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Des prières ajustées

 

En traduisant Schleiermacher, j’avais été heureusement surpris par son souci, dans ses pages sur la prière, de bien ajuster les demandes que nous adressons à Dieu. Si nous les lui adressons au nom du Christ, disait-il en substance, nous ne pouvons plus lui demander n’importe quoi, mais ce qui justement correspond à l’enseignement de Jésus. Donc pas de prières égoïstes ou indûment intéressées, mais « que ta volonté soit faite », ce qui implique de nous mettre dans la mesure de nos moyens à vivre et agir selon la volonté de Dieu telle que nous pouvons la comprendre à la lecture des évangiles.

Autre bonne surprise en traduisant les très longs commentaires de Zwingli aux thèses discutées lors de la dispute réformatrice de Zurich en 1523 : il consacre des pages et des pages à convaincre ses lecteurs qu’ils doivent adresser leurs prières directement à Dieu, et non à ses saints ou bienheureux. Car recourir à leur intercession, c’est n’avoir pas confiance en l’Évangile du Christ qui nous assure avoir un accès direct auprès du Père. C’est partir de l’idée que, comme si souvent dans la vie courante, il est toujours préférable d’accompagner nos démarches auprès des puissants de ce monde par les recommandations que nous sommes susceptibles d’obtenir d’autres personnages supposés avoir leur oreille. Inspirons-nous au contraire de l’exemple de ces saints et bienheureux, et comme eux mettons toute notre confiance en Dieu dès lors que, comme le dit l’épître aux Hébreux, nous avons « libre accès » auprès de lui.

Dans le même ordre d’idées, bien des protestants de France ou de Suisse romande ont été surpris, à l’arrivée des premiers « missionnaires » méthodistes anglosaxons venus ré-évangéliser l’Europe francophone après la tourmente révolutionnaire et napoléonienne, de les entendre adresser leurs prières à Jésus et non directement à Dieu le Père, comme c’était rigoureusement l’habitude dans les Églises réformées.

Depuis lors, cette manière de prier a essaimé jusque dans nos liturgies de tradition réformée. À juste titre ? Le visiteur de passage qui entend le pasteur ou le fidèle de service adresser les prières de l’assemblée au « Seigneur », sans autre précision, est en droit de se demander de qui il s’agit : de Dieu le Père ou de Jésus le Christ ? Et de se rappeler que Jésus lui-même a conseillé à celles et ceux qui l’écoutaient de s’adresser à Dieu en ces termes : « Notre Père qui es dans les cieux… » Jamais il n’a donné à entendre qu’on puisse s’adresser indifféremment à Dieu le Père ou à lui-même, fût-il « à la droite de Dieu ».

Nous pouvons et devons bien sûr partir de l’idée que Dieu, en vrai Père et non en tyran, accueille toutes les prières, même les plus mal formulées, même les plus « païennes ». Mais ce n’est pas lui qui a besoin de prières, c’est nous. La conviction de Schleiermacher, de Zwingli… et la mienne est que, pour notre bien, nous avons intérêt à des prières bien ajustées qui, ainsi, aident à vivre

 

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

2 commentaires

  1. argaud.woro@gmail.com'

    Le mensuel de juin -juillet était vraiment remarquable. J’y est particulièrement apprécié les articles de :
    – Pierre-Olivier Léchot sur Calvin et les femmes au tombeau – Humilité et promesse de la prédication : des enseignements très interessants à la fois sur Calvin et sur la prédication. Cet article est à la fois très intéressant mais aussi utile au prédicateur, dans le concret. Remarquable.
    – James Woody sur Conseiller de paroisse ministère d’exigence : qui donne à réfléchir avec humour à cette fonction si particulière et importante. Très clair et utile.
    – Pierre-Olivier Léchot sur Libéralisme et piétisme : simple, percutant… et qui permet de réfléchir à sa propre foi et ses propres choix… comme ses doutes ! Vivifiant…
    – Bernard Reymond sur la prière : concis, décapant, une réflexion nécessaire
    Merci beaucoup à chacun des auteurs et à toute la rédaction pour ce mensuel si passionnant et « nourrissant » pour notre foi !
    Emmanuel Argaud

  2. Merci pour ces commentaires que je transmets aux intéressés pour les stimuler : ne nous reposons pas sur ces lauriers. Avec mon amitié, James

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