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Ne vous conformez pas au monde présent (Romains 12,2)

 

Une bonne recette de prédication, comme aussi de discours politique, une technique qui a fait ses preuves, est de partir de l’analyse la plus sombre possible du temps où nous vivons : une société pourrie, un monde perverti, plus aucun respect des valeurs, une jeunesse abrutie, égoïste, blasée. Quand on a brossé le plus noir des tableaux, le moment vient de faire surgir celui qui va tout sauver, qui apportera le salut, le sens, la lumière : le Christ par exemple, ou un messie politique providentiel !

« Ne vous conformez pas ! » Autrement dit : soyez des non-conformistes. Mais si finalement la position la plus confortable, la plus conformiste, était celle d’un anticonformisme de principe (certains même en font leur métier) ? Ainsi les extrémismes religieux ou politiques, à force de simplifications polémiques sur le monde ou la société, bloquent toute possibilité de changement ou d’ouverture sur un avenir nouveau. Si tout cela avait pour seul but de figer le temps, de ne pas vouloir discerner que le monde est en transformation perpétuelle ?

Mais comment supporter la vie si on n’est pas « conforme » ? Dans une société fragile où il est si facile de s’égarer, de se couper des autres, de se marginaliser, il faut être conforme. À quoi ? Bien sûr il faut d’abord choisir, ou se faire choisir son modèle, et ensuite s’y conformer, par peur de perdre sa norme, de se déformer, de devenir informe, de ne plus exister aux yeux des autres, et par suite à ses propres yeux. Il existe des conformismes où beaucoup se retrouvent, avec tout un agglomérat d’évidences partagées, mais aussi des petites variantes selon l’âge ou d’autres critères. Il existe aussi des conformismes non-conformistes qui se définissent en s’opposant à d’autres conformismes,mais toujours pour éviter l’informe, l’isolement, l’impossibilité de se définir, de se situer soi-même, avec la crainte que ce soi-même ne soit qu’un vide, un mystère, une question ouverte angoissante sur des profondeurs inconnues.

Heureusement ceux qui se disent chrétiens ont un modèle, Jésus de Nazareth, un non-conformiste, c’est sûr, si du moins on évite de l’enfermer dans des dogmes, des rites ou des discours figés. Cet homme semble en réaction permanente contre les évidences du monde qui l’entoure, en conflit avec ceux qui semblent les meilleurs conformés de son temps, pharisiens, sadducéens, cherchant plutôt ceux de la marge, les rejetés, les déformés, lépreux, péagers, infirmes, prostituées. Il prend pour modèles du monde à venir ceux qui sont encore en formation, en transformation, les enfants. Il ouvre un chemin de décalage créateur par rapport à tout conformisme, un chemin d’errance et d’aventure. Suivre ce chemin, c’est d’abord s’ouvrir aux forces de transformation à l’œuvre dans ce monde malgré toutes les tentatives pour figer, fermer, verrouiller le présent. C’est redécouvrir que tout est en mouvement.

On entend encore parfois que le protestantisme se dilue en perdant son identité, peut-être par trop grande conformité avec des valeurs qui se banalisent. Faut-il tenter de retrouver cette identité en perdition, ou au contraire régresser en enfance, en marche vers un avenir informe ou pas encore formé ? Tant pis pour notre identité, et même soyons fiers d’en manquer ! Gardons ce décalage créateur qui parfois s’appelle l’humour, tout ce qui fait sortir des normes du présent, des problématiques enfermantes. Si notre seule et vraie identité était de ne pas en avoir, d’être en devenir, non conformables, en décalage, en enfance, en aventure ?

 

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À propos Jacques Juillard

est pasteur de l’Église protestante unie de France, en retraite, mais en addiction persistante à creuser l’insondable. Prix Évangile et Liberté 2011.

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