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Évangéliser à l’époque du web 2.0

Évangéliser à l’époque du web 2.0 qui permet de géolocaliser les prosélytes. Évangéliser en se servant des réseaux sociaux ; qu’est-ce que cela veut dire, comment s’y prend-on, qu’est-ce qui change par rapport au passé? Peter Ciaccio est connecté, il est conscient des possibilités de la toile (ou Internet, ou web, NDT) et cherche avec passion comment affronter le défi représenté par les possibilités ouvertes par ces nouveaux médias aux partage des idées et de la réflexion; il ne s’agit pas seulement de pouvoir communiquer mais de comprendre que cette forme de communication définit de manière nouvelle ce que nous sommes, notre identité de croyants, notre manière d’annoncer le Christ notre Seigneur.
Notre attitude en face des réseaux sociaux, de l’Internet ou des ordinateurs en général se traduit soit par l’enthousiasme soit par le rejet, on est soit pour soit contre les nouvelles technologies et les nouveaux médias.
Il y a d’un côté les réactions positives (c’est beau, c’est fantastique, je-ne-peux-plus-vivre-sans, cela ouvre tellement de possibilités), de l’autre les négatives (c’est froid, je n’en veux pas, il n’y a plus de contact direct avec les autres, je n’y comprends rien, on ne peut plus rien faire comme avant). Ils ont raison, les « opposants »: rien n’est plus comme avant; mais c’est parce que le monde a changé et que les nouveaux médias sont le moteur et l’expression de ce changement. Même si la réaction est légitime, il ne sert pas à grand-chose de se plaindre; il faut s’adapter au monde nouveau. On a tort de croire que selon la théorie évolutionniste de Darwin, « c’est le plus fort qui gagne »: il y aurait encore des dinosaures sur la terre, et aussi les géants dont parle le récit Genèse 6. L’évolution humaine montre que ceux qui gagnent, ce sont ceux qui s’adaptent; s’adapter ne veut pas dire se renier, ni renier son identité ou la vision qu’on a du monde, mais évoluer pour survivre.
Donc, tout en étant conscient que je ne suis pas impartial tant je suis enthousiasmé par les nouveaux médias, je vais chercher à proposer quelques pistes de réflexion à l’adresse de ceux qui cherchent à comprendre et désirent s’adapter. Les nouveaux médias ne sont pas neutres. Les instruments dont l’homme se sert ne sont pas neutres, ils sont coresponsables de son évolution. Notre nature est « cybernétique » dans le sens où elle est constituée par l’interaction entre notre corps et les potentialités supplémentaires que nous développons. Mutatis mutandis » – pour donner un exemple sans prétention – lorsque notre autorité ecclésiastique assigne un pasteur à une région composée de plusieurs lieux d’église, elle ne considère ni le pasteur en soi ni les lieux d’église en soi, mais regarde s’il y a des transports publics entre ces lieux, si le pasteur a son permis de conduire et s’il a une voiture. Pendant des années mon ministère a été celui du pasteur avec voiture. Rien de bien nouveau si l’on se réfère au Circuit Rider de la tradition méthodiste, le pasteur itinérant toujours représenté à cheval. Ce n’était pas un simple pasteur, mais un pasteur à cheval. Ne nous étonnons pas que les nouvelles technologies et possibilités offertes à l’être humain finissent par provoquer des changements dans notre ministère et notre façon d’être Église.
La toile favorise comme jamais la libre circulation des idées et des marchandises. Je peux, commodément installé dans mon lit, télécharger un livre électronique publié aux USA le lendemain du jour où il est sorti.
Comme toute nouveauté, la révolution informatique et sa version 2.0 font apparaître une avalanche de néologismes et de mots dont le sens a été détourné. En voilà deux exemples: le pouce qui veut dire « j’aime », et le signe #, touche sans usage réel sur nos claviers de téléphones, qui est devenu un symbole important employé sans arrêt par le commun des mortels sous le nom de hashtag. Je veux dire qu’il ne faut pas en avoir peur, mais se montrer curieux! Ne craignez pas de poser des questions; si cela vous gêne, Internet vous viendra en aide; cherchez sur Google les mots que vous ne comprenez pas, vous aurez la réponse avec une explication souvent très claire. Mais si vous ne maîtrisez pas ces mots mystérieux, vous risquez de ne pas comprendre le catéchumène qui répond « LOL » à une remarque (ce qui veut dire « marrant »); je le sais, je l’ai vécu; et vous allez ainsi élargir encore le fossé que l’âge a déjà creusé entre lui et vous.
Beaucoup de ces termes ont en outre une couleur théologique: « sauver » un travail, « justifier » un document. « Convertir » un dossier, « suivre » un usager de Twitter, « partager » un contenu, etc. Les sens théologique et informatique sont en tension, du reste : si un texte « sauvé » sur Internet vient à contenir des erreurs, il « condamne » sans excuse leur auteur. C’est pourquoi on s’est mis récemment à parler du droit à l’oubli.
Le domaine privé prend une dimension nouvelle: que donner à connaître de soi, et à qui? Tant que chacun restait dans sa maison, le problème du domaine privé tournait autour de l’occupation de la salle de bain. Mais maintenant tout a changé: il suffit de faire un tour sur Facebook pour trouver des photos postées par des parents qui exposent sans aucun respect la sphère privée de leurs enfants. Ces photos tournent le monde et peuvent être copiées par n’importe qui, avec les intentions les plus douteuses, bien loin de ce qu’imaginaient leurs auteurs. Les réseaux sociaux démontrent que nous sommes beaucoup moins prudents devant un ordinateur ou au téléphone que dans le contact face à face.
Le système GPS de localisation par satellite est accessible à quiconque. depuis quelque temps. Je peux faire savoir à tout un chacun où je me trouve et savoir qui se trouve près de moi. En d’autres termes, c’est la géolocalisation qui désormais me fait savoir quel est mon prochain.
Tous ces faits nouveaux sont un vrai défi pour nos Églises qui donnent traditionnellement la première place à l’alphabétisation. Nous protestants, qui avons toujours considéré l’école et la formation comme des éléments essentiels de notre tâche, ne pouvons pas rester plantés sans réaction en face de ce qu’on appelle le digital divide, c’est-à-dire le handicap informatique qui sépare les gens les uns des autres, et crée encore plus d’inégalités et d’injustices. Il est peut-être temps de réfléchir à de nouvelles façons de nous préparer à aborder ces thématiques, puis offrir des formations à nos membres d’Église et à la société. Cela dit, il apparaît également toujours plus indispensable de maîtriser l’anglais.
