Les lois sur l’immigration ne cessent de se durcir, sans que cela améliore la situation ni des Français, ni des migrants. Olivier Guivarch a interrogé deux permanentes de la Cimade Île de France, Cécile Poletti et Martine Bertin, qui décrivent comment une politique fondée sur la peur, l’inégalité et la discrimination, rend la vie très difficile pour beaucoup.
Assiste-t-on à un changement de la politique d’immigration en France ?
La politique migratoire est devenue restrictive dès 1974. Mais on assiste depuis quelques années à un durcissement des règles rendu plus visible, notamment, par l’accélération législative. Trois lois en quatre ans, et le gouvernement en annonce une nouvelle cette année, de grande envergure, dit-on.
La volonté reste toujours la même : dire haut et fort que l’on peut maîtriser l’immigration. L’empilement des lois et l’accumulation de restrictions forment un effet d’entonnoir qui a pour seul but de limiter l’entrée de migrants sur le territoire national.
Ce qui est nouveau, c’est la politique du chiffre consistant à mettre en place des quotas d’expulsions par préfecture. Des objectifs sont annoncés mais ne sont pas atteints, comme celui de 25 000 en 2007. De toute façon, la reconduite à la frontière, doux euphémisme, est une absurdité : si l’on estime à 400 000 le nombre de migrants en situation irrégulière en France et si l’on considère qu’il en arrive chaque année, combien de temps faudrait-il pour tous les reconduire, sans parler du coût humain et financier qu’une expulsion représente ? Le discours de l’État est irréaliste.
En revanche, les pratiques hors-la-loi sont bien réelles. Les pouvoirs publics organisent maintenant des rafles. Le mot n’est pas trop fort, il n’est qu’à lire la définition dans un dictionnaire : arrestation massive opérée dans un périmètre donné. Les interpellations se font sur réquisitions du procureur mais, comme par hasard, les forces de police procèdent à des arrestations de personnes qu’elles pensent susceptibles d’être en situation irrégulière, donc contrôlent au faciès, privilégiant parfois une nationalité lorsqu’un charter est prévu. Une autre pratique consiste à arrêter des migrants en situation irrégulière dans la préfecture où ils se rendent alors même qu’ils viennent faire examiner leur demande de régularisation.
Suite logique de ces arrestations massives, les centres de rétention administrative se multiplient et s’agrandissent. Les tensions qui y règnent posent des problèmes que l’État est incapable de régler. Comment le pourrait-il ? On y trouve des personnes vulnérables (enfants, femmes enceintes, malades…), les conditions de vie sont humiliantes ; on constate parfois des automutilations et une grande détresse.
La logique du chiffre ne permet plus que les différents cas individuels soient instruits, créant ainsi des situations de plus en plus kafkaïennes.
Ces pratiques contribuent par ailleurs à faire exploser le contentieux en matière de droit des étrangers. Les tribunaux sont débordés. La machine s’emballe et consume les moyens de l’État.
L’immigration « choisie » n’est-elle pas une nouvelle orientation ?
Si l’on choisissait d’être migrant, ça se saurait. La notion d’immigration « choisie » traduit une vision purement utilitariste qui fait fi des droits fondamentaux, au premier rang desquels figure le droit de vivre en famille. On crée des catégories artificielles car la plupart des étrangers qui ont en France des attaches familiales sont en même temps des travailleurs. Ainsi, l’immigration de travail n’est qu’un effet d’annonce. Les textes fixent des critères extrêmement stricts et restreints pour s’en prévaloir. Ils conditionnent l’examen de la demande aux emplois figurant parmi une liste très réduite de 30 métiers qui ne concernent que des emplois qualifiés (alors que les nouveaux ressortissants communautaires ont accès à 150 métiers).
À l’inverse, l’immigration qui touche à la vie privée ou familiale est considérée comme « subie ». L’immigration familiale concerne les couples mixtes, le regroupement familial, les parents d’enfants français, les personnes ayant des attaches familiales en France. L’immigration liée à la vie privée comprend les étrangers malades, ceux qui justifient d’une très longue présence en France ou de l’arrivée en France avant l’âge de 13 ans.
