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Le sacrifice

La mort de Jésus sur la croix peut être interprétée de diverses manières. Une des plus traditionnelles consiste à penser que Dieu le Père a sacrifié son fils unique pour racheter les péchés du monde. Il est pourtant possible de voir les choses de façon moins choquante.

L’idolâtrie consiste à croire en un dieu qui répond à nos questions, à nos besoins, peurs et angoisses. Se projetant dans l’idolâtrie, on adore un « autre soi-même » idéalisé. On offrira en sacrifice une partie de sa richesse – voire une vie humaine – espérant en retour une reconnaissance qui permettra la vie telle qu’on la souhaite. Hier, les dieux de la fécondité garantissaient la santé des troupeaux et l’abondance des récoltes. En demande de bénédiction ou action de grâce, on sacrifiait la plus belle bête du troupeau. L’idolâtrie est fondée sur l’échange : on donne pour recevoir. Elle est inscrite dans l’humain. Toujours d’actualité, on la perçoit, par exemple, dans la déesse Loto qui reçoit en sacrifice des sommes offertes en général par les plus pauvres, qui espèrent en retour un geste de cette déesse !

  Par les prophètes, le Yahvisme a lutté contre l’idolâtrie. Paul se moque des grands cultes païens… Mais, par son anthropomorphisme, par la toutepuissance attribuée à Dieu et par un culte où le sacrifice reste central au Temple de Jérusalem, le Yahvisme a des caractéristiques idolâtres.

  Le christianisme s’inscrit dans la lignée du prophétisme. Dieu est Esprit, Dieu est Amour certes, mais l’anthropomorphisme subsiste, de même que la toute-puissance. Dieu reste le Créateur qui juge et pardonne. C’est la Grâce, le Salut. Mais c’est bien, avec l’anthropomorphisme du Dieu-Père, le deuxième problème, car cette grâce passe, comme l’idolâtrie, par un sacrifice unique car parfait. En effet, le don offert est parfait : l’Agneau de Dieu, le Christ en qui Dieu s’offre luimême. Aucun autre don, marqué par la nature de créature, ne peut être parfait comme l’est le Christ. Quand au prêtre qui offre, c’est Dieu lui-même… Aucun grand prêtre ne peut atteindre la perfection divine. Prêtre parfait, Agneau parfait, le sacrifice est parfait et indépassable. Il n’a pas besoin d’être répété, il est unique. Ici l’homme Jésus est devenu le Christ divin pour les besoins de la perfection sacrificielle. Notre Salut dépend de la qualité du sacrifice, d’où les débats si nombreux sur la nature du Christ !

  Pourtant, pour démontrer l’amour de Dieu et le Salut offert, il y a une autre voie : ni Dieu, ni Jésus n’ont voulu un sacrifice pour expier les péchés et acquérir le Salut de l’humanité, n’en déplaise à l’apôtre Paul. L’angoisse à Gethsémani, le doute sur la Croix (psaume 22), le cri de Jésus montrent que l’homme de Nazareth ne voulait pas mourir et qu’il ne s’est pas offert en sacrifice mais qu’il a été assassiné malgré lui. Quant à Dieu, défini par Jean dans la première épître « Dieu est amour », comment aurait-il pu consentir à offrir en sacrifice son propre fils ?

  Tout indique que Jésus meurt dans un désespoir profond. Sa prédication du Royaume de justice est rejetée avec sa personne. La mort de Jésus est physique dans la souffrance, psychologique face à l’incompréhension générale, sociologique comme le démontre l’abandon de toutes les classes de la société. Tout y est, les amis qui tournent le dos, abandonnent, trahissent… Seules quelques femmes, mais comptent-elles vraiment dans la mentalité de l’époque ? La mort ici est totale, tragique, indépassable. Le mal triomphe de manière absolue, indiscutable, le juste meurt seul et tout est dit.

  Devant cet état de fait, la Croix aurait pu être, non pas le signe du Salut, mais le signe d’une défaite de Dieu ou d’une malédiction de Dieu contre un monde en proie au mal. Il n’en est rien. Face au mal absolu, signifié par la mort du Christ, face à une souffrance et une mort non désirée alors que le mal triomphe, il y a l’amour de Dieu qui a le dernier mot. C’est simple. C’est le pardon. « Père, pardonne-leur ». À la dernière seconde, le mal et la mort ont perdu. Dans ces conditions, l’amour de Dieu signifié dans un pardon absolument gratuit, incompréhensible, est bien plus fort qu’un même pardon lié à une mort offerte en sacrifice selon le plan de Dieu. L’amour de Dieu est bien au-delà de toutes les formes de sacrifice. C’est bien cet amour, malgré le crime subi, qui dans nos vies, comme dans celle du Christ, nous dit l’éternité de Dieu, nous éclaire et nous ouvre les portes de l’espérance.

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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