Un problème se pose, qu’il serait trop long d’aborder ici : qui peut garantir l’authenticité des messages et des relations proposés par les réseaux sociaux ? La toile véhicule quantité de contenus « bidon » et de faux profils personnels créés dans un but frauduleux. Ce point critique a pourtant un côté positif : il donne paradoxalement au facteur humain beaucoup plus d’importance qu’auparavant. S’il suffisait auparavant de vérifier ses sources, il faut aujourd’hui y ajouter un certain discernement, et c’est est le fruit d’un travail mental auquel aucun algorithme n’est encore parvenu à se substituer valablement. Le protestant est aussi par définition un humaniste romantique. La révolution protestante est née de l’idée du retour aux racines. Si Guillaume Farel montre un tel intérêt pour le mouvement vaudois, c’est qu’il est motivé par l’intention d’authentifier la Réforme en montrant qu’en substance il a toujours existé des « vrais » chrétiens pour suivre le pur Évangile et s’opposer à la corruption papiste.
On peut considérer que l’homo protestans se superpose partiellement à l’homo gutenbergensis, l’être humain qui s’est doté d’une potentialité nouvelle en inventant l’imprimerie. Sans la découverte des caractères mobiles, le protestantisme n’aurait pas vu le jour. C’est grâce à cette révolution que la Bible a été disponible dans toutes les églises, dans tous les foyers, en toute occasion, que la presse protestante, les feuilles volantes, les feuillets liturgiques, les psautiers, les rapports, les règlements ont pu être distribués à tous: nous ne saurions célébrer un culte sans l’imprimé. Mais les outils changent la nature de l’être humain. L’imprimerie nous a rendus différents; elle a donné un caractère spécial à notre foi, liée à la Parole et aux mots. Comment est-ce que je transmets l’enseignement de la foi? Par le moyen d’un livre : et voici que naît le genre littéraire « catéchisme ». Ou bien – question cruciale – qui est Jésus ? La Parole de Dieu incarnée. De même si nous suivons l’évolution informatique, nous pourrons aller de l’avant, mais il ne sera plus question de retour en arrière. Ce qu’il faut établir maintenant, c’est si la nouvelle révolution médiatique s’inscrit en continuité ou en rupture avec la technologie qui a été fondamentale pour nos Églises pendant ces cinq cents dernières années.
Le Père Antonio Spadaro, SJ, est le directeur de la revue La civiltà cattolica qui a créé l’image médiatique du pape François; il soutient dans un texte fameux à cet égard (Cyberteologia) que Gutenberg est désormais nul et non avenu et que les relations humaines sont en train de prendre une tournure de modalité plus catholique. En d’autres termes, ce ne sont plus les mots, les textes, la dialectique, la raison qui sont au centre, c’est l’Homme – thème cher à l’anthropologie et à la morale catholique. Ce que le concile de Trente n’a pas réussi à faire, ce que Vatican I n’a pas réussi à arrêter, ce que Vatican II n’a réussi ni absorber ni à retraduire par une sémantique nouvelle, l’Internet (vrai « don de Dieu », comme l’a déclaré le pape François le 24 janvier 2014) est en passe de le réaliser.
Le théologien méthodiste américain Leonard Sweet affirme au contraire que les réseaux sociaux sont sur le point d’allumer les feux d’un nouveau réveil – catégorie traditionnellement évangélique – et que ce n’est pas l’Homme qui est au centre de la révolution informatique mais une vision nouvelle du Christ. Aux yeux de Sweet, la génération 2.0 (qu’il surnomme les « Googlers » par opposition aux « Gutenbergers ») est attirée non seulement par les idées – comme ses prédécesseurs -, mais aussi par les relations. Ainsi « il est plus facile de leur parler de Jésus que des cinq soli (sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus, soli Deo gloria. NDT) piliers du protestantisme, ou de l’élection éternelle d’Israël, parce que la personne de Jésus est plus intéressante que les pensées et les doctrines sur Jésus ». Et encore, « Jésus n’est pas venu sur la terre pour que des générations de disciples puissent faire valoir leur propre point de vue: c’est lui le Sujet ». Il continue, « les googlers sont portés intuitivement à s’approcher du Jésus réel, pas de Celui que les formules, les propositions et les structures de pensée des gutenbergers tentent de transmettre ».
Qui a raison de Spadaro ou de Sweet? Sweet évidemment, pour moi. Mais la question n’est peut-être pas pertinente. Ils ont en effet raison tous les deux, chacun selon son point de vue. Spadaro propose au catholicisme une possibilité de s’adapter et Sweet fait de même pour le protestantisme. Citons Darwin une fois de plus; pour survivre – soi-même ainsi que la culture qui nous accompagne – il faut s’adapter. Celui qui n’y parvient pas meurt.
Selon Sweet, qui est le Christ d’aujourd’hui, de l’époque des réseaux sociaux, le « Christ 2.0 »? Pendant des siècles, c’était plus ou moins consciemment un énoncé à savoir. Il fallait répondre par cœur aux questions du catéchisme comme on récitait le théorème d’Euclide. Sans jeter la doctrine aux orties – jamais! – mais plutôt en lui accordant toute l’attention nécessaire, nous devons nous concentrer davantage aujourd’hui sur le Christ en tant que personne à connaître, avec qui établir une relation. Si l’on veut bien, c’est la même approche que celle du catéchisme de Heidelberg : non pas énoncer Dieu, mais mettre le catéchumène en relation avec le Christ. C’est aussi le chemin proposé par les récits évangéliques. Voyez par exemple l’aveugle guéri par Jésus à qui on demande: « Qui est Jésus d’après toi? »; il répond: « Si c’est un pécheur, je ne le sais pas; je sais une chose, j’étais aveugle et maintenant je vois » (Jean 9,25). Pensons aussi aux pèlerins d’Emmaüs: Jésus leur explique de plusieurs manières le sens des Écritures, mais c’est seulement quand il rompt le pain qu’ils le reconnaissent. La relation est plus forte que l’énoncé.
La question est de savoir si nous suivons Jésus parce que nous avons adhéré aux thèses qu’il défend ou parce qu’il a changé notre vie? Paradoxalement la réponse la plus moderne est aussi la plus ancienne, celle qui précède la définition doctrinale.
Que disent les vaudois (descendants italiens des disciples de Pierre Valdo (XIIe s.) qui ont adhéré à la Réforme en 1532) et les méthodistes quand ils parlent de leur église? Je simplifie exprès: les vaudois parlent des Pauvres de Lyon et du Ghetto Alpin, et les méthodistes de leur célèbre engagement social. Si tout va bien, ils font référence ensemble, comme pendant les célébrations de 2011, au Risorgimento (première phase de la Renaissance) et au rêve d’une réforme religieuse de l’Italie – que nous vivons comme un rêve du passé, mais qui ne s’est jamais réalisé.
Nous aimons bien les célébrations: 1989 (300e anniversaire du Glorieux Retour des vaudois dans leurs vallées après un exil forcé), 1998 (150e anniversaire de l’octroi des Lettres patentes du roi Charles-Albert leur donnant le droit d’exercer leur religion dans leur territoire), 2011 (150e anniversaire de l’Unité d’Italie) et bientôt 2017 (500e anniversaire de l’affichage des 95 thèses de Martin Luther). Mais sommes-nous capables de dire qui sont les vaudois et les méthodistes aujourd’hui? Est-ce que je parviens à dire qui je suis moi-même, sans forcément faire allusion à Valdo, Calvin ou Wesley, mais en parlant de Jésus et d’une communauté qui vit une relation avec Jésus?

