Soyons clairs : la destruction de Notre Dame de Paris est une catastrophe. Culturellement et historiquement, c’est une perte inestimable dont l’importance ne saurait être minimisée. Sur le plan religieux, c’est un drame pour toute une communauté, celle des catholiques de France et de ceux qui se sentent plus ou moins proches d’eux. Passant sur le Pont Royal lundi soir, j’ai moi-même pleuré en voyant les flammes lécher la poutraison multiséculaire de la vieille dame. Mais l’émotion ne doit pas nous dispenser de toute réflexion.
On peut bien sûr interpréter cet événement et les réactions qu’il a suscitées de bien des façons. Ce qui me frappe, c’est la célérité avec laquelle sont remontés à la surface les discours sur les racines catholiques de la France, cette France « toute catholique », comme la décrivait Pierre Bayle au lendemain de la Révocation. Les chaînes d’information ont ainsi laissé se répandre ceux qui se sentaient autorisés à mettre en cause le « multiculturalisme », l’« individualisme » voire même le « matérialisme » des gouvernements qui se sont succédé depuis plus de vingt ans à la tête du pays et dont la politique mortifère se serait vue invalidée, d’un coup d’un seul, par la ferveur populaire suscitée par les flammes de Notre Dame. Le tout porté par la survie « miraculeuse » des reliques de la flèche de la cathédrale…
Incontestablement, l’histoire de France est liée de près à l’histoire du catholicisme européen. Mais affirmer que cette histoire ne serait que catholique et que la ferveur populaire viendrait nous le rappeler est un leurre dangereux. D’abord parce qu’historiquement, cela n’est pas vrai. Comme si tout ce qui avait existé avant le baptême de Clovis n’avait pas vraiment existé, comme si l’héritage celtique et romain ne conditionnait pas l’identité de la France à travers le temps. Comme si notre pays n’avait pas compté des communautés juives depuis près de deux millénaires. Comme si le christianisme médiéval était identique au catholicisme post-tridentin et que le gallicanisme pouvait être associé sans autre au catholicisme ultramontain. Comme si les communautés protestantes existant depuis cinq siècles n’étaient pas légitimement françaises et que les musulmans n’avaient pas contribué à notre histoire… On pourrait poursuivre cet inventaire à la Prévert sur plusieurs pages, tant sont nombreux les éléments non-catholiques qui, quoique souvent minoritaires il est vrai, sont venus enrichir, féconder et construire une identité française à la fois plurielle et unie.
Dire cela, je le sais, c’est courir le risque d’être taxé tout à la fois de défenseur du confessionnalisme protestant le plus bas et d’apologue du multiculturalisme le plus échevelé. Ce risque, je le cours pourtant, car le vrai danger n’est à mon avis pas là. Il réside dans l’aveuglement que peut causer l’émotion qui s’est de nouveau saisie de nous. Or je crois justement que cette effervescence populaire nous aveugle : elle ne signe pas le grand retour de l’identité catholique de la France. L’effervescence qui gagne la rue est en réalité le fruit d’une époque désespérément en quête de sens et qui se précipite sur les événements marquants du moment pour les vivre « avec intensité », mais sans trop se demander ce qui se joue en réalité. En 2015, c’était « la France des terrasses » qui était attaquée et qui devait continuer vaille que vaille à faire la fête. En 2019, c’est la France des parvis de cathédrale qui est appelée à reprendre le devant de la scène, à s’agenouiller et à prier. C’est en ce sens que cette effervescence m’inquiète car elle témoigne en vérité d’une vacuité identitaire abyssale se traduisant par une préoccupante versatilité. Et, comme à chaque fois, ceux qui ont intérêt à récupérer l’événement ne sont jamais loin. Il suffisait d’écouter hier soir la président de Sens commun jubiler de moralisme sur une chaîne d’information pour s’en persuader.
Certes, parmi ces foules chantant devant la fournaise de « la forêt » se trouvaient des catholiques fervents dont la foi mérite d’être saluée parce qu’elle a été touchée au cœur. Mais parmi ces nombreuses personnes regardant la cathédrale partir en fumée, j’ai vu aussi des joggeurs désoeuvrés et des badauds en trottinette, tous armés de leurs smartphones et expliquant qu’ils s’arrêtaient parce que « ce n’est pas tous les jours qu’on voit brûler Notre Dame ». Ce n’est pas au martyre de l’histoire de France et de son catholicisme réel ou fantasmé que ces passants assistaient mais à un happening… en attendant de passer, justement, à autre chose. Que l’on me comprenne bien : nous avons le droit de pleurer Notre Dame. Et je la pleure comme beaucoup, en parfaite sympathie envers mes frères et mes sœurs catholiques. Mais je ne me résous pas à communier avec la « France des parvis », pas plus que je ne me sentais appelé à m’identifier à celle des « terrasses ». Car la France, ce n’est pas un place vide, parvis ou terrasse, sur laquelle on passerait. C’est une destinée, « immense et exceptionnelle » comme disait De Gaulle. Or une destinée, cela ne se traverse pas. Cela se porte, les pieds rivés sur le sol de l’histoire, certes, mais en regardant résolument vers demain.
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Merci ! Oui un grand merci, vous dites mieux que je n’aurais su le faire ce que je ressens actuellement. Ce grand concert de pleurs finit par ne plus permettre d’être simplement affligée par cet incendie. Et cette prétendue communion avec les Chrétiens que répètent les media, oublie qu’on peut essayer d’être chrétien-ne sans se sentir une attache particulière avec la dévotion à N.D.
L’inculture religieuse de beaucoup de nos contemporains, journalistes en tête, permet cette occupation de l’espace médiatique à bas frais. Les images étaient impressionnantes et les pompiers ont été admirables, nul n’est mort dans cet incendie et c’est merveilleux. Le chantier s’annonce énorme comme les sommes déjà promises pour la reconstruction.
D’autres actualités mériteraient certainement la suspension de toute vie médiatique …
Quelle opportunité pour l Église catholique de lutter et de se reformer !
Dans les difficultés que nous vivons ne pourrait elle pas de demander à garder cette cicatrice – témoignage
et la securiser simplement.
Quelle bonne occasion ,belle occasion!
En guise de fraternité. tout cet argent recueillit serait bien utile,
Abbé Pierre a dit ……..batiments…….ses pauvres