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Evangile et liberté en mai 1968

Samedi 11 mai 1968, 10 heures du matin. Je sors du Lycée Saint Louis, boulevard Saint Michel à Paris, où je suis interne, et je remonte jusqu’à la place Edmond Rostand. Tout n’y est que désolation, les grilles des arbres et de la fontaine du centre de la place sont arrachées, les pavés de la chaussée défaits et entassés en restes de barricades, avec un amas de voitures brûlées, et cette odeur âcre qui stagne encore des grenades lacrymogènes utilisées dans la charge de la police. En remontant la rue Gay Lussac, le même spectacle se répète, avec de nombreuses barricades encore présentes. Beaucoup de badauds déambulent, qui viennent constater ces restes d’un champ de bataille, laquelle a duré une partie de la nuit peu après deux heures du matin quand la police a donné la charge pour dégager ces barricades.

Comment en est-on arrivé là ? Tout a commencé une semaine plus tôt, le vendredi 3 mai, lorsque la police est entré dans la Sorbonne pour l’évacuer sur ordre du Recteur qui craignait des affrontements : un meeting s’y tenait en soutien des étudiants de Nanterre, dont la Faculté venait d’être fermée, et les militants d’extrême droite d’Ordre Nouveau remontaient le Boulevard Saint Michel pour « nettoyer la Sorbonne des crapules gauchistes ». Cette intervention de la police a mis le feu au poudre : il régnait un consensus à l’Université, où, au nom de franchises médiévales, la police ne pouvait y entrer. Et la Sorbonne est fermée. Aussitôt, des échauffourées éclatent dans le quartier latin, et des étudiants sont arrêtés, avec parmi eux des étudiants catholiques qui sortaient d’une réunion qui se tenait au Centre Richelieu, le centre des étudiants cathos de la Sorbonne, place de la Sorbonne. Après le week-end, le lundi 6 mai la première d’une série de manifestations qui vont se dérouler tous les jours au cours de la semaine, va se déployer avec des affrontements extrêmement violents avec la police dans tout le quartier latin. Et à la fin de la cinquième, le vendredi 10 mai, mot d’ordre est donné aux manifestants d’occuper le quartier latin : dans une ambiance festive, on s’assoit sur la chaussée, on discute, on chante et puis au bout d’un moment l’idée vient, pour se protéger de la police, d’ériger des barricades. Et vous connaissez la suite.

Le lundi 13 mai Paris sera envahi par une marée humaine qui, de la gare de l’Est à la place Denfert Rochereau défilera pendant toute la journée, avec comme mots d’ordre la réouverture de la Sorbonne et la libération des étudiants emprisonnés. C’est ainsi que commença cette formidable épopée pseudo-révolutionnaire de Mai 68 qui verra en partie le monde étudiant et le monde ouvrier se rejoindre, mais surtout sera l’occasion d’une formidable libération de la parole, d’une remise en cause de « l’ordre bourgeois » prônant une libération sexuelle, avec tous les slogans qui sont restés célèbres : sous les pavés la plage, il est interdit d’interdire, prenez vos rêves pour des réalités …

Et pendant ce temps là, qu’écrivait Evangile et Liberté ? Nous avons retrouvé les deux numéros de juin 1968 (le journal était bi-mensuel) parce qu’avec les délais de publication, les numéros de mai étaient encore muets sur la question. Pour commencer, je me suis attaché à la lecture des deux éditoriaux (qui résument au mieux la ligne d’un journal) des numéros du 12 et du 26 juin 1968. Vous les retrouverez intégralement ici:

  1. Editorial du 12 juin
  2. Editorial du 26 juin

L’éditorial du numéro du 12 juin, sans titre, le premier à évoquer les événements de mai 68, me surprend beaucoup : évoquant « une crise de l’être, une crise de la personne humaine et, au plus profond, une crise du sens de son existence », l’éditorialiste Paul RICHARDOT s’attache à développer un plaidoyer de la ligne d’Evangile et Liberté, en mettant en avant que l’ « on retrouve l’Evangile et la Liberté chaque fois que l’amour commande les comportements humains, chaque fois que les hommes se rencontrent, acceptent de participer à la pensée, au mouvement intérieur de la vie des autres. » Bien sûr je ne peux que souscrire à cette idée, mais c’est pour moi une telle évidence que je la trouve en complet décalage avec ce qui s’est passé il y a 50 ans. Et de conclure en évoquant notre foi qui « doit se manifester en geste de solidarité et d’estime humain, en souffle de l’Esprit ». Je dois dire que je m’attendais à un autre éditorial, mais je trouve très intéressant et très significatif du contenu du journal, que ce soit ainsi qu’y ait été évoqué l’esprit de Mai 68.

Le deuxième éditorial, celui du numéro du 26 juin, s’intitule « DIALOGUE ». Et de fait l’éditorialiste Pierre ANDRE souligne dans une première partie l’importance de la prise de parole qui s’est généralisée, et surtout des échanges qui se sont manifestés pendant cette période entre des personnes qui se côtoyaient sans se rencontrer, en insistant sur le fait que des hommes très différents ont essayé « d’écouter les autres ». Et dans une deuxième partie, il reprend cette idée en regrettant que cette pratique du dialogue soit absente de notre Eglise. Il regrette que, si les « synodes et colloques sont l’occasion de débats de très haute tenue et très enrichissants pour ceux qui y participent », ils sont de « fort peu d’échos dans le peuple protestant qui les ignore ». Il propose, à l’opposé du « monologue dominical du pasteur du haut de sa chaire », que « soient créées et multipliées les occasions de rencontre entre les membres des paroisses si différents entre eux ». Quelle bonne idée ! Et alors, cinquante ans après, est-ce que ce dialogue s’est instauré dans notre Eglise, entre nous tous, et avec nos pasteurs, et avec nos représentants synodaux ?

Par contre je ne comprends absolument pas ce que vient faire l’encadré qui figure en première page avec cet éditorial qui parle des « intermédiaires humains » « auxquels Dieu à recours », qui n’a rien à voir avec le sujet et qui me parait singulièrement déplacé.

Cette confrontation des idées exprimées dans Evangile et Liberté avec ce que l’on retient cinquante ans après de mai 68 nous montre combien il n’est pas facile de s’exprimer « à chaud » sur des événements qui de fait font maintenant partie de l’histoire. D’autres articles présents sur le site permettent de saisir d’autres aspects de ce qui reste en mémoire de mai 68, un récit de cette époque émaillé d’éléments d’analyse, texte très riche, assez équilibré, propice à la réflexion et à la découverte de bien des auteurs, penseurs, idées… et un texte d’une tout autre nature, qui évoque la faculté de Vincennes et l’esprit qui animait certains étudiants et professeurs. C’est un texte qui permet de proposer une finalité à l’université.

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À propos Bernard Calvino

Né en 1950, Universitaire à la retraite, Professeur de Neurophysiologie honoraire, spécialiste de la douleur.

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