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Un « inexorable déclin de l’Église protestante »

Guin Jacques 2Pour le diagnostic : hémorragie des effectifs, ratio baptêmes / obsèques, reflux du nombre de ministres. La fragilité financière en découle, la valorisation du patrimoine foncier et immobilier suit et ses traumatismes locaux sont ravageurs. Sur le plan diaconal, l’engagement social, inspiré d’une culture protestante, ne se mue pas en inscriptions dans nos associations cultuelles. Les causes « structurelles » font dire que le protestantisme serait inaudible dans la société d’aujourd’hui, annonçant un « déclin » qui est de plus en plus évident avec la disparition de toute référence au protestantisme dans la communication de sociétés toujours plus médiatisées. Seule la décision du synode national de Sète sur la bénédiction de couples de même sexe a fait mentionner notre Église dans la presse, et si l’assemblée du Désert a été évoquée, ce n’est pas pour ce qui y a été prêché mais pour la présence du Président du Sénat. Le sort est ainsi scellé : « la précarité protestante vient du fait que cette religion fait la part belle à la conscience individuelle » et l’institution « est une organisation en échec permanent, qui ne parvient à renouveler ni ses usagers, ni ses structures ».

On débouche sur la fatalité d’une seule thérapeutique, tirée du « management d’entreprise » : « pour qu’une offre… marche, il faut a priori un produit, une ligne, des têtes bien connues et du marketing ». Transposer un tel schéma au message de l’Évangile est pourtant absurde. Ici « le produit » s’impose, alors qu’une entreprise dont le seul objectif est le profit et son développement va, elle, l’inventer, prometteur, puis promouvoir cette offre quelle qu’elle soit. Peu importe ce qu’on vend, il faut seulement que l’entreprise soit prospère.

On a ainsi trouvé le modèle à reproduire : le catholicisme. En additionnant les prescriptions, le sauvetage du protestantisme passerait par « un patron », des« règles » au service d’une « offre globalisée », l’hymne à Taizé – « grand messe fraternisante » – complétant le tableau. Faudrait-il donc que le protestantisme « rentre au bercail », « se soumette ou se démette » comme disait Gambetta à Mac Mahon ? Nous serions ainsi condamnés à la retraite (au sens militaire) avec pour seul horizon la disparition du protestantisme.

Mais dans les faits, ne sommes-nous pas déjà en route sur ce chemin ? En ne cessant de courir après la dernière mode de la vie en société, de céder à toutes les facilités pour ne pas risquer de déplaire, aux jeunes en particulier, en acceptant que notre Église dérive au gré de courants qui bafouent la responsabilité individuelle, n’avons-nous pas laissé le protestantisme perdre sa saveur et surtout sa raison d’être « autre » ? Par la Réforme, l’accent était mis sur l’individu et sa relation personnelle avec Dieu contre l’accaparement du champ de la foi par l’Église : l’engagement personnel et la vigilance d’abord, la liberté en contrepartie de la responsabilité, une humble audace pour pénétrer le sens de l’Écriture grâce à l’accès aux savoirs et au savoir-faire. En un mot, une foi « critique » abordant toute participation à la vie spirituelle par un questionnement : pas de foi sans doute. Ce protestant est d’un commerce difficile parce qu’il ne s’en laisse pas compter : il est méfiant vis-à-vis des modes, de la cléricalisation, critique à l’égard de ce qui peut faire écran entre lui et le message évangélique en le privant de l’exercice de sa liberté ; il fait l’effort d’une lecture « intelligente » (c’est-à-dire qui cherche à comprendre) de la Bible et soupèse la littérature ecclésiale, liturgique en particulier. L’enseignement catéchétique est lieu de confrontation de la Bible avec les grandes questions de la vie.

Sous ces traits qui semblent historiques, le portrait du protestant libéral ne se dessine-t-il pas ? Ce constat débouche sur trois conclusions.

La première est optimiste : il n’y a pas de fatalité de « l’inexorable déclin » pour le protestantisme. Quoi qu’en pensent certains, c’est à travers le protestantisme libéral, dont des regards sur la société sont si lumineusement proposés chaque mois dans le mensuel Évangile et liberté, que le « défi » peut être relevé.

La seconde est inquiète. Oui, une sorte de « tête chercheuse », réunie autour de cette revue et hier encore dans « Unilib », réfléchit, écrit, enseigne, transmet, approfondit, publie… Des ministres sont formés, les apports de la théologie du Process présentés, on découvre John Spong, le courrier des lecteurs d’E&L pétille de joie devant des textes révélant qu’il y a bien une place pour l’Évangile ainsi relu et interrogé dans la société d’aujourd’hui. Enfin il y a le succès des Journées libérales ou autres cycles de conférences.

