Un certain christianisme a placé la résurrection au centre de sa foi. Mais ce n’était pas le cas, au premier siècle, d’autres christianismes, moins officiels. Par exemple l’évangile de Thomas n’en parle pas. Ce récit de Luc fait remarquer que l’enseignement biblique est plus important.
Curieuse histoire que celle de ce pauvre Lazare qui restait à la porte d’un grand riche de la ville passant son temps à donner de brillants festins. Et voila que le pauvre et le riche meurent et se retrouvent au séjour des morts. Mais Lazare aux côtés d’Abraham, et le riche dans le supplice des flammes. Le riche supplie Abraham de laisser Lazare tremper son doigt dans l’eau pour venir lui rafraîchir la langue. Abraham refuse en lui expliquant qu’il a déjà reçu son bonheur durant sa vie comme Lazare le malheur.
Il est rare que les évangiles nous parlent aussi explicitement de ce shéol, qui deviendra plus tard le paradis et l’enfer des chrétiens. Luc emprunte le cadre de la parabole aux mythes ambiants, très répandus dans le Moyen-Orient ancien, mythes du renversement des destins : ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes seront punis après leur mort ; ceux qui ont souffert auront une autre vie bien agréable. Justice bien commode, que le christianisme reprendra à son compte : les misérables doivent se considérer comme bienheureux car, dans l’autre vie, ils seront aux anges.
Mais Jésus (ou Luc ?), en utilisant ce mythe bien connu, comme support de ce qu’il veut signifier, insiste sur le côté irrattrapable de la situation. Il précise qu’un abîme infranchissable sépare les deux parties de ce shéol. Autrement dit, un jour vient ou tout devient irréversible, ou notre seul avenir, c’est notre passé. Ce jour où nous ne sommes plus que ce que nous avons été, condamnés à être façonnés par nos choix antérieurs. L’enfer n’est peut-être pas autre chose que ce temps irréversible, que ce fossé qui nous sépare de l’histoire que nous voudrions recommencer, pour être davantage attentifs aux souffrants.
La suite de la parabole se corse : le riche voudrait envoyer Lazare avertir ses frères, pour qu’ils se conduisent mieux envers les pauvres et évitent ainsi, à leur mort, ce lieu de torture où il se trouve. Mais Abraham refuse en expliquant que ses frères avaient Moïse et les Prophètes pour les avertir et que, s’ils ne les ont pas écoutés, ce n’est pas « quelqu’un qui ressuscite des morts » qui les convaincra davantage. Ce n’est donc pas d’un miracle dont ont besoin les cinq frères, mais de mieux prendre en compte les paroles de Moïse et des Prophètes, cet enseignement qui a fondé une éthique pour Israël, et qui demande que les indigents et les étrangers ne soient pas laissés pour compte.
Si les personnes cultivées, se revêtant tous les jours de linge fin (comme le précise Luc), sont incapables de réaliser que le Dieu d’Israël est d’abord celui qui demande la justice, ce n’est pas une résurrection de plus ou de moins qui les fera changer de mentalité. La puissance de l’Écriture, complétée par l’enseignement de Jésus, est plus forte que la puissance du miracle le plus incroyable. Dieu a fait tout ce qu’il pouvait en donnant l’Écriture. Avec elle, les cinq frères avaient tout ce qu’il fallait pour croire, pour s’occuper de ceux qui avaient besoin de secours. Depuis le temps qu’à la synagogue ils entendent la loi de Moïse, l’avertissement des prophètes, qu’ont-ils fait ? Écouter c’est aussi mettre en pratique. Et ce n’est pas le choc d’une résurrection qui leur fera mieux comprendre.
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