À la fin de l’année 1682, alors que les périls montaient, le pasteur Jean Désaguliers, ministre du Saint Évangile à Aytré, près de La Rochelle, avait dû fuir, laissant sa femme enceinte de quelques mois.
Il avait alors gagné Londres où une communauté huguenote était déjà organisée. Pourtant, une fois sur place, il décide de s’y faire anglican, sans doute dans un souci d’intégration. Reçu diacre, puis prêtre par l’évêque de Londres, il est envoyé presque aussitôt à Guernesey, une île anglo-normande où l’on parlait principalement français.
C’est là qu’il se morfondait lorsque, quelques mois après son arrivée, sa femme et son jeune fils, né le 12 mars 1683, vinrent le rejoindre. L’enfant avait été baptisé au « Grand Temple » de La Rochelle en l’absence de son père, sous le nom de Jean-Théophile.
C’est donc d’abord à Guernesey, puis vers l’âge de dix ans à Londres, ses parents ayant rejoint la capitale anglaise, qu’il fit ses premiers pas, apprenant l’anglais en même temps que le français, une langue que son père ne devait jamais cesser de lui parler. Le pasteur exilé servit encore dans la paroisse française réformée de Swallow Street comme lecteur mais son fils, Jean-Théophile, sera définitivement anglais et anglican. Pour autant, ce dernier n’oubliera jamais ses origines françaises et ne se départira pas non plus d’une hostilité à peine dissimulée à l’encontre du catholicisme qui avait contraint sa famille à l’exil.
Dès 1705, on retrouve le jeune homme, brillant sujet, au collège de Christ Church, à Oxford, où il cultive le latin, le grec et se prend de passion pour la « philosophie naturelle », c’est-à-dire dire la physique. En ce temps-là, le maître incontesté de cette science est Isaac Newton : Désaguliers sera tout le restant de sa vie un newtonien passionné.
Installé à Londres en 1712, où il va bientôt se marier, sa carrière devait se situer dans le sillage du grand savant. Dès 1714, il est « Curateur aux expériences » de la Royal Society, alors présidée par Newton. Pour s’assurer des revenus, il entre enfin dans l’état ecclésiastique. Le Révérend Désaguliers, latitudinaire et libéral, allait devenir une figure en vue de la bonne société londonienne : il sera même Chapelain du Prince de Galles. On ne lui connaît que deux prédications, dont l’une prononcée devant le roi : il y énonce que le système de Newton confirme l’Évangile, et que le gouvernement britannique est le plus chrétien des régimes politiques !
C’est en 1719 enfin qu’il devient le Grand Maître d’une confrérie d’origine artisanale alors en pleine mutation, la Grande Loge de Londres, dont il sera l’un des théoriciens et un pilier pendant plus de vingt ans. Il verra en elle une institution religieusement tolérante, loyale envers les autorités, où les Anglais de toutes opinions et confessions pouvaient enfin fraterniser après des décennies d’interminables conflits politiques et religieux. Scientifiquement à la pointe de son temps, religieusement sage, politiquement conformiste, il a illustré brillamment le type de ces huguenots qui, chassés de leur patrie contre leur gré, avaient fait de l’Angleterre une nouvelle Terre sainte. Il y a développé et fait connaître, dans un large cercle à la fois intellectuel et mondain, son idéal d’une société religieusement apaisée, ouverte au débat des idées, humaniste et fraternelle dont le rêve, à ses yeux, s’était brisé en France.
À sa mort, en 1744, sa Bible familiale renfermait, selon l’usage protestant, tous les événements survenus dans sa maisonnée depuis plus de quarante ans : toutes les entrées y étaient rédigées en français.
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