Mais, en regard, quelle stupéfaction notamment lors des cultes de ces manifestations, devant les comportements soumis des participants, d’un côté véritables « groupies » du mouvement et de ses « stars », de l’autre englués dans les pratiques de la vie ecclésiale de leur paroisse et ici acceptant de lire sans sourciller des textes liturgiques sur « PowerPoint » sans la moindre réflexion sur leur sens profond, là reprenant le Notre Père à haute voix et sans même mégoter sur le règne, la puissance et la gloire… Ce ne sont que de « petites choses » opposera-t-on. Non, ce sont des symptômes de l’incohérence qui pollue les sens de tant d’entre nous : notre libéralisme « intellectuel » est phagocyté par le processus grégaire à l’œuvre dans nos paroisses. On se dit « libéral », mais, « puisque ça leur plaît », on applaudit le séjour à Taizé presque systématiquement associé au programme des camps de jeunes ; à la Grande Motte en 2014 on écoute sans sourciller le « Symbole des Apôtres » tenir lieu de confession d’une foi qui ne peut pas être la nôtre ; dans nos paroisses, le dimanche, on accepte les drogues euphorisantes mais désespérément creuses de célébrations calquées sur les pratiques des Églises évangéliques. Oui, on se laisse glisser dans ce qui n’a plus rien de protestant jusque-là même où on vient approfondir le libéralisme.

La troisième conclusion est donc un appel à tous ceux qui ont le privilège d’être représentatifs du protestantisme libéral. Le temps est venu, et c’est même l’urgence, non plus de « doper » une « élite », mais de secouer la base et de la mettre en présence de ses contradictions, d’oser rappeler qu’il y a une logique entre des convictions et des pratiques. Où le faire ? Au moins dans les Journées libérales, mais aussi dans Évangile et liberté autour d’une pédagogie des réflexes du paroissien libéral, avec exemples et travaux pratiques à l’appui ! Peut-être s’en offusquera-t-on : c’est si agréable de se « shooter » une fois par an à écouter du Bourqueney, du Gagnebin, du Gounelle, du Picon, du Reymond… et de prolonger en lisant du Persoz. À eux donc, et à quelques autres devenus trop discrets, de montrer que le protestantisme est en danger à travers ce qu’il est devenu au quotidien, en un mot que le sel protestant est en train de perdre sa saveur.

Puisse alors la foule de ceux qui se croient « sans grade » trouver le courage de prendre la parole et d’écrire une nouvelle fois « Résister » dans l’histoire de notre Église.

Si la capitulation nous hante, le laisser faire n’est pas la solution.

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À propos Jacques Guin

est professeur honoraire des Universités, doyen honoraire, chercheur en Droit et Économie des organisations, ancien responsable des « Journées Libérales ».

2 commentaires

  1. jdguin@aliceadsl.fr'

    Chers amis,
    Merci pour la place que vous avez faite à ce déjà vieux « papier », écrit en réaction CONTRE l’article paru dans le journal suisse « Le Temps » en juin 2015.
    Puis-je cependant vous alerter : l’article de la revue « papier » porte bien, en en-tête, la référence à cet article et le lien informatique permettant d’aller le lire. Mais comme vous pouvez le constater ci-dessus, sur le site d’E et L, cette référence et ce lien ont disparu.
    Du coup, négligeant les guillemets qui signalent dans toute la première partie que je cite « Le Temps », beaucoup de lecteurs m’attribuent les propos que je veux au contraire condamner comme le montre bien ma première conclusion : il n’y a pas de fatalité de « l’inexorable déclin » pour le protestantisme.
    Peut-être est-il temps de corriger cet oubli. Merci.
    Jacques GUIN

  2. svejus@hotmail.fr'

    Très bon article, qui présente d’une manière extrêmement claire ce que beaucoup d’entre nous savent déjà et dont nous parlons parfois en « comité » restreint.
    Sous entendu que cela ne concerne pas uniquement l’Eglise protestante Suisse!

    Entièrement d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de fatalité, et que c’est très probablement dans la pensée libérale que se trouve l’avenir de notre famille confessionnelle.
    Toutefois, cette logique est vrai pour les Eglises de « grandes villes », à la population plus jeune et à haut niveau d’instruction.
    Un retour aux sources du Protestantisme (historique) en somme.

    Mais quid de nos communautés protestantes rurales qui ne bénéficient pas de ce sang neuf ?

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