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Photographie sans titre. Laurent Nalin 2011

Le collectif 5.6. Derrière ce chiffre sibyllin, se retrouve une demi-douzaine de jeunes photographes. Parmi eux, Laurent Nalin signe une composition sur le mode d’un futur antérieur où naviguent l’émotion et le désarroi.

  Le portrait de groupe que dresse ici Laurent Nalin qui appartient au collectif 5.6 est une photo de jeunesse. Deux fois. La sienne et celle de ses sujets. Et jeune une troisième fois car elle n’échappe pas à sa génération séduite par le formalisme du noir et blanc, le renouveau du tirage argentique, le dandysme d’une société privilégiée qui pose, le sait, s’y perd sans doute. Jeunesse prodigue et pourtant thésauriseuse. Ensemble, photographe et photographiés, comptent quelque chose comme cinq fois vingt ans. Cent années mises bout à bout, absurde addition mais pourtant bien là. Ils ont vécu un siècle à eux tous et ils en vivront un, chacun, à peu de chose près, au rythme de l’allongement de la vie. Ce siècle qui a dix ans est le leur. Dans celui-là, il faudra seul y compter ses années.

  Est-ce cela qu’est allé chercher celui qui les regarde et les capte, un frère d’armes au fond, chez ces quatre modèles dont les regards, mélange de féminité distanciée et de morgue masculine, se perdent de manière poignante dans notre propre contemplation ? Bien sûr, la construction rigoureuse en croix, la saturation de l’espace par les meubles de famille, armoire, chaises cannées, le point de fuite de la porte vitrée, la symétrie des gestes des deux hommes, la place vide (où siège une attente, une disparition ?) contraignent l’interprétation. La photo est bouclée, trop parfaite dans les archétypes de classicisme qu’elle offre. Au centre, verticale féminine où se confrontent le regard volontaire de la jeune femme debout, bras croisés, et la pose à la manière renaissante de celle qui est assise, la seule qui ne domine pas le photographe et entretient un rapport d’égalité avec nous. Les physionomies masculines, visages sans émotion, cultivent l’impassibilité des portraits officiels.

  La liberté du regardeur, Laurent Nalin l’a ménagée dans l’énigme des regards. Et leur gravité presque désincarnée passe par ces prunelles intensément sombres. Quelle jeunesse est là face à nous ? Que pense-t-elle de nous qu’elle scrute, d’elle-même qu’elle met ainsi en scène dans cet évitement savant de la vie et du frémissement ? Que disent-ils tous quatre du monde qu’ils supportent, de celui dont ils rêvent ? Au fond, vraiment, pourquoi nous regardent-ils ? Sans doute comme pour tout portrait, n’est-il créé que pour répondre à la nécessité de faire exister celui qu’il représente dans un temps et un espace qui défie l’instant. Dans L’Image fantôme, Hervé Guibert écrivait de la contemplation des photos de jeunesse : « Nos corps nous sont maintenant insensibles, invisibles, et nous aimons secrètement et nous haïssons en même temps ces corps jeunes qui passent comme des fantômes dans le pinceau lumineux du projecteur. Nous les aimons au point de désirer par une magie inverse, entrer dans l’image, et l’étreindre, revenir avec elle dans le passé […] » C’est peut-être là ce qui nous atteint si profondément dans la photo de Laurent Nalin, le regard appuyé de ces enfants du siècle sur notre passé qui les contemple, déchirant passé et matrice de leur avenir inconnu. 

On retrouve le Collectif 5.6 sur le site Internet collectif5-6.tumblr.com/ et dans la revue 5.6 en vente dans des librairies spécialisées ainsi que bientôt au Centre Georges Pompidou.

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À propos Thierry Jopeck

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