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L’imprimerie, l’humanisme et la Réforme

Lieu de mémoire, de savoir, de transmission, forme artistique, picturale ou poétique, l’écrit reste un mystère, quelque chose de sacré.

  L’homme a laissé très tôt des traces écrites ou dessinées sur la pierre, les parois de grottes, galets de rivière, sur des os, probablement sur du bois. L’écriture proprement dite apparaît au néolithique et donne naissance à l’histoire. Elle est liée à de nouvelles formes de civilisation plus complexes que celles des chasseurs cueilleurs. L’agriculture et l’élevage impliquent en effet une gestion des biens, des stocks, du temps et de la propriété, et par là une autre division du travail. L’écriture et le calcul permettent ces nouvelles approches. Il est difficile de repérer le schéma de l’évolution mentale qui fut nécessaire pour un tel changement de pensée autour de l’écriture, mais les indiens cherokees au XIXe siècle ou les touaregs il y a quelques années nous montrent l’adaptabilité à l’écrit, de manière rapide, pour des civilisations qui l’ignoraient.

  L’écriture reste fascinante et magique, comme les runes nordiques qu’utilisent les diseurs d’horoscopes. Elle est aussi sacrée comme le latin de la Vulgate dans l’Église catholique, ou l’arabe classique pour le Coran, lu de l’Indonésie au Maroc. Combien sont-ils aussi les chrétiens désireux de connaître les signes tracés par Jésus sur le sol dans l’épisode de la femme adultère de l’Évangile de Jean ? (Jean 8,1-11)

  L’écrit se diffuse dans l’Antiquité : tablettes d’argile, stèles, papyrus, ostraca (tessons de poterie), rouleaux de cuir, puis au IIe siècle codex en papyrus, ou parchemin. Dans l’Antiquité quelques textes courts sont imprimés, comme les sceaux royaux. Au IIe siècle apparaît en Chine (ou Corée) l’imprimerie avec des coins en porcelaine et surtout la xylographie (caractères en bois). C’est aussi en Extrême-Orient qu’est inventé le papier, vraisemblablement véhiculé jusqu’en Europe par la route de lasoie. Mais une légende affirme qu’en 751 à la bataille de Samarkand des prisonniers chinois ont révélé aux arabes le secret de la fabrication du papier. Il se fabrique du papier en Espagne au XIIe siècle !

  Le codex antique, devenu manuscrit médiéval, puis livre moderne au XVe siècle, se fait écran aujourd’hui !

  L’écriture et le livre imprimé apparaissent comme un des fondements de nos civilisations. On ne peut pas penser la modernité sans le livre ; on ne peut pas penser la Réforme sans une Bible imprimée…

L’imprimerie et l’humanisme de 1450 à 1500 L’apparition de l’imprimerie et son incroyable essor sont les résultats d’une longue préparation et de la rencontre de nombreux progrès dans différents secteurs.

   Au Moyen Âge, le livre est aux mains des monastères. Relativement peu de progrès ont été faits depuis l’Antiquité. Les maisons d’édition romaines avaient des centaines d’esclaves copistes qui écrivaient sous la dictée d’un des leurs. Une édition pouvait être ainsi tirée à 200 ou 300 exemplaires. Le moine a remplacé l’esclave. Le livre reste rare et cher (il est même enchaîné au pupitre). Éditer une Bible sur un parchemin nécessite 300 peaux de mouton pour un seul exemplaire ! Il faut des mois, voire des années pour éditer un livre. Les diffusions sont donc chères, confidentielles et les bibliothèques sont rares. On connait celle de Charles VII, particulièrement renommée : elle ne compte pourtant que 1 200 volumes. John Wyclif ou Jan Hus ont eu un succès local qui correspondait bien à une attente de leurs contemporains, il leur aura manqué un moyen de diffusion pour répandre leurs idées. Au XVe siècle les choses vont changer en profondeur.

  C’est une base culturelle importante et en plein essor que le Moyen Âge lègue à la Renaissance. Le XVe siècle est celui de la reprise démographique, après l’effondrement dû à la peste et aux guerres de Cent Ans et des Deux Roses. Le commerce international reprend avec la croissance. Plus tard, la découverte de l’Amérique avec l’or et l’argent va dynamiser cet essor. Une économie de plus en plus complexe s’installe sur l’Europe. Elle se développe avec les États modernes : France, Angleterre, Espagne, villes libres du Nord ou d’Italie profitent de la fin du Saint Empire et de l’effacement de la papauté. Ces états modernes ont besoin d’une administration de bon niveau. Les complexités économiques et politiques nouvelles accroissent la demande d’un lectorat nombreux et exigeant de juristes, notaires, gestionnaires. Sont ainsi réédités les anciens codes de lois comme lecode de Théodose ou celui de Justinien. À l’aube de la modernité, l’Europe compte 10 % de lettrés, mais ce nombre augmente avec l’imprimerie et la création de nombreuses universités comme celle de Wittenberg créée en 1502.

