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Alep, quel visage pour notre humanité ?

 

brita Hagi Hasan dans les locaux de la Fédération protestante de France en décembre 2016.
© Photo : ePudF service communication – béatrice dufour

Paris, décembre 2016, à quelques jours de Noël, au milieu du drame d’Alep. C’est un homme à la voix posée, calme, mais au regard fort de celui qui a tout vu, trop vu, qui nous rencontre à la Fédération protestante. Le maire d’Alep Est (ou plutôt d’Alep libéré comme il préfère le dire), Brita Hagi Hasan, vient témoigner devant nous de ce qu’il vit et de ce qu’il demande. Pas grand-chose, à vrai dire : juste que le massacre s’arrête, que l’on puisse dialoguer entre ceux qui portent une aspiration démocratique pour tous en Syrie et le pouvoir. Loin des dichotomies faciles que nous construisons, Daesh ou Assad, il vient porter cette troisième voie, cette troisième « voix », sans haine, mais qui vit le drame. Oui, Assad a réussi son coup : arriver à transformer une révolution portée par des gens de convictions, de communautés, de religions différentes en une guerre civile interreligieuse. Le maire va jusqu’à montrer une certaine collusion entre le pouvoir totalitaire et Daesh au nom de leurs ennemis communs : les porteurs d’un idéal démocratique. Nous, Occidentaux, avons perdu du temps, trop de temps. Il est trop tard. Nous sommes coincés au nom de notre combat contre l’ennemi absolu qu’est Daesh. Mais à force de tergiverser, de construire des pseudo-stratégies, nous nous sommes tus. Ce silence a été le permis de tuer donné à Assad. Aujourd’hui, il ne reste que l’urgence humanitaire, absolue !

Lorsqu’on lui pose la question du pardon (un jour, plus tard, dans longtemps…) de ce silence occidental, sa réponse est calme, posée : « L’histoire ne pardonne pas. » Dire que ses nuits sont peuplées de cauchemars est une évidence. Ses rêves sont partis, retournés sans doute dans un passé qui paraît si loin. Fin 2013, Daesh quitte Alep. C’est alors que les bombardements massifs ont commencé. Trois ans de bombes, de morts et de sang, de ruine et de famine. Le vide. La ville millénaire et vivante, riche de sa diversité de cultures, où musulmans et chrétiens cohabitaient, est devenue un tas de pierres mortes. La reconstruction, vaste et juteux chantier, incombera bien sûr aux principaux « bombardeurs » : les Russes. Les motivations ne sont pas toujours ce que l’on croit.

Pourtant, au milieu de ce désespoir, et dans ce regard fatigué, pointe une lumière. Même s’il ne rêve plus, le maire d’Alep peut envisager l’avenir. Sa vision pour l’avenir de la Syrie, et du monde, n’est plus un rêve mais une vraie construction raisonnée, qui intègre chacun dans une cohabitation. Il n’en démord pas : sa vision est un chemin, pas une vérité imposée. Puis, lorsque le maire se tait, c’est d’abord un silence face à tant de drames humains. Mais un silence aussi gêné de nos propres silences, tergiversations ou pseudoanalyses de la situation. Nous prétextons de chercher à comprendre, mais sans entendre, le drame de là-bas ou la situation d’ici, politique, voire ecclésiale. Comme pour le Samaritain (Luc 10), l’action s’impose, au-delà de nos timidités et de nos rigidités, comparables à celles du prêtre et du lévite de la parabole. Les mots du maire, lui l’homme blessé au bord de la route, et tout un peuple avec lui, nous obligent à agir : à court terme (accueillir), à moyen terme mais qui devient l’urgence (un corridor) et le long terme (la paix). Il n’y a pas de concurrences d’actions, mais une complémentarité où chacun peut être humain, tout simplement. Lors des journées d’Évangile & liberté à la Grande Motte, en octobre dernier, nous avons voulu soutenir l’une de ces actions, celle du « Collectif réfugiés des Batignolles », qui traite les dossiers des réfugiés sur place, en Syrie, pour accueillir officiellement les personnes en France ensuite. 250 personnes accueillies, 150 qui attendent encore… C’est peu mais c’est déjà ça.

Devant une telle situation de non-droit international, de non-autorité du « Conseil de sécurité » de l’ONU, quelle est l’image de notre humanité ? Ce qui se joue là-bas, c’est bien notre visage ! Cette ville devenue fantôme fait de nous des fantômes. L’histoire nous jugera, sévèrement sans doute. Mais, au milieu de ce chaos, je garde cette voix calme du maire d’Alep : notre vision est un chemin. Cet idéal ne peut pas mourir même si les armes ont détruit tout le reste.

 

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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