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Que faire du surnaturel ?

Les récits de miracles et autres événements surnaturels parsèment notre Bible, et sont parfois perçus comme des obstacles à une foi saine et intelligente. Mais les auteurs n’auraient-ils pas introduit ces passages à dessein, sachant que la foi la plus solide ne peut venir que de l’intérieur de l’homme et non pas de phénomènes extraordinaires extérieurs à lui ?

  Le texte biblique foisonne de récits faisant intervenir le surnaturel, depuis les miracles de Dieu dans l’Ancien Testament jusqu’aux miracles de Jésus et de l’Esprit dans le Nouveau Testament, sans oublier le point d’orgue de la résurrection du Christ. Autant de passages fort embarrassants pour une foi qui se veut moderne et éclairée. Si nous ne sommes pas littéralistes, nous contournerons la difficulté en invoquant l’histoire des mentalités, en faisant appel aux symboles ou aux allégories. Nous nous livrerons à une démarche d’évitement qui laisse entendre (sans le dire tout haut) que le texte biblique est peut-être, ici et là, empreint de religion populaire dont une foi intelligente et raisonnable doit savoir dégager le sens caché.

Naïve la Bible ? C’est à voir. Une lecture attentive de la geste de l’Exode par exemple, livre surchargé de surnaturel s’il en est, permet de se persuader que même dans ses motifs les plus religieusement populaires, la Bible est en général fort loin de la naïveté.

  « Pourquoi nous as-tu fait monter hors d’Égypte ? » (Ex 17,3). Tel est le reproche des enfants d’Israël à Moïse lorsqu’ils campent au lieu dit Rephidim où il n’y a pas d’eau à boire. Pour comprendre la portée paradoxale de ce reproche, il faut le rapporter à tout ce qui précède. Depuis l’épisode fondateur du buisson ardent au chapitre 3, sont racontés les dix plaies et le miracle du passage de la mer par les Hébreux en fuite devant les armées de Pharaon, exalté par le cantiquede Moïse : « Je chanterai au Seigneur, car il fait éclater sa gloire… ». Suivent les eaux de Mara et le fameux épisode des cailles et de la manne.

  Le monde dépeint dans ces pages est un monde magique, littéralement envahi par le surnaturel, puisque la puissance de Dieu éclate à chaque instant et de tous côtés. Dieu multiplie les preuves de lui-même en direction de la génération du désert, il ne lui laisse plus de place pour exister en dehors de lui. Il l’étouffe presque par ses miracles à répétition. Devant une telle débauche de moyens divins, la foi des enfants d’Israël pour le Dieu de Moïse devrait être acquise une fois pour toutes.

Or c’est le contraire qui se produit. Dès les premières difficultés, en vérité minuscules, la foi s’évanouit, le doute s’installe et le peuple accable Moïse de récriminations.

  Tout se passe comme si, après l’enthousiasme de la libération, s’installait un désenchantement quasi immédiat. C’est très frappant. Dès que l’eau manque, dès que le pain ne se trouve plus, le naturel des hommes évacue le surnaturel de Dieu au point d’en venir à regretter la prison qu’ils viennent de quitter. Ainsi, après l’instant de la poésie – faut-il parler d’illusion lyrique ? – vient la prose de la vie. Et la difficulté ne consiste pas dans la poésie mais dans la prose. C’est la banalité de l’existence qui devient ici spirituellement redoutable. La banalité qui est faite de manque et d’absence de surnaturel pour combler ce manque.

  Le sentiment qui s’impose à la lecture de l’Exode est que le grandiose événement de la Pâque n’a pas laissé une impression très profonde dans la conscience de ces gens. Même la manifestation visible, massive et répétée, de la puissance de Dieu n’a pour effet qu’une trace fugitive sur les enfants d’Israël. Une trace qui s’efface très vite. La génération qui a vu ces manifestations surnaturelles et qui en a bénéficié s’est montrée incapable d’une foi solide.

  Cette remarque vaut autant pour les autres peuples mentionnés par le récit – car selon lui il y avait d’autres peuples aux alentours. Ces peuples sont censés avoir été les témoins plus ou moins directs des manifestations surnaturelles de Dieu. Le cantique de la mer proclame que « les autres peuples tremblent devant la puissance de Dieu ». En vérité ils ne semblent pas avoir tremblé beaucoup. À la première occasion, les Amalécites, ces ennemis jurés d’Israël, ont attaqué sans paraître redouter quoi que ce soit…

  Si les narrateurs avaient voulu souligner que le surnaturel n’est pas un allié de la foi, qu’il ne lui offre aucun fondement solide, voire qu’il en constitue l’épreuve par excellence, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Ce n’est pas que les miracles bibliques ne servent à rien, comme le pense Jean-Jacques Rousseau. Mais ils servent négativement, en creux. Ils constituent une pierre d’achoppement pour la foi. Ils servent de manière paradoxale à délivrer la foi de la fascination pour le surnaturel. Le miracle n’est donné que pour penser au-delà de lui ou contre lui. On retrouve exactement cette logique dans les récits de Jésus tenté au désert.

  Une religion ou une Église qui met en scène le surnaturel pour impressionner les foules, qui cherche à séduire par des spectacles de guérisons ou des offres de transes mystiques est vouée à l’échec sur le long terme. Rien de spirituellement solide ne peut être fondé de cette manière, parce qu’une erreur est commise au départ, celle de penser que la foi durable (osons l’expression !) s’imprime en l’homme sous l’effet d’un spectacle extérieur. Or une révélation qui viendrait de l’extérieur, aussi extraordinaire soit-elle, ne peut pas faire naître une foi qui tienne debout par elle-même, parce que cette dernière ne pourra jamais se passer d’un apport extérieur (les « preuves » du surnaturel) pour exister.

  Prenons un argument mille fois rabâché : si Dieu existe, pourquoi ne fait-il pas cesser tous ces massacres et ces destructions dont l’actualité est saturée ? Supposons que Dieu intervienne, à l’instar du livre de l’Exode, et qu’il déploie sa puissance pour mettre fin à ces maux. Pense-t-on qu’il y aurait pour cela plus de foi sur la terre ? La réponse est certainement non.

  Seule une révélation qui vient de l’intérieur de l’être humain peut faire naître une foi vivante et durable. Cette révélation prend la forme d’un désir qui s’éveille dans le coeur, lorsque quelqu’un dit : « J’aimerais beaucoup croire mais il me manque un je-ne-sais-quoi pour y parvenir. » Ce je-ne-sais-quoi est en réalité une incitation à prendre une décision. À un moment donné, on décide de faire le saut.

  Croire, ce n’est pas se laisser séduire de façon passagère, c’est décider de croire. Cela a été magnifiquement exprimé en termes contemporains par un texte peu connu du professeur et pasteur Robert Martin-Achard :

  En dépit du désespoir, espérer. De la haine, aimer. De l’infidélité, croire. Des ténèbres, croire à la lumière. En dépit du laid, voir la beauté. En dépit de la souffrance, croire à la joie. Du chaos, croire à l’harmonie. De l’absurde, croire au sens. En dépit de la mort, croire à la vie. Du temps, croire à l’éternité. Du fini, croire à l’infini. En dépit de soi, croire à l’autre. De la folie humaine, croire à la sagesse divine. En dépit de la sagesse de l’homme, croire à la folie de Dieu.

  Prendre la décision de croire n’a rien de surnaturel. En revanche, une telle décision est infiniment mystérieuse. Ira-t-on jusqu’à envisager que c’est là le vrai miracle ?

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À propos Vincent Schmid

est pasteur dans l’Église protestante de Genève.

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