  Des découvertes ou améliorations technologiques nombreuses permettent de perfectionner les armes, la sidérurgie, la navigation, l’urbanisation. Dans le domaine qui nous concerne, les lunettes se répandent dès 1380, permettant une écriture plus petite, donc des économies. Le papier, qui se généralise dès le XIIe siècle à partir de l’Espagne, entraîne le perfectionnement des moulins. Il subsiste encore bien des goulots d’étranglement, en particulier le manque de chiffons. L’amélioration du niveau de vie et la généralisation des habits de corps vont augmenter la production de chiffons, donc de papier. Sur ce nouveau support, il faut une encre grasse à base de noir animal et non l’encre à eau des copistes.

  À la fin du Moyen Âge, tout est prêt pour accueillir l’imprimerie. La presse est celle des vignerons, mais ce sont les progrès dans la métallurgie et l’orfèvrerie qui sont décisifs pour fondre des métaux différents et les travailler. Les coins, les lettres, les matrices sont faits de métaux différents. Il n’est pas étonnant dès lors de constater que Gutenberg appartient à une famille d’orfèvres de Mayence.

  Il y a une rencontre entre le lectorat nouveau et la possibilité d’imprimer des livres par l’imprimerie. Le mécénat va permettre l’essor de l’imprimerie : les Médicis à Florence, Henri VIII d’Angleterre, François Ier, Marguerite d’Angoulême ou encore Charles Quint.

  L’imprimerie se développe en outre dans un contexte qui accroît les angoisses existentielles et demande des réponses : la présence de la mort par la peste récurrente, le sentiment de fin des temps, la sorcellerie, la violenceet une richesse culpabilisante face à une Église peu imaginative et préoccupée par des questions plus matérielles que spirituelles accroissent la demande de livres et de savoir. Ars moriendi, livre de mystique, et bientôt la Bible viennent s’ajouter aux textes de l’Antiquité mais aussi aux romans de chevalerie ou à la littérature populaire.

  C’est l’humanisme qui va utiliser le livre pour lancer ses idées nouvelles en marge des Églises et des universités. La Réforme n’est pas loin.

  Lié à l’émergence des laïcs, à l’essor des villes, à la richesse, mais aussi au besoin de sacré et de liberté, l’humanisme se développe en Italie (du Nord) à partir du XIVe siècle. Le Concile de Florence en 1438-39 permet la rencontre des humanistes latins et des humanistes orientaux, préparant le choc de 1453 (prise de Constantinople). Au sortir du Moyen Âge, beaucoup plus riche qu’on ne dit au niveau intellectuel et artistique, l’humanisme va poser l’homme comme sujet pour lui-même, indépendant de sa communauté villageoise, ecclésiale, confrérie, etc. C’est le temps des portraits (Clouet, Cranach, Le Titien), et de l’homme vu comme un cosmos (Léonard de Vinci).

  La prise de Constantinople va permettre aux orientaux de mettre l’accent sur les textes grecs et hébreux, et de redécouvrir les textes originaux qu’on connaissait déjà par les arabes (en Espagne par exemple) et par la pré-renaissance italienne.

  L’humanisme va s’emparer des textes, les purifier de tous les commentaires accumulés par la scolastique, les retraduire enfin dans leur intégralité. La pensée vas’articuler autour des humanistes. La redécouverte des textes est une véritable remise en cause des savoirs établis. Pères de l’Église, textes de lois sont réétudiés et… réévalués. Ainsi Lorenzo Vella révèle que la « Donation de Constantin » est un faux ! Ces humanistes communiquent entre eux en une véritable « république des lettres » sur l’axe Italie – La Hanse, puis sur l’axe Oxford – Louvain – Strasbourg – Bâle, enfin à partir de tous les pays.

  L’humanisme prend un essor insoupçonné avec l’imprimerie autour de Gutenberg à Mayence et de ses successeurs à Strasbourg et en Italie du Nord. Les idées passent ainsi d’une diffusion locale et provinciale à une diffusion internationale ! Constatation essentielle ! Si Hus ne dépasse pas Prague et la Tchéquie, Érasme en revanche est lu partout.

