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Un regard de chrétiens sur l’esclavage

 

Cet ouvrage réunit les contributions de onze chercheurs autour de la question de l’esclavage. Dans la brève introduction rédigée par l’unique femme de l’ouvrage, Josépha Faber-Boitel, la ligne est décrite : il faut porter sur l’esclavage un « regard de chrétiens » (p. 15). Selon Faber-Boitel, cette perspective délibérément chrétienne permet de trouver un « chemin de vie et de réconciliation » (p. 13) et d’éviter les écueils de sentiments « compassionnels ou victimaires » (p. 13).

L’article qui ouvre le volume, celui de Sébastien Fath, revient sur les facteurs qui ont contribué à la prise de conscience de la France quant à l’esclavage. Il regrette que les méthodes des associations de défenses des droits afro-antillais se concentrent sur les discriminations liées à la couleur de peau et remettent en cause un universalisme « désintéressé » (p. 39). À la lumière du récent mouvement Black lives matter, sa critique soulève la question de l’universalisme, souvent perçu comme blanc et mâle.

L’article de Jacques Buchhold revient sur la position de Paul quant à l’esclavage. Il soutient que si Paul ne peut concevoir un monde sans esclavage, ses écrits contiennent en germe la possibilité d’une libération (d’abord spirituelle, ensuite sociale) des esclaves. Alain Nisus travaille lui la perception de la noirceur dans les textes bibliques, et remarque que la Bible n’offre pas de prise aux idéologies racistes. Dans l’article de Bernard Salvaing, un extrait d’un ouvrage publié précédemment, on découvre une réflexion sur la façon dont les missionnaires anglais et français perçoivent la traite négrière. Jean-François Zorn complète cette analyse avec un examen détaillé du rôle du protestantisme français dans l’esclavage. Pour lui, les protestants français rallient la cause de l’abolition seulement à la suite des protestants anglo-saxons.

Après ces quatre articles plutôt historiques, les quatre chapitres suivants proposent une approche liée à la littérature. Frank Bourgeois analyse quatre ouvrages rédigés par des esclaves et qui réfléchissent le rapport à la religion. Majagira Bulangalire revient sur la question de savoir « comment certains penseurs des Lumières ont souffert d’une sorte d’amnésie » (p. 144) par rapport à la situation africaine, et ne s’y sont donc pas opposés. Jacob Labeth analyse la question de l’esclavage comme un « incontestable lieu de mémoire » (p. 153) dans la littérature antillaise contemporaine. Cette conservation du passé dans la fiction participe d’une stratégie de résistance, qui permet d’utiliser le passé pour « construire un avenir différent » (p. 164).

Cette attention aux stratégies de résistance est approfondie dans la contribution de Philippe Chanson. Il y montre avec nuance et précision comment « la situation imposée par l’esclavage et la colonisation […] a finalement forcé […] à des capacités de reprises insoupçonnées » (p. 177). Son article fait percevoir les complexités liées à la traite négrière et est attentif aux réseaux de pouvoir qu’elle construit, concluant par une présentation de la créolité comme « vision prophétique du passé » (p. 211) qui échappe à des crispations territoriales et propose une identité archipélique.

Les deux derniers chapitres, celui de Daniel Maximin et d’Olivier Abel, reproduisent des interventions orales. Tous les deux réfléchissent à la question de la mémoire. Maximin met en avant la dimension d’oubli centrale dans la traite négrière, pour assurer qu’« on n’arrive pas homme sur les côtes d’Amérique » (p. 217). Abel revient sur le lien entre mémoire et oubli à partir de Paul Ricœur, pour essayer de trouver une voie entre les « politiques du ressentiment » (p. 232) et celles de l’oubli. Pour cela, il faut faire place à une pluralité de récits et à un travail de mémoire qui offre un espace pour le dissentiment.

Jean-Claude Girondin (éd.), Nouveaux regards sur l’esclavage, Tharaux, Empreinte temps présent, 2015, 260 pages.

 

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À propos Valérie Nicolet

est professeur de Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie (faculté de Paris). Ses recherches portent sur la littérature paulinienne, en particulier les images familiales employées dans l’épître aux Galates. Elle est aussi intéressée par la façon dont les textes bibliques ont un effet sur la culture contemporaine. (photo A. Arroyo)

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