Sommes-nous capables de nous faire connaître, d’avoir aujourd’hui une incidence sur la vie de nos membres d’église et des autres gens? Entre parenthèses, i la révolution de Luther a réussi non seulement parce que sa théologie était plus convaincante mais aussi parce qu’il a changé la vie de ses contemporains.
Un aspect de la toile est particulièrement protestant – même si ce n’est pas voulu: c’est le rapport à l’autorité. L’autorité n’est pas « cléricale »; tu peux être un prix Nobel, mais si tu dis des bêtises tu ne peux pas écrire sur Wikipedia (cela s’est produit!). De la même façon la toile change les perspectives: les idées se construisent et se développent ensemble. Si ceux que nous rencontrons raisonnent de cette manière, est-ce que cela pourrait se traduire dans notre façon de vivre ensemble la foi au Christ? Il n’y a pas de fin à cette réflexion, car la réflexion de type 2.0 prend tout son sens dans la mesure où elle est commentée et développée par ceux qui la lisent et l’écoutent. Il n’y a en donc pas non plus de réponse univoque à la question « comment évangéliser? » – dans le double sens d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus et d’élargir notre communauté de disciples – à l’ère des réseaux sociaux. Les essais de réponse et les éventuelles avancées ne peuvent provenir que du partage des réflexions et des idées, et surtout du chemin que nous faisons et ferons ensemble.