  L’évolution de la société entraîne l’accroissement du nombre des lecteurs, et l’imprimerie au service d’idées nouvelles connaît d’étonnants résultats : par exemple, à Amiens en 1550, un quart de la population possède au moins un livre. De 1450 à 1500, six millions d’incunables [NDLR : nom donné aux livres imprimés ces cinquante premières années ; incunabula signifie « berceau » en latin] sont sortis des presses (entre 27 000 et 40 000 éditions)… C’est plus que la production littéraire de tout le Moyen Âge. Le livre circule et avec lui les idées ; l’inoctavo, format livre de poche [NDLR : format à peu près équivalent à notre format A5] permet une circulation aisée et un coût abaissé.

  Enfin, l’humanisme se veut pédagogue. Tous doivent avoir accès à la culture, même « les laboureurs ou les femmes ». Le savoir fait partie de l’être et du plaisir ; Mathurin Cordier et Jean Calvin sont les héritiers des humanistes et humanistes eux-mêmes. L’école et les universités qui vont dès lors s’ouvrir partout en Occident prennent une grande importance.

  La pensée humaniste et l’imprimerie vont être encore en interaction, l’une au service de l’autre : les caractères à l’italique d’Aldo Manuce à Venise vers 1500 , puis ceux dits « champ fleuri » de Tory en 1529 qui s’inspirent du corps humain (cf. Vinci) puis ceux de Garamond (au service des Estienne entre autres) facilitent encore l’édition.

  La pédagogie humaniste va déboucher sur des éditions en langue vernaculaire. Comme le religieux domine largement, compte tenu des questions essentielles de l’époque, le risque de voir l’humanisme glisser vers l’évangélisme est important (l’évangélisme est un mouvement d’idées informel, inspiré par les humanistes, qui cherche à réformer l’Église sans aller jusqu’à la rupture).

  N’oublions pas que le premier livre imprimé est la Bible de Gutenberg, et le premier livre signé est le psautier de Fust et Schöffer respectivement en 1455 et 1457. Le livre reste cher. Le premier livre en France est une Bible offerte à Louis XI en 1471. Le Concile du Latran en 1517 ne s’y trompe pas : il se félicite de l’imprimerie mais il met en garde contre d’éventuels « poisons ». Mais, pour Luther, « l’imprimerie est le dernier et suprême don par lequel Dieu avance les choses de l’Évangile » (citation parmi d’autres). Dès cette époque l’Europe a conscience de l’importance de l’imprimerie. En fait, le problème s’est posé en 1509 avec l’affaire Reuchlin, lequel traduit l’hébreu et publie un manuel d’initiation à l’hébreu. D’où les épîtres des hommes illustres qui soutiennent Reuchlin (c’est le clan des « modernes »), et les épîtres des hommes obscurs pour ceux qui sont contre le progrès. L’enjeu est l’accès au texte d’origine de la Bible. Malgré cette dispute, l’ambiance eschatologique dans laquelle baigne l’époque fait dire à Érasme que l’on vit un retour à un âge d’or, et à Lefèvre d’Étaples qu’il faut s’inspirer des premiers âges de l’Église. Les humanistes sont optimistes ! Déjà l’évangélisme veut revenir aux sources : Érasme publie la Bible, Lefèvre le psautier, puis le Nouveau Testament en français, enfin en 1530 la Bible traduite en français. Rappelons ici que, si l’Édit de Villers-Cotteret, qui impose le français comme langue officielle, date de 1539, François Ier avait déjà imposé le français à la cour.

  Pour ces humanistes, le christianisme épuré et revenu à ses origines est un mouvement de l’être. S’ils ont pour certains déjà en tête les grandes options de la Réforme protestante, ils ne désirent pas de rupture avec l’Église établie (cf. l’ Éloge de la Folie d’Érasme, ou Gargantua de Rabelais). Cette vision bibliste, malgré les critiques très fortes contre l’Église, s’appuie sur la découverte des valeurs antiques, comme le montre le succès de La vie des hommes illustres de Plutarque, traduit par Amyot, et publié tout au long du XVIe siècle.

  La période de l’évangélisme humaniste s’étend de 1500 à la rupture de 1521-36 (1521 : diète de Worms, où Luther affirme ses thèses face à Charles Quint, et 1536 : publication de l’Institution de la Religion chrétienne).

  Notons au passage que luthéranisme et évangélisme humaniste se confondent de 1517 à 1531, même si des ruptures ont lieu selon les pays et les personnes (par ex. le désaccord entre Luther et Érasme).

