À bâtons rompus

Peu de temps après le déconfinement, un taxi nous a conduits, ma femme et moi, jusqu’au cabinet de notre médecin spécialiste habituel. La conversation fut facile. Notre chauffeur avait acquis une solide formation universitaire, cependant abstraite, alors qu’il cherchait à toucher au concret de la vie. Il était donc devenu chauffeur d’ambulance. Apprenant que j’avais été pasteur avant ma retraite et que mon épouse avait été professeur des sciences de la vie, il nous dit aussitôt son refus d’une religion prétendant à la réalité de la résurrection et la soumission à un clergé exclusivement masculin. « Mais ce que je crois fermement, conclut-il, le bouddhisme me l’a appris. Vous, pasteur, qui avez approché la mort de près par votre pratique des ensevelissements, vous devez comprendre que l’on croie, comme moi, à la réincarnation. »

Mon épouse et moi avons mesuré l’attachement de tout un chacun à une survie après la mort. Il est évident que le langage chrétien aujourd’hui est devenu inadapté à notre temps, mais la soif d’une survie mal comprise n’est pas davantage acceptable. Nous étions arrivés chez le médecin et notre conversation s’arrêta là.

Assis ensuite dans le cabinet du cardiologue, nous eûmes droit à une diatribe violente contre les professeurs paresseux refusant de faire classe pendant la pandémie, alors que les médecins et tout le corps médical avaient choisi d’affronter la contagion virale en face. Père de famille, il avait dû supporter ses propres enfants à la maison pendant tout le confinement ! Cette réflexion n’entama point notre confiance totale en sa qualité professionnelle et je lui ai dit combien il avait contribué à ma survie après un triple pontage cardiaque. Levant alors un doigt vers le ciel, il répliqua « Je n’y suis pour rien, c’est lui, là-haut, qui a tout fait. »

En deux heures, nous avons ainsi rencontré la forme religieuse la plus répandue. Décidément, avons-nous pensé, nous n’avons pas le même Dieu. Il est urgent de répandre la conviction en notre Dieu qui est au-dessus de Dieu, l’ultime qui dépasse les dieux des religions.

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