On s’aperçoit que les phénomènes migratoires sont incompris et sont source de fantasmes. Même avant les lois les plus récentes, il était déjà impossible d’être au RMI et de faire venir épouse et enfants, car des conditions de ressources ont toujours existé. Il convient donc d’expliquer de quoi on parle.
Parler d’immigration choisie n’a pas de sens, sauf à masquer des mesures visant à restreindre l’immigration en général, mais qui n’ont pour effet que de générer des situations irrégulières et de précariser le migrant. Le renouvellement de pièces administratives est rendu plus difficile, plongeant la personne dans la clandestinité, donc dans la peur de l’arrestation. Pire, nous assistons à l’augmentation du pouvoir discrétionnaire : les cas se multiplient où la décision de l’administration n’a pas besoin d’être justifiée, qu’elle soit favorable ou défavorable au migrant.
Si je résume, cette politique serait hypocrite, absurde et coûteuse. Pourtant, l’intervention de l’État paraît nécessaire en matière d’immigration.
On oppose systématiquement l’intérêt de la personne et l’intérêt de la collectivité. En matière d’immigration familiale, par exemple, le pouvoir régalien a fait son choix quand il refuse à un individu la présence de son conjoint sur le territoire national, sans se soucier de la vie des personnes. Le harcèlement administratif par des enquêtes répétitives dans le cas de mariage mixte est un autre exemple d’irrespect des droits fondamentaux.
Tout lien avec un étranger inspire le soupçon et ne s’entend que dans la fraude et le délit. Ces pratiques portent non seulement atteinte aux étrangers, mais aussi aux Français qui voient reculer leurs libertés fondamentales, notamment celle d’aimer et de vouloir vivre avec un étranger. En effet, le droit des étrangers actuel conduit à la création de citoyens français de seconde zone, des citoyens auxquels on ne reconnaît pas le droit d’aimer normalement, ou dont on ne reconnaît pas l’histoire familiale inscrite dans la migration. Dans la manière dont on traite l’étranger aujourd’hui se profile notre avenir à tous.
L’État français s’inscrit de toute façon dans une logique européenne. Bien que ce ne soit pas l’Europe qui reçoive le plus de migrants, elle construit des murs toujours plus hauts, établit des lois toujours plus restrictives et commet des actes toujours plus condamnables au regard des droits fondamentaux.
Pour autant, la politique des États ne freine pas la volonté de quitter son foyer et les lois n’arrêtent pas les flux migratoires. Pendant ce temps-là, le nombre de morts aux frontières ne cesse d’augmenter.
Quelle serait donc la politique alternative ?
Il faudrait fonder cette politique sur des valeurs d’humanité et de justice, non pas sur la peur, l’inégalité et les discriminations.
La multiplication des échanges devrait s’accompagner de la libre circulation des personnes. Les mouvements migratoires actuels sont en effet la conséquence du désordre du monde auquel une plus grande distribution des richesses et le renforcement des principes démocratiques dans les pays d’émigration contribueraient à remédier. Il reste que la migration ne doit pas être considérée comme un problème en soi, mais plutôt comme une richesse. Il nous faut apprendre à poser un autre regard sur les migrants.
Nous devrions rompre avec la logique d’enfermement et de renvoi des étrangers pour entrer dans une logique de citoyenneté : permettre à chacun d’être citoyen du pays dans lequel il réside ; faciliter l’accueil, l’insertion et la formation pour viser l’autonomie des personnes ; lutter contre les discriminations ; instaurer un droit stable et des garanties de procédure pour combattre l’arbitraire et la précarité, dans le strict respect des droits fondamentaux.
Propos recuillis par Olivier Guivarch.
- La Cimade présente 75 propositions à travers 8 thèmes pour une politique lucide et réfléchie. Vous trouverez le texte intégral sur le site de la Cimade
- http://www.cimade.org/assets/0000/0204/75propositions.pdf
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