  L’évangélisme fonctionne en réseaux et se propage grâce à l’imprimerie. Autour de Marguerite d’Angoulême (future reine de Navarre), par exemple, se constitue le réseau des évangélistes français. D’un côté la cour avec François Ier et les phénomènes de mode dans une société cultivée, de l’autre les humanistes autour de Lefèvre d’Étaples, du collège du Cardinal Lemoine, de l’Abbaye de St Germain avec Briçonnet. Enfin l’expérience de Meaux avec Lefèvre, Viret, Vattable, est une vraie mise en pratique des idées de l’évangélisme humaniste. Se rattachent à ce réseau Clément Marot et Rabelais, comme des libraires imprimeurs, en particulier la dynastie des Estienne de la rue St Jacques, Augereau ou encore Simon du Bois qui édite Melanchthon et Berquin.

  Les livres sont édités, diffusés et circulent, modelant ainsi l’opinion.

  À partir de 1525, ce réseau s’affaiblit. Le relais est pris par les suisses de Bâle, Neufchâtel et Lyon (cf. E. Dolet, Lempereur, ou encore Pierre de Vingle à Neufchâtel). Vingle a débuté en 1526 à Lyon chez Nourry (éditeur de Rabelais). De 1525 à 32, Vingle édite Lefèvre d’Étaples, en particulier le Nouveau Testament en français. En 1509, le même Lefèvre avait édité les psaumes chez Henri Estienne.

  Olivétan, Farel, Viret, Marcourt publient à Neufchâtel. En 1535, c’est la Bible d’Olivétan et en 1540 lapremière Bible in-quarto [NDLR : format à peu près équivalent à notre format A4].

   L’imprimerie apparaît comme le fer de lance de la réforme évangélique. Gratander à Bâle édite Farel ; Roussel (groupe de Meaux) veut créer une imprimerie en français à Strasbourg en 1525 puis une autre à Sedan en 1526.

  L’imprimerie n’édite pas que des livres, mais aussi des libelles, des pamphlets et des placards (affiches) comme ceux édités en 1534 « contre la messe » par Marcourt et qui coûteront cher au protestantisme naissant.

  Genève commence aussi à publier chez Gérard. Nous sommes là au point de rupture, l’évangélisme est à la croisée des chemins, nombreux sont ceux qui ont choisi la voie de la Réforme luthérienne. D’autres vont suivre une nouvelle route, celle de la Réforme calviniste. Comme pour les religions évangélique et luthérienne, l’imprimerie va jouer un rôle fondamental.

  Entre l’humanisme évangélique et la Réforme à Genève, Luther est bien évidemment à sa place. Le lien Réforme- imprimerie apparaît clairement avec Luther. De son vivant Luther a connu 4 000 éditions de ses écrits, c’est un tiers de l’édition allemande de l’époque (on trouve la même proportion pour les oeuvres de Calvin à Genève). Le Sermon sur l’indulgence et la grâce a été édité vingtdeux fois de 1518 à 1520 ! Le Manifeste à la noblesse allemande est édité treize fois en 1520, la première édition de 4 000 exemplaires est épuisée en huit jours.

  Bucer publie dès 1523, et Zwingli dès 1522. Le livre au début laïc, au dehors des Églises, revient en son sein. Luther, Bucer, Zwingli sont des moines et des prédicateurs. Ce sont aussi des urbains. En Allemagne, sur les quatre-vingts plus grandes villes, cinquante sont gagnées par la Réforme. C’est dans les villes que se trouvent les imprimeurs et leur marché : humanistes, prédicateurs, bourgeois, administrateurs. En France, les oeuvres de Luther sont diffusées jusqu’en 1521.

 

  En 1524, Luther prône évidemment l’instruction obligatoire (adoptée en 1536 à Genève), car l’instruction est liée au livre. Savoir lire, c’est avoir accès à l’Écriture.

  Notons toutefois la différence importante entre l’optimisme des humanistes et le pessimisme des Réformateurs. Il s’agit là de deux manières de répondre aux quêtes existentielles de l’époque : redonner sa place à l’homme en ayant confiance en lui pour les uns, lui apporter un message de salut face à la perdition et la mort pour les autres.

  Humanisme, évangélisme, luthéranisme sont indissociables du livre. C’est en fait la même aventure, celle de la culture et de l’homme-sujet, soutenue par un moyen de diffusion des idées jusque là inconnu. L’imprimerie a été au service des idées nouvelles et des idées protestantes en particulier.

  Mais à Genève, consciemment, l’imprimerie va devenir une arme de combat au service d’une stratégie : les idées protestantes doivent être connues et les protestants doivent savoir lire, avoir au moins accès aux Écritures. Calvin va écrire en français. C’est déjà la langue officielle de Genève et en 1539 Olivétan va améliorer le français : nouvelle orthographe, ponctuation, vieux souci humaniste. L’Institution de la religion chrétienne de 1536 est encore en latin, mais très vite, Calvin s’exprime en français bien qu’il n’aime pas les langues vernaculaires jugées trop pauvres et trop vulgaires ! Calvin créé un style précis fondé sur des phrases courtes, compréhensibles, avec un langage clair accessible à tous : c’est la naissance du français classique moderne qu’il créé (avec Rabelais et Montaigne).

 L’Institution est mise au service du peuple, comme tous les écrits de Calvin et des Réformateurs. Calvin est un des best-sellers du XVIe siècle et Genève une des premières ville pour l’impression des livres francophones. Calvin connaît l’imprimerie très jeune, il suit les éditions mais produit beaucoup et se corrige peu.L’imprimerie est confiée à des imprimeurs de confiance, comme Laurent de Normandie, et le livre est distribué dans l’Europe entière, en France notamment par un réseau très important de colporteurs et marchands. Laurent de Normandie appartient au réseau Normand Picard (Calvin, Olivétan, Laurent de Normandie, Crespin, Mathurin Cordier, Bèze le bourguignon dont la famille avait des liens avec la Picardie) ; c’est un très haut seigneur, précepteur du Dauphin Henri et du roi de Navarre, administrateur du Vermandois. Laurent de Normandie arrive à Genève en 1548, met sa fortune au service du livre réformé et de sa diffusion ; il est un des rouages essentiel du succès de la Réforme. Par exemple en 1563, il remet à Jacques Bernard et Antoine Volleau 17 tonneaux et 4 balles de livres pour la France. C’est une correspondance avec des libraires : Metz, Reims, Béziers, Sisteron… Mais c’est risqué, une vingtaine de colporteurs sont pris et exécutés !

  Le livre n’est pas tout ; des presses sortent des libelles, brochures légères et vite lues, des calendriers où les noms des saints sont remplacés par des noms bibliques ; publications parfois à format réduit, in-octavo ou moindre, jusqu’à la Bible de chignon au XVIIe et XVIIIe siècles.

  Ces publications populaires avec les éditions de psaumes (environ 200 éditions du psautier huguenot sous l’Ancien régime), vont façonner une culture de fond typiquement calviniste.Il s’agit à la fois de façonner une mentalité réformée et de former des « relais d’opinion », des prédicateurs. Les livres de théologie, les disputes théologiques, les pamphlets publiés sont des armes pour les pasteurs mais aussi pour les enseignants (souvent les mêmes).

  La Réforme, c’est aussi l’enseignement : 2 000 à 3 000 élèves à Genève à l’Académie remise aux mains de Théodore de Bèze. Partout on apprend à lire dans la Bible, que ce soit celle d’Olivétan, la grande Bible anglaise de 1540, ou celle de Luther.

  Cette tradition se retrouve jusque dans la modernité. La reprise du protestantisme après la Révolution, période du Réveil, se fera encore grâce à l’imprimerie et la Bible. Des milliers de bibles sont éditées par les sociétés de bienfaisance au début du XIXe siècle grâce à l’imprimerie mécanique.

  Par paliers successifs, de la Bible de Gutenberg jusqu’aux publications genevoises, en passant par l’humanisme, l’évangélisme et le luthéranisme, l’imprimerie aura été un des acteurs majeurs de la Réforme depuis sa naissance jusqu’à son accomplissement. Sans elle la Réforme n’aurait sans doute pas eu le succès qu’elle a connu. Le livre est lié au protestantisme : comment éviter cela dès lors que, l’autorité de l’Écriture étant centrale, cette Écriture doit être mise à la disposition de tous. Le livre réformé est à l’origine d’une civilisation, d’une culture.

  Les héritiers des imprimeurs et des Réformateurs évangéliques ou plus radicaux ont fait la laïcité et l’enseignement obligatoire : Rabaut Saint-Étienne, Boissy d’Anglas ou encore Marat pendant la Révolution, Oberlin au Ban de la Roche, les inspecteurs généraux de l’enseignement sous la IIIe République, Félix Pécaud, Ferdinand Buisson, de Pressensé.

  Histoire ancienne pour nous aujourd’hui alors que le livre se fait écran ! Mais la rapidité de l’information, son accessibilité ne font pas un livre. La lecture est lente, permet la réflexion et le livre reste un objet vivant, une boîte mystérieuse qu’on ouvre pour un temps mis à part, un rêve, une rencontre. L’écrit depuis l’origine renferme du mystère, de la puissance du signe… Jésus traçait des traits sur le sol…

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

Un commentaire

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