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Jésus-christ est-il mort pour nous ?

La Rédemption est un très ancien dogme, introduit par Paul. Cette idée du Christ mort sur la Croix pour racheter les péchés des hommes pose problème aujourd’hui à beaucoup de nos contemporains. André Gounelle propose une autre vision de la Croix et de la Résurrection.

Dans le Nouveau Testament, on trouve entre quinze et vingt fois, l’affirmation que Jésus nous a rachetés de la malédiction par son sang, qu’il a donné sa vie en rançon pour nos péchés. Que veut dire « racheter » ? À qui cette « rançon » a-t-elle été payée ?

Une réponse, très ancienne, déclare : au diable. Par ses péchés, l’humanité se serait donnée à Satan. Pour la libérer et quelle appartienne à nouveau à Dieu, il faudrait verser un dédommagement au démon.

  Cette thèse se heurte à d’énormes objections. Elle suppose que Satan est le légitime propriétaire de l’humanité et qu’il a de justes droits dont Dieu devrait tenir compte. Elle implique une curieuse négociation entre Dieu et le démon dont les rapports seraient régis par la législation commerciale. On peut, enfin, s’interroger sur l’honnêteté de la transaction, puisque Jésus ressuscite et que le démon se voit ainsi floué.

Au XIe siècle, Anselme de Cantorbéry propose une autre réponse qui s’inspire du droit féodal. Elle considère l’être humain comme un vassal qui doit à Dieu, son suzerain, soumission et respect. Or, l’être humain se conduit en mauvais vassal. Il inