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Naufrage à Malte

Pourquoi Luc raconte-t-il ce voyage de Paul, et ensuite le naufrage, avec force détails techniques et plusieurs rebondissements, comme s’il s’agissait d’un roman d’aventure ?

  C’est le dernier voyage de Paul qui doit le conduire à Rome. Auparavant, il était à Jérusalem, mais les juifs se sont emparé de lui et l’ont fait comparaître devant le Sanhédrin, puis devant le gouverneur Félix à Césarée. Paul demande alors à être jugé à Rome, étant citoyen romain ; ce qui lui est accordé. Et c’est prisonnier qu’il effectue ce voyage en bateau jusqu’à Rome, mais en fait jusqu’à Malte puisque la tempête l’a empêché d’aller plus loin.

  Il se trouve dans cette embarcation des passagers de toutes les Nations, des juifs, des Grecs, des Romains, des matelots égyptiens et autres. Enfin des soldats de l’armée romaine chargés de surveiller les prisonniers. Une société cosmopolite, représentant les citoyens du monde d’alors, réunis pour vivre ensemble leur perdition ou leur salut. Tous dans le même bateau.

  Les voyages font partie de l’univers biblique. Depuis Abraham jusqu’aux marches de Jésus à travers la Palestine, ils font circuler la parole de Dieu à travers le double langage de la métaphore, qui est une façon d’utiliser des situations concrètes pour expliquer des réalités spirituelles. Ici, le sauvetage au centre de ce récit s’exprime par le même mot en grec que le salut : sotéria. Nous sommes sur l’eau, mais aussi sur une autre surface au dessus d’un monde maléfique qui voudrait nous engloutir. Il est donc question ici d’être sauvé des eaux et aussi d’être sauvé d’une perdition peut-être plus terrible. Le petit monde du bateau est le reflet du grand monde de l’Empire.

  La tempête est dévastatrice. Le bateau va à la dérive. Pendant quatorze jours, plus personne ne peut manger, tellement l’embarcation est chahutée. Paul organise un grand repas qu’il préside. Mais deux incidents encadrent ce repas.

  Le premier provient de ce que les matelots ont mis la chaloupe à la mer pour s’enfuir et rejoindre rapidement la terre ferme, abandonnant tous les passagers à la dérive. Débrouillez-vous sans nous. Nous vous laissons tomber, il est grand temps de ne plus penser qu’à nous-mêmes et de nous sauver tout seuls. Heureusement, Paul aperçoit le subterfuge et demande aux soldats d’intervenir. Ceux-ci larguent la chaloupe au large pour qu’elle ne puisse plus être utilisée. Comment aurait-on pu sauver un bateau en perdition sans un seul homme d’équipage à bord ? Le salut est collectif. Ceux qui veulent se sauver tout seuls seront perdus et perdront tous les autres. Cela était vrai il y a deux milles ans et cela est encore vrai aujourd’hui. Sans la solidarité, sans le sentiment que chacun a une responsabilité vis-à-vis des autres, qui dépasse son propre sort, le monde va à la dérive.

  Le second incident, après le repas, provient des soldats qui veulent tuer tous les prisonniers avant de rejoindre eux-mêmes le rivage à la nage, de peur que ceux-ci profitent de cette nage forcée pour s’échapper. Ils veulent se débarrasser des plus vulnérables, des plus fragiles. Supprimons-les. Nous serons plus tranquilles. Ils avaient qu’à ne pas être prisonniers. Le centurion dit non, parce qu’il a de l’estime pour Paul et ne veut pas qu’il soit tué.

  Dans cette communauté en perdition, le salut est possible si personne ne cherche à se sauver soi-même et si les plus fragiles ne sont pas sacrifiés. Cette conclusion n’a pas perdu de son actualité.

  Finalement, le bateau s’échoue. Tout le monde rejoint l’île à la nage dans un sauve-qui-peut général. Et tous sont sauvés, juifs et Grecs, croyants et incroyants, prisonniers et hommes libres, soldats et civils, matelots et passagers.

  Ceux qui ont déraillé sont ceux qui avaient le pouvoir, les matelots et les soldats. Mais le salut vient de ce petit Paul, qui n’a aucun pouvoir, qui n’est rien qu’un prisonnier mais qui parle, comme il le dit lui-même, au nom du Dieu auquel il appartient.

  À cette époque, comme aujourd’hui, le message chrétien n’est qu’une parole sans pouvoir, qui ne veut sacrifier personne, même quand tout va mal. Reconnaissons que notre monde ne va pas tellement mieux aujourd’hui que ce bateau qui s’est échoué.

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À propos Henri Persoz

est un ingénieur à la retraite. À la fin de sa carrière il a refait des études complètes de théologie, ce qui lui permet de défendre, encore mieux qu’avant, une compréhension très libérale du christianisme.

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