 

– Cet article, daté du 20 juillet 2015, tiré de Riforma, hebdomadaire des Eglises baptistes, méthodistes et vaudoises d’Italie, a été traduit et adapté par Jean-François Rebeaud, avec l’aimable autorisation de la direction. –

 

Annexe:

Quand on « vit » depuis des années dans un réseau social comme Facebook, on se demande souvent: « Mais que se passerait-il si j’éteignais tout, si je sortais de Facebook ? » Moi qui y participe depuis neuf ans, je me le demande souvent. Il me semble en effet parfois que je vis dans un Truman Show gigantesque, où nous voyons tous la vie des autres comme si c’était une fiction, un « reality show« .
Avant Facebook, avant que j’y adhère, je vivais quand même. Est-ce que je serais capable de vivre sans maintenant?
Il y a tant de choses dont on n’avait pas idée avant, et on vivait quand même sans elles. Avant la télévision on vivait quand même, avant le frigorifique aussi. On vivait aussi dans le temps lointain où on croyait que la terre était plate. Et il y a aujourd’hui encore des gens qui vivent sans frigo et ne se posent pas tant de questions sur la forme de la terre.
J’imagine aussi que beaucoup de gens s’étonnent quand on leur dit qu' »Il y a des gens qui n’ont pas Facebook ». Certains de mes bons amis n’ont pas de profil sur Facebook et je le regrette. Pas pour eux mais pour moi, parce que je suis « obligé » de leur téléphoner et je déteste le téléphone. Ils vivent loin de moi et je sais de moins en moins de choses sur eux et eux sur moi; en même temps je partage beaucoup plus d’informations avec des amis de Facebook avec qui j’ai moins de liens. Cela dit, ceux qui vivent sans FB vivent quand même. Mais la question revient: et moi, en serais-je capable?
La question est peut-être vaine: Je ferais mieux de me demander pour quelle raison il me faudrait sortir de Facebook? Est-ce que je fais du mal à quelqu’un? A moi-même? FB a-t-il des répercussions négatives sur mes relations? Et si c’est le cas, cela dépend-il de FB ou de ma façon d’établir ces relations avec autrui? Serais-je quelqu’un de meilleur si j’effaçais mon profil social?
La chose la plus importante est peut-être d’admettre que les réseaux sociaux font partie de notre vie au même titre que le téléphone ou l’automobile.
De toute manière, tôt ou tard Facebook tel que nous le connaissons finira par évoluer vers quelque chose d’autre. C’est ce qui s’est passé avec chaque nouveauté technologique qui touche à la vie humaine.

 

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À propos Peter Ciaccio

pasteur de l'église vaudoise de Palerme, responsable pour Riforma de la rubrique "Pescatori nella rete – à la recherche de commentaires dans les réseaux sociaux".

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