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La foi qui creuse les montagnes

Ma découverte de l’Éthiopie chrétienne fut d’y trouver une foi en Dieu inébranlable, comme la vécurent les premiers chrétiens, figée depuis l’arrivée des évangélistes. Leurs paroles sont encore suivies à la lettre.

Huit jours pour découvrir l’Éthiopie sont bien insuffisants. L’heureuse contrepartie de cette frustration fut de tirer avantage des services inestimables du guide-conférencier Luigi Cantamessa et de ses connaissances approfondies des contextes culturel et confessionnel.

  Les hauts plateaux du nord couvrent environ la moitié de l’Éthiopie, vaste comme la France, et ressembleraient, vue d’avion, à un gigantesque Grand Canyon du Colorado pour sa configuration géologique.

  Ma première constatation fut que, pour l’instant, seuls quelques sites des plateaux du Tigré ont été déclarés comme étant d’un intérêt culturel primordial par l’UNESCO et figurent dans les circuits « balisés ». Par contre, il y a une quantité inestimable d’autres sites religieux qui restent encore à découvrir dans des lieux parfois très éloignés de toute voie de communication.

  Au petit matin, des haut-parleurs appellent les chrétiens à la méditation depuis le haut des clochers de Lalibela, d’un ton ressemblant étrangement à celui des muezzins musulmans. La coutume veut aussi qu’on ôte ses chaussures avant d’entrer dans un lieu de culte chrétien. L’Église éthiopienne appelle en outre ses fidèles à suivre deux jeûnes de 40 jours chacun dans l’année. Comme tout bon Occidental, j’aurais pris celapour des rites musulmans.

  Il semblerait que ce soient plutôt les créateurs de l’Islam qui ont adopté les us des premiers chrétiens. Mais, de toute évidence, comme cela avait été le cas pour l’entrée du christianisme en pays celte ou encore le mariage du christianisme avec le culte vaudou au Brésil (le candomblé), les pratiques chrétiennes, pour s’imposer, ont dû s’adapter à certaines coutumes locales.

  Les fréquentes fêtes chrétiennes (parfois jusqu’à vingt dans un même mois), comme les périodes de jeûne d’ailleurs, attendent la fraîcheur de la nuit pour être célébrées.

  Les contes et légendes éthiopiens sont en majorité liés aux premiers évangélistes venus d’Israël et d’Égypte. Comme outils de conversion, il leur fallait des images fortes. Si notre croyance occidentale est bardée de scepticisme, celle des chrétiens d’Éthiopie ne se pose guère de questions et conserve les croyances des premiers temps. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Force est de constater que les églises éthiopiennes sont pleines.

  Les orthodoxes éthiopiens préfèrent le christianisme des premiers jours. Si les évangélistes venus du nord n’avaient pas fait des miracles, auraient-ils su convaincre les païens d’Abyssinie ?Évangile et liberté • Décembre 2011 5 71,33 127,66 127,66 Beaucoup d’Éthiopiens sont persuadés que, dans une chapelle d’Axoum, se trouve l’arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi, mais que nul ne peut voir, gardée en permanence par un moine aveugle. Elle aurait été apportée par Ménélik, premier empereur d’Éthiopie, qui serait le descendant de l’union entre Salomon et la reine de Saba.

  Parmi les miracles les plus contés en Éthiopie, on cite un arrangement entre les moines du lac Tana et les chefs de familles des crocodiles avec une délimitation des territoires, les crocodiles devant quitter le lac Tana pour s’installer sur le Nil, jusqu’à la Méditerranée. On peut aussi citer cet évangéliste qui, grâce à l’intervention de l’archange Michel, fut hissé par le dieu serpent en haut du mont Debredamo, et, chose faite, intima à ce dieu de se suicider. On citera encore l’histoire de ce moine qui, pour sa pénitence, resta 20 ans sur un pied. Le pied levé s’estropia et Dieu fit pousser des ailes sur le dos du moine qui s’envola. On parle également du miracle de Dieu qui fit flotter les pierres sur le lac Tana pour permettre aux missionnaires d’évangéliser les îles.

  Les églises du nord de l’Éthiopie sont spectaculaires. Si leur apparence interne est quasiment identique aux cathédrales ou basiliques du reste du monde orthodoxe, leur principe de construction est totalement différent.

  À partir de collines, des monolithes ont été dégagés, lesquels ont été creusés de l’intérieur pour façonner des transepts, des nefs, des colonnes, des chapiteaux etc. Le plus bel exemple est la Bieta Georghis de Lalibela avec son toit en forme de croix. On y découvre de magnifiques fresques et icônes retraçant les scènes de la Bible. Il y fait sombre. Faute de moyen financier, certains éclairages de fortune donnent froid dans le dos lorsqu’on prend conscience des risques d’incendie qui détruiraient totalement ces chefs-d’oeuvre. Malheureusement, la préservation de ces sites semble être le moindre des soucis des autorités, et les deniers de l’UNESCO se limitent, pour l’instant, à financer la protection contre les intempéries sous forme de toits, utiles certes, mais qui, à mon avis, dénaturent plutôt les sites.

  Plus incroyables encore sont les églises et chapelles creusées dans les falaises et dont l’accès est périlleux, par des chemins difficilement praticables. Elles sont gardées par des ermites qui leur consacrent leur vie entière, ravitaillés par des enfants de la vallée. Le meilleur exemple est celui de Maryam Korkor dans les montagnes du Gheralta.

  À Axoum, j’ai eu le privilège de rencontrer Haïlo, un moine scribe, qui était en train d’écrire, sur des parchemins en peau de chèvre, un livre de quelque 300 pages sur la vie des saints, et dont 60 % étaient des enluminures et des dessins de sa création. Haïlo m’a raconté sa vie de moine-scribe entièrement consacrée à l’écriture de livres religieux, qu’il s’agisse de la Bible elle-même ou d’autres oeuvres propres au culte orthodoxe.

  Si Haïlo doit, de temps à autre, contrôler les références de la vie des saints, il n’en est pas de même pour la Bible qu’il connaît sur le bout des doigts, de la Genèse à l’Apocalypse, l’ayant apprise dès sa première jeunesse.

  Calligraphe depuis l’âge de dix ans (il en a trente aujourd’hui), son écriture est une véritable oeuvre d’art.

  Haïlo a à son actif environ 50 bibles de grand format qui sont toutes des pièces uniques, commandées par des riches familles qui souhaitent en faire cadeau à leurs Églises respectives. L’argent va directement à l’Église qui reverse à Haïlo son salaire pour le travail accompli. Son fils de 14 ans le suit comme son ombre et s’imprègne à son tour de la technique artistique de son père. Lui aussi consacrera sa vie à la vocation de prêtre-scribe.

  Haïlo ira-t-il au Paradis pour tout l’immense travail qu’il a fourni ? « Non, répond Haïlo, j’ai déjà été payé pour mon travail, il me faudra faire autre chose pour gagner le Paradis. »

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À propos Gérard Blanc

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