Je me souviens de ce pasteur japonais responsable de la communauté de Kamakura à 45 minutes à l’Est de Tokyo. Il se rendait chaque mois de l’autre côté de la capitale pour rendre visite à une dame presque centenaire. Nous avions une fois fait le trajet ensemble : un itinéraire compliqué comme seul l’enchevêtrement des lignes de métro tokyoïte le permet. Nous avions mis près de deux heures pour arriver. Je l’attendais dehors durant sa rencontre qui devait durer une petite heure, puis nous rentrâmes à Kamakura ; le soir tombait sur la ville balnéaire. Il m’avouait en chemin que cette dame, une ancienne paroissienne, avait beaucoup diminué avec les années. Presque plus personne ne la connaissait et elle-même ne se souvenait plus de rien, pas même de l’identité de mon ami. Cela ne semblait nullement le gêner ; il continuait ses visites, comme il l’avait toujours fait. C’était insensé, c’était merveilleux, c’était l’Évangile. J’ai rarement reçu plus beau témoignage de ce que nous appelons la grâce ; ce mot si galvaudé du lexique protestant qu’il finit par ne plus rien dire. Ces visites si coûteuses en temps, auprès de cette femme hors d’âge, enfermée dans le présent de cette chambre sans mémoire, rappellent la valeur immémoriale de la notion de don qui est au coeur de l’Évangile. Ce que nous nommons, même dans l’Église, rentabilité, efficacité, recherche de sens, construction de soi, tout cela disparaissait. Au coeur de l’oubli de tout, tout devenait grâce. Il ne restait plus que le réconfort d’une présence apaisante, offerte, pour rien, pour la seule gloire de Dieu ! Ce pasteur était le seul, le dernier qui restait à se préoccuper de cette vieille dame. C’est là que la foi en Dieu devient si précieuse et livre sa noblesse, dans ce désintérêt de tout au bénéfice des oubliés du monde. Plus rien ne compte alors : ni le temps qui passe, ni le temps perdu, juste une petite heure où tout est grâce
Pour faire un don, suivez ce lien