On insiste beaucoup trop sur le péché, la grâce et le salut dans nos cultes. Au XIXe siècle, le très calviniste César Malan, dont on a plusieurs paroles de cantiques (voir Louange et prière), écrit : « C’est offenser Dieu que de le prier pour un salut qu’il nous a accordé depuis si longtemps. » Je me demande même si la triade (quel qu’en soit l’ordre) Loi, confession du/des péché(s), paroles de grâce ou de pardon, doit nécessairement figurer dans chaque culte. Le salut est une question réglée. N’en parlons plus.
Je suis choqué par toutes ces prières où l’on supplie encore Dieu de nous sauver. Pour éviter une redondance, cette triade devrait être supprimée quand un baptême est célébré : il redit en effet la grâce première de Dieu. Quant à la Loi, spécificité réformée (on ne la trouve ni chez les luthériens, ni chez les catholiques, par exemple), elle pourrait alors avantageusement figurer au moment de l’exhortation qui précède la bénédiction finale.
D’ailleurs, de quoi sommes-nous sauvés ? Paul Tillich dans son livre majeur Le courage d’être (1952) affirme que nous sommes sauvés de trois puissances négatives : la culpabilité, l’absurde, la peur de la mort (maladie, vieillesse). Très bien. Mais est-il vraiment nécessaire aujourd’hui d’invoquer Dieu, Jésus et l’Évangile pour connaître une telle libération ? Les psys à l’heure actuelle ne s’en chargent-ils pas ?
De toute façon, si la question du salut et de la grâce a dominé la théologie protestante dès le XVIe siècle, c’est que l’on vivait alors, Luther le tout premier, dans la terreur de l’enfer. Je ne vois pas que ce soit maintenant notre cas.
Il me semble que si l’on ne souscrit pas/plus à la doctrine du péché originel et encore moins, à l’autre extrémité, à celle des peines éternelles, ce prétendu salut n’a plus grand-chose à nous dire. Il pose une question qui n’est plus la nôtre. Le fut-elle d’ailleurs pour l’homme des cavernes ? Il convient plutôt de considérer le salut comme une réalité présente et de ne pas l’enfermer dans une religion de l’Au-delà. Je sais, bien sûr, toute la place occupée par les mots salut/Sauveur/sauver dans le Nouveau Testament. En estimant désormais assez secondaire la proclamation d’un salut pour demain, on me dira que je ne suis plus très chrétien, que je ne vois plus en Jésus qu’un sage, le maître d’une morale faite de justice et de charité. Ce ne serait déjà pas si mal. Mais ce n’est pas mon cas. Le salut que nous apporte Jésus est, me semble-t-il, profondément religieux et non pas exclusivement d’ordre éthique. Jésus nous libère en effet – et c’est urgent de nos jours – d’une certaine image de Dieu : celle d’un Dieu cruel, vengeur, redoutable, qui juge et condamne, nous culpabilise et nous expédie volontiers en enfer. Je ne crois pas en Dieu ; ou plutôt à n’importe quel Dieu. Je crois au Dieu de Jésus : un Dieu pour nous, un Dieu avec et en nous. Cela change tout. Jésus nous libère en nous ouvrant ainsi à une relation nouvelle avec Dieu et, par conséquent, avec les autres et nous-mêmes. C’est ce que j’entends dans l’affirmation « Dieu est amour » (1 Jn 4,8 et 16).
Un dernier point, peut-être scandaleux. Dans un dialogue avec André Gounelle auquel je disais ma perplexité devant l’idée selon laquelle le christianisme devrait encore être présenté comme une religion de salut, il me répondit qu’on « peut toujours se demander si affirmer que le christianisme considère comme dépassée et résolue la question du salut, ne revient pas à dire que cette question n’a jamais été pertinente ».
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