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Rire de la religion, un point de vue juif

La liberté de culte et de religion est un droit fondamental des États modernes. Et il donne droit au respect. Certains discours, propos, dessins antireligieux frisent parfois l’incitation au mépris et à la haine des fidèles. En tant que juif attaché à sa tradition, je n’accepterais pas par exemple que l’on souille délibérément un Sefer Tora, même en dessin. Si je me sens méprisé, j’ai le droit de protester. Mais je ne suis pas pour autant en droit d’exiger du large public de respecter « religieusement » ma religion, dont il ne partage ni les convictions, ni les codes et préventions. Et si blasphémer est irrespectueux, peut-on le dire des formes caustiques de la critique des religions véhiculées dans certaines blagues ou dessins caricaturaux ? Elles dénoncent souvent l’irrespect des personnes ou de valeurs fondamentales, exprimé au nom même de la religion. Voir dans toute critique, y compris de mauvais goût, un « blasphème », c’est verser dans une forme de paranoïa : on prend sa croyance pour une certitude universelle, et on monte en épingle chaque incident – je me permets de citer les évangiles ! – voyant la paille qui est dans l’œil de son frère sans apercevoir la poutre qui est dans le sien ! L’outrage conduit à l’outrance, illustrant avec caricature ce pour quoi on a été critiqué.

Le peuple juif pour sa part s’est habitué à absorber la critique de la religion à travers des formes humoristiques. Une blague populaire raconte qu’à son jeune fils à qui l’on avait enseigné la trinité chrétienne, un père juif réplique avec détermination : « Je t’ai déjà enseigné trois choses : – il n’y a qu’un seul Dieu ; – il n’existe pas ; – et nous sommes son peuple ! » Cette blague n’est certes pas tendre envers les chrétiens, mais elle se moque d’abord de soi, de toute l’ambiguïté dans laquelle pas mal de juifs s’empêtrent dès lors qu’il s’agit de rendre compte de leur attache religieuse et identitaire pour le moins complexe. L’autodérision dédramatise et désamorce les violences et déviances. La vraie question n’est pas qui est l’impie ou le profanateur, mais qui est le religieux, celui qui est censé, malgré toutes les faiblesses humaines, porter les valeurs de justice et d’humanité enseignées dans sa religion. Le rabbin Abraham Isaac Kook (début XXe s.) écrivait : « L’athéisme a une légitimité car il est nécessaire pour purger la foi des aberrations dont elle est entachée. C’est là la vraie raison de son émergence. Les véritables justes n’élèvent pas leurs plaintes contre l’iniquité, mais instaurent la justice ; ils n’élèvent pas leurs plaintes contre l’hérésie, mais confortent la foi ; ils n’élèvent pas leurs plaintes contre l’ignorance, mais propagent la sagesse. »

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À propos Rivon Krygier

Rabbin depuis 1991 de la communauté massorti Adath Shalom à Paris consacre une bonne part de ses recherches et publications aux questions d’éthique et de théologie, ainsi qu’au dialogue interreligieux, dont une lecture juive du Nouveau Testament.

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