Avant de saluer un détenu dans son lieu de vie modeste, je franchis une… deux… trois… voire jusqu’à dix portes les unes après les autres ! Toutes ces portes, synonymes de fermeture, d’exclusion ou de rejet, ne s’ouvrent qu’à distance ou par un surveillant qui parfois m’accompagne. Paradoxalement, seule celle du détenu est ouverte lorsqu’il se trouve dans le cellulaire.
Un univers à part
L’univers carcéral est un monde très peu connu. On le sait, ça existe mais ce qui s’y passe échappe à ceux « du dehors ». L’un des premiers constats que j’ai faits en arrivant est que le temps en prison semble s’arrêter… Attendre que les choses se passent. L’avocat ne vient que rarement… trop rarement. On dit parfois aux détenus qu’ils ont prochainement rendez-vous avec quelqu’un du service carcéral ou avec le juge d’instruction ou avec un médecin… Mais rien n’est jamais vraiment garanti dans ce milieu. Ils attendent avec beaucoup d’impatience, mais aussi d’appréhension, la visite d’un proche ou d’un ami qui « ose » venir les voir à la prison… La date fixée pour le procès semble loin, très loin et est souvent ressentie comme un poids bien trop lourd à porter !
La prison est peut-être considérée comme un lieu où le détenu « répare sa faute » ou encore le lieu où la société rend justice à la victime… incontestablement. Quoi qu’il en soit, toute condamnation ou incarcération sont aussi des expériences par définition traumatisantes… Le bruit très désagréable de ces portes qui se ferment inlassablement fait partie de mon quotidien. Je m’y suis habitué et je ne les perçois plus vraiment… J’ai de l’estime pour les surveillants qui se donnent la peine de refermer les portes des cellules avec délicatesse en faisant le moins de bruit possible. Si les portes métalliques sont une nécessité, il existe une autre porte bien plus significative, celle du cœur. Ce que je désire avant tout en tant qu’aumônier est de dénicher la clef du cœur des détenus, ce qui me permet une rencontre dans la confiance et la profondeur. Si mon interlocuteur vit des moments de qualité, il est plus apte à supporter son enfermement. Combien de fois ai-je entendu des phrases comme : « Merci beaucoup d’avoir passé un moment avec moi… n’hésitez pas à revenir, la porte est toujours ouverte pour vous. » Ou encore : « Ça m’a vraiment fait du bien de discuter avec vous, vous ne pouvez pas vous imaginer… » Un certain nombre de détenus n’a que peu de contacts avec un aumônier, d’autres le voient comme une ressource ou un appui sur lequel ils peuvent s’appuyer.
La relation aux détenus
« Monsieur l’aumônier, je vous écris ces quelques lignes pour vous dire à quel point vous êtes important pour nous et tout le bien que vous nous apportez dans ces moments difficiles que nous subissons, vous nous permettez de garder la foi ; grâce à vous je garde le courage et l’espérance, depuis que je vous ai connu, il y a quelque chose qui a changé en moi… » Cette phrase, tirée d’une lettre d’un détenu adressée à un aumônier, synthétise en quelques mots l’essence même de ce ministère. La notion de la foi en Dieu prend une toute autre dimension lorsque l’on a été arrêté. Des discours « moralisateurs » ne servent pas à grand chose. Il s’agit avant tout d’oser se poser de vraies questions existentielles, celles qui renvoient à soi, celles qui permettent de comprendre la profondeur et la complexité de notre existence…
Lors de mes entretiens, j’ignore souvent la raison pour laquelle la personne a été arrêtée. Je préfère dans un premier temps ne pas le savoir pour que la rencontre avec le détenu n’en soit pas affectée. Le secret professionnel garantit une impartialité bénéfique dans le dialogue. Un aumônier étant la seule personne au sein de la prison qui ne doit pas rendre des comptes sur le contenu des échanges ni à la justice ni à l’établissement, une certaine confiance est possible entre lui et le détenu.
À chaque rencontre avec l’un d’eux, je m’efforce d’être accessible pour entendre sa souffrance, ses moments d’incompréhension ou son ras-le-bol. Il peut y avoir quelque chose du Christ qui a avant tout rencontré la personne pour ce qu’elle était malgré les critiques des « justes » qui n’avaient pas besoin de médecin… J’estime que la place et le rôle de l’aumônier au sein du système carcéral sont très importants. Souvent, les directions et le personnel nous rappellent que nous sommes très appréciés et reconnus dans notre fonction. Selon les circonstances, je rencontre un détenu seul dans sa cellule ou je mange un repas dans un secteur. Cela me donne alors l’occasion de croiser d’autres prisonniers qui peuvent mettre un visage sur l’aumônier et faire tomber d’éventuelles appréhensions. Notre offre est gratuite et elle n’influence en rien la procédure carcérale des détenus. J’ai fréquemment des contacts avec des « non-chrétiens », ou des « non-croyants » voire des personnes d’autres religions. Je me dis qu’ils ont tout autant besoin de parler à quelqu’un « du dehors » ayant le souci du respect et de l’écoute. Par mon ministère, j’espère faire prendre conscience à la personne incarcérée, quel que soit son délit, qu’elle demeure une personne aimée par Dieu, ayant une dignité et le droit au respect.
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