En quelques jours, nous sommes passés de l’indifférence face à un ennemi invisible et éloigné, à la crainte puis à la stupéfaction. Le monde compte (au moment où j’écris ces lignes) plusieurs milliards de confinés, et nous avons encore du mal à réaliser l’ampleur de ce qui se passe dans les hôpitaux et les EHPAD. La période de pandémie que nous vivons modifie nos habitudes de vie professionnelle ou familiale. Ce virus, qualifié de « tsunami » sur les chaînes d’actualité en boucle, nous submerge littéralement. Aussi n’ai-je pas pu m’empêcher de relire, dans la Genèse, le texte du déluge qui a inspiré tant d’images d’Épinal où, sur un esquif, un éléphant hagard croise une girafe incrédule et un lion médusé. Nous en sommes tous à cet état de sidération.
Le plus frappant dans ce récit, n’est pas le déluge en lui-même mais le comportement des humains avant les premières pluies. Ils vivaient alors dans l’insouciance et n’avaient que faire des nuages sombres qui se profilaient au-dessus de leur tête. Malgré les avertissements, ils étaient totalement désinvoltes, avides, sans s’inquiéter du lendemain. Dieu confie alors une mission à Noé : construire une arche dotée d’une seule fenêtre et y entrer afin de préserver la race humaine et des espèces animales d’une extermination complète (Gn 7, 8).
Nous savons que les eaux emportèrent tout sur leur passage à l’exception de l’arche. La question n’est pas de savoir si ce récit est vrai, si c’est une fiction ou une réalité. Mais ce texte ne nous dit-il pas que Noé et ses compagnons se sont alors confinés ? Pour au moins 40 jours, le temps du déluge, soit peu ou prou la période dans laquelle nous sommes entrés.
Dans la période historique que nous vivons, je tire quelques enseignements de ce récit biblique mondialement connu. Nous savons que les animaux sauvegardés en couple font figure de fertilité. Toute proportion gardée, ce temps de confinement peut être fécond : un temps pour renaître, lire, aimer, méditer ou tout simplement pour œuvrer différemment. Cette arche personnelle, dans laquelle nous devons patienter, nous interroge sur notre mode de vie marqué par l’hyper immédiateté, sur notre rapport au temps où nous voulons tout, tout de suite, et tant pis si cela a des conséquences désastreuses sur notre environnement et parfois sur nos équilibres mentaux.
Lorsque le mauvais temps s’apaisa, Noé ouvrit l’unique lucarne qui laissait passer la lumière. Je me surprends à regarder par la fenêtre, attitude d’improductivité, c’est-à-dire absent de l’ère de l’immédiateté qui nous oppresse. Regarder par la lucarne, laisser notre regard suspendu au-delà d’une ouverture n’est pourtant pas synonyme de perte de temps. Quand nous cherchons à regarder par la fenêtre, nous ne cherchons pas à découvrir le monde extérieur. Nous voulons simplement naviguer à travers les flots de l’introspection. Peut-être alors atteindrons-nous notre intérieur en quête de nouvelles réflexions quant au monde qui nous entoure.
Ce récit du déluge qui dévaste tout sur son passage n’est pas l’acte d’un Dieu punisseur. Certes, il peut sembler brutal, tant il est contraire au message de paix dans l’Évangile. Mais il n’a pas vocation à nous culpabiliser : il tente de nous ouvrir les yeux. Ce déluge est une forme de baptême : ce qui est balayé, ce n’est pas l’humain mais l’être nuisible qui est en chacun de nous. Et nous reconnaissons alors, dans ce texte, non un Dieu vengeur, mais l’Éternel qui aime chacun d’entre nous. Même si nous n’en avons guère conscience, ce texte révèle un Père qui nous soutient en nous invitant à entrer dans l’arche, comme le dit Jésus (Matthieu 24, 38). À nous confiner ! Malgré nos insouciances, malgré nos suffisances, l’Éternel ne désespère pas de nous. Il y a pourtant de quoi ! En confinement ou dans la barque de Noé, il ne nous abandonne pas. L’Éternel ne nous abandonne jamais ! À l’annonce de la venue de Pâques, il tente de nous ressusciter, en nous sortant de nos égoïsmes mortifères. L’Éternel nous invite, dans ce récit, à espérer, à agir pour venir en aide, soutenir un voisin isolé, à porter un regard différent sur le temps. À l’image de Noé, cloîtré dans sa barque improbable, notre confinement est une chance pour nous même. Une chance d’aimer tout simplement.
Cette vie nouvelle se donne déjà à voir. En cette période de carême, la pandémie doit être bien sûr prise très au sérieux, mais elle nous donne l’occasion de faire le tri entre le superficiel et l’essentiel, de nous ouvrir vers une existence tournée vers l’humain et la planète. La lucarne de Noé est cette petite lumière qui est en nous. Elle est allumée au fond de notre être. L’Éternel nous éveille dans l’adversité, comme il l’a fait pour Noé. Il nous ressuscite comme il le fit pour Jésus. Il nous invite par la lucarne à notre conversion. Et comme Noé, sortirons-nous après le temps nécessaire, de notre arche intérieure, libres, lavés et nouveaux ? Osons croire que dans la parole libératrice de l’Évangile, cette vie nouvelle devienne réalité.
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