Il y a différentes façons de croire. Il y a également différentes raisons de croire, qui nous disent quelque chose sur nous-mêmes. James Woody analyse cinq raisons de croire qui correspondent chacune à un visage différent de Dieu.
Tous les chemins ne viennent pas de Rome : au fil des rencontres avec les personnes qui sont sur un chemin de foi, chacun peut découvrir la variété des croyances et des raisons pour lesquelles quelqu’un croit. Il est intéressant d’interroger ces raisons car elles disent de quel côté on cherche Dieu et laissent entendre quel Dieu on trouvera. Je repère cinq orientations différentes :
Le désir de mieux se connaître, de mieux se comprendre, suppose de savoir d’où l’on vient, d’où nous tirons notre identité. Dans ce cas, la quête des origines conduit à rechercher l’origine des origines. Certains se contentent de remonter aussi haut que possible dans leur arbre généalogique jusqu’à un ancêtre qu’ils estimeront assez digne pour le considérer comme le point de départ de la trame familiale. Pour d’autres, cela n’épuise pas leur soif de savoir ce qu’il y avait avant, avant même une étape mythique comme « Adam et Ève ». Cette quête des origines devient métaphysique et la figure d’un Dieu Père, origine de l’univers et de la vie, offre un point de départ acceptable sur lequel on peut bâtir sa propre histoire. Cette quête des origines se transforme souvent en une projection des désirs du croyant sur la figure divine, Dieu devenant une sorte de Totem, pour reprendre le terme de Freud : une figure idéalisée, « Dieu n’est rien d’autre qu’un père exalté » (Freud, Totem et tabou. OCF, XI. PUF).
Si certains trouvent Dieu en amont, d’autres le trouvent lors d’une réflexion sur la fin de vie et l’au-delà. La peur de la fin, de l’anéantissement, incite à trouver des explications rassurantes sur ce qui nous arrivera lorsque nous ne serons plus. Cette fois, ce n’est plus un point alpha qui est recherché mais un point oméga. On espère que tout ce qui a été vécu n’aura pas été vain et que cela ne disparaîtra pas dans les poubelles de l’histoire mais laissera une trace, aussi modeste soit-elle, dans l’histoire de l’humanité. Par inférence, croire en Dieu devient une réponse à la peur qu’il nous arrive quelque chose de fâcheux : croire en Dieu rassure dans la mesure où il tient lieu de gardien, de protecteur.
La plupart des croyants disent que leur foi est le prolongement naturel des traditions familiales qu’ils font leurs. Dans ce cas, il est souvent question de « valeurs » qui sont transmises ; la vie spirituelle est une répétition (souvent affadie parce que seuls les éléments extérieurs sont conservés) de ce qu’elle était à la génération précédente. Dieu est alors celui qui fait lien entre les générations et les lieux. Comme le demande le chant La Cévenole : « le Dieu de nos pères n’est-il pas notre Dieu toujours ? », ce qui reprend un thème central du livre biblique Deutéronome. On a été baptisé catholique ou protestant… on est donc catholique ou protestant et on le restera jusqu’au jour de ses obsèques. On est croyant par fidélité aux anciens et par souci de ne pas se couper de la souche dont on espère qu’elle saura nous vivifier comme elle l’a fait pour ceux qui nous ont précédés.
Croire en Dieu, figure de l’au-delà, de l’infini, de l’Éternel, c’est parfois aspirer à être plus grand que soi. Dire qu’il y a un lien entre nous et Dieu, c’est s’ouvrir à un vaste univers fait de nouvelles questions, de nouveaux élans, de nouvelles possibilités. C’est accéder à un statut plus élevé que ce que nous donne notre condition biologique ou sociale. Parce que Dieu est au-delà de tout, être en relation avec lui c’est être nous-mêmes entraînés dans un agrandissement de notre identité. C’est exister véritablement au sens où nous sommes plus que nous-mêmes. C’est être irrésistiblement attiré vers une ligne d’horizon, ou ressentir le « sentiment océanique » dont parle Romain Rolland qui est une ivresse de la transcendance. Dieu y est alors perçu comme celui qui nous autorise, voire nous pousse à progresser, à devenir meilleur.
Croire en Dieu peut ne pas être le premier moment d’une démarche religieuse. Avant la foi il peut y avoir une adhésion à une religion en tant qu’objet culturel qui nous satisfait : parce que telle religion encourage les vertus qui nous semblent importantes, parce que son discours correspond à notre vision de l’humanité, parce que ses assemblées constituent un lieu où nous apprécions d’être, nous faisons nôtre, aussi, la croyance en Dieu qui fait partie de l’ensemble. Dans ce cas, ce n’est pas la foi qui conduit à la pratique religieuse, c’est le désir d’appartenir à une communauté qui suscite une attitude qui vise la foi. Cela s’apparente à un narcissisme des petites différences qui consiste à opter pour une posture qui nous permettra d’exister au milieu d’autres (faire le choix d’être minoritaire, opposant, excentrique ou extrêmement conventionnel, faire le choix de croire ou de ne pas croire).
À ces cinq aspects, nous pouvons ajouter que des psychanalystes, de leur côté, ont souligné que croire relevait d’un autre besoin : celui d’être cru. « Peut-on se passer de la croyance de l’autre pour alimenter en soi la nécessaire confiance dans la certitude de sa démarche ? » interroge Sophie de Mijolla-Mellor (Le besoin de croire, Métapsychologie du fait religieux. Paris, Dunod, 2004). Ici, l’acte de croire s’inscrit dans une logique de réciprocité qui permet de rompre l’isolement et d’engranger l’énergie qu’offre une présence bienveillante, voire aimante. Croire ne serait alors qu’un avatar du besoin de confiance que chacun éprouve lorsque la vie présente un visage cruel.
Dans tous les cas, nous voyons que ces motivations s’inscrivent dans une fonction utilitariste : on croit pour obtenir quelque chose en échange. Tout ceci s’accorde mal avec la proposition théologique selon laquelle c’est Dieu qui suscite la foi – don divin et non construction individuelle. Ainsi, l’ap ôtre Paul parle de la grâce liée à la foi comme un don de Dieu (Eph 2,8), Dieu qui offre cette foi de manière ajustée à chaque être humain (Rm 12,3).
Bien entendu, se demander pourquoi on croit est une forme de piège car la réponse ne peut qu’éloigner de ce qu’est la foi dans une perspective chrétienne car on confond origine et commencement : si Dieu est effectivement l’origine de notre foi, il peut nous arriver de commencer à croire par des voies qui ne sont pas nécessairement très évangéliques, qui peuvent être utilitaristes voire perverses. Il ne serait pas judicieux de rejeter toutes ces raisons de croire au prétexte qu’elles ne sont pas forcément de bonnes raisons. En effet, elles sont susceptibles de contenir des aspirations, des élans qui trouvent effectivement leur origine en Dieu (qu’il s’agisse de l’attrait pour l’avenir que développe John Cobb, du sentiment religieux que Troeltsch appréciait chez Luther ou encore de ce que Bergson appelait le « flux descendant » et qui conduit l’homme à une attitude mystique tout à fait recommandable).
Cela montre qu’il ne faut pas être dupe de ses attitudes de foi en n’hésitant pas à les interroger afin de faire la part des choses entre ce qui relève d’une stratégie personnelle – consciente ou non – et de la construction de Dieu. À sa manière, René Descartes qui proposait de soumettre au crible du doute toutes les formes d’une idée dont on souhaite acquérir la conviction qu’il s’agit d’une évidence, et non d’une illusion, s’inscrivait dans le prolongement des prophètes d’Israël qui recommandaient la chasse aux idoles qui menacent toujours de remplir les vides de notre existence. Il vaut la peine d’essayer, parfois, de démêler cet écheveau de la foi pour éviter que la part de Dieu ne disparaisse définitivement sous l’avalanche de tout ce que nous mettons dans l’acte de croire. C’est à cette condition que nous pourrons donner tort à Freud qui considérait que les parents sont perçus par l’enfant comme « l’unique autorité et la source de toute croyance » (Névrose, psychose et perversion. Paris, 1973, PUF) en redonnant à Dieu sa place originelle.
Pour faire un don, suivez ce lien