Le rabbin Delphine Horvilleur livre son troisième ouvrage, construit selon la même méthode que les deux précédents : une grande attention aux textes bibliques, un style enlevé, des liens avec le monde actuel. C’est au problème de l’antisémitisme qu’elle se consacre dans ce livre, mais en réalité elle détricote aussi les fils de toute haine. Il ne s’agit pas pour elle d’étudier les productions antisémites mais de chercher comment la littérature juive traite de cette question. Delphine Horvilleur écrit : « La lecture que le judaïsme fait de la haine antijuive offre un point de vue inédit :la parole subjective de celui qui transmet cette expérience à la manière d’une mise en garde et d’un avertissement aux nouvelles générations, sur la résurgence du mal, et la possibilité de s’en relever. » Pour raconter l’expérience du mal, l’auteur parcourt par exemple différents livres bibliques (Esther, la Genèse, le Deutéronome, les Chroniques) et déroule sous les yeux de son lecteur l’histoire de la haine à l’égard du peuple d’Israël qui habite certains personnages. Pour les lecteurs de la Bible que sont (en théorie du moins) les protestants, il devrait être plaisant de regarder faire cette femme rabbin : les livres qu’elle étudie sont aussi les nôtres et nous avons beaucoup à apprendre de l’exégèse rabbinique. Pour raconter la possibilité de se relever du mal, Delphine Horvilleur se concentre sur la construction des identités. Le livre est plein d’humour (ce qui, pour un tel sujet, est une prouesse) mais également grave. Il se termine sur des pages qui évoquent l’antisémitisme tel qu’il s’exprime actuellement. Il est salutaire de lire certaines affirmations sous la plume d’une intellectuelle : la lecture du monde selon un schéma dominant / dominé est irrecevable, l’idée qu’un « nous » pourrait dire l’identité d’un groupe se construit sur l’effacement des individualités, ou encore « l’appropriation culturelle » (qui consiste à reprocher à certaines personnes, identifiées comme appartenant à un groupe pensé comme dominant, de reprendre des éléments perçus comme appartenant à la culture d’un groupe pensé comme dominé) présuppose une pureté des identités non seulement illusoire, mais hautement toxique. Ce livre est un traitement de choc contre les idéologies identitaires.
Delphine Horvilleur, Réflexions sur la question antisémite, Paris, Grasset, 2019, 162 pages.
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