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Déboulonner les statues

 

Près de chez moi, une statue de Colbert a été taguée d’un « négrophobie d’État » rageur. Derrière ce cri contre le ministre de Louis XIV qui a préparé le « Code noir » encadrant l’esclavage aux Antilles, se tient une question passionnelle : que faire des statues de personnages qui ont participé, voire contribué, à des injustices ? La question est complexe. Les souffrances des victimes de l’histoire sont réelles mais on ne peut les effacer et la mémoire est essentielle. L’Écriture condamne toute statue, potentielle idole religieuse comme le veau d’or ou totalitaire comme celle du roi de Babylone – bibliquement, détruire l’idole est un acte de foi et de libération – mais les statues sur nos places publiques ne sont pas des idoles. Notre tradition protestante est marquée par l’iconoclasme du XVIe siècle, quand les images étaient détruites dans les églises car elles faisaient obstacle à la Parole de Dieu, mais tout mouvement de foule est dangereux.

Pour sortir de l’émotion qui paralyse la discussion, il me semble important de penser quatre dimensions. La distinction entre les faits et l’honneur qu’on veut leur rendre ; une statue n’est pas l’histoire mais elle l’interprète. La complexité de chaque personne ; nul n’est parfait, chacun a des grandeurs et des failles, aucun héros n’est sacré. La tentation de chercher notre identité dans le passé alors que l’Évangile nous appelle au mouvement : sortie d’Égypte, résurrection, l’Esprit qui bouscule à Pentecôte. Le fait que l’histoire, toujours, est écrite par les vainqueurs et qu’il est sain d’entendre ceux qui sont encore aujourd’hui victimes d’injustice et de racisme. Pour ma part, je ne suis pas contre le déboulonnage de statues. Qu’on le fasse ou non, cela dit le monde que nous voulons construire. Sacraliser des personnes ou des faits, c’est devenir statue de sel comme la femme de Loth morte d’être restée bloquée dans le passé. S’engager dans la dynamique du Royaume de Dieu, c’est accepter que nos cœurs de pierre deviennent cœurs de chair. Dans les temples réformés, pas de statue de Jésus, la croix est nue pour dire la dynamique de vie qui jaillit de l’Évangile et porte l’espérance, au-delà du culte, pour la terre entière.

 

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À propos Christian Baccuet

est pasteur de l’Église protestante unie de France, actuellement en poste à Paris, paroisse de Pentemont-Luxembourg.

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