 24, 13-35

 

En suivant un procédé de récits enchâssés avec lequel les écrits bibliques semblent familiers, le texte raconte des personnes qui racontent des événements passés. Dans cette itinérance narrative, le rapport au temps s’inscrit ici dans deux espaces distincts : la route et la demeure. Sur la route, les deux disciples qui rallient le village d’Emmaüs entretiennent une conversation. Ils ressassent les faits qui se sont déroulés à Jérusalem autour de Jésus, celui qui avait suscité tant d’espoir en eux. Voilà ce qui caractérise leur marche : ils sont en lien l’un avec l’autre à travers cette discussion (le verbe grec est homilein). Simple bavardage homilétique, écoute fraternelle, débat enflammé : c’est peut-être par tous ces registres à la fois que passe leur entretien mutuel, mais plus que jamais le pain de la route est un pain partagé qui les garde en relation l’un avec l’autre. Voilà le dernier rempart contre la dépression qui semble fondre sur eux. Car leur mine sombre est éloquente, au moment où ils sont rejoints par cet inconnu qu’ils vont associer à leurs échanges. La mise en abîme rhétorique semble alors perdre les deux disciples dans ses profondeurs, lorsqu’ils rapportent le témoignage de femmes qui leur ont raconté que des anges leur avaient dit que Jésus était vivant, mais que cela n’avait pas pu être confirmé par des frères… Le regard qu’ils portent sur cette expérience est celui du dés-espoir, de l’espérance effilochée puis détricotée. La route accompagne alors leur relecture résignée des événements au fur et à mesure qu’ils s’en éloignent, comme ils s’éloignent de la ville où tout s’est arrêté pour eux.

C’est là que le texte nous fait un clin d’œil. Car le récit apporte une bonne nouvelle, un Évangile concentré en un bout de verset que les lecteurs contemporains que nous sommes – aussi aveugles que les deux d’Emmaüs – pourraient bien trouver anodin : Jésus, s’étant approché, faisait route avec eux. (v. 15) Le Ressuscité que nul n’a encore vu est là, et il marche aux côtés de ces disciples dont le cœur et l’intelligence ne sont pas encore passés par le feu d’une vraie rencontre. Cette bonne nouvelle est donnée dès le début. Comme les braises qui n’attendent qu’un souffle d’air pour se raviver, elle couve en attendant que les écailles tombent de nos yeux. De résignée, la relecture devient alors herméneutique, créatrice de sens : Jésus – le Ressuscité – advient dans les Écritures comme il vient sur le chemin et dans le cœur des disciples.

Tout est prêt pour le temps de la halte, désormais. À la nuit tombée, une demeure spirituelle ouvre ses portes aux deux voyageurs afin qu’ils restent dans la présence du Ressuscité. Le moment décisif de la reconnaissance est celui qui connecte à la mort et à la résurrection du Christ, dans le partage du pain : la liturgie eucharistique qui ne dit pas son nom et que Jésus offre à ses compagnons agite ici un signal aussi manifeste que possible pour les inviter à cette vraie rencontre, comme elle y convie le lecteur. Alors connaître et voir prennent une toute autre ampleur. Il ne s’agit pas de découvrir des choses cachées, mais d’accéder à une perception du monde – et de sa propre expérience dans le monde – éclairée par l’ardente présence du Ressuscité.

Mais la demeure n’est pas une prison. Elle est un lieu d’expérience pour reprendre la route et entrer dans le mouvement dialectique de la foi, entre abandon et audace, visitation et apostolat. Il y a même une certaine urgence à se lever pour rencontrer l’aujourd’hui du monde et féconder son devenir. Le retour des deux disciples à Jérusalem n’est pas une marche arrière, ils ont leur propre récit à incarner et ils avancent eux-mêmes au-devant d’une bonne nouvelle à recevoir des autres : réellement, le Seigneur est ressuscité ! (v. 34) Ensemble, ce ne sont plus des cœurs lents à croire mais embrasés par la vie, qui mettent en commun leurs récits et composent la première Église dans son dessein origine

 

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À propos Geoffroy Perrin Willm

est pasteur de l’Église protestante unie à La Rochelle et l’Île de Ré. Il a commencé son ministère à Nancy en 2010 après un engagement important dans l’animation jeunesse (éclaireurs unionistes, Le Grand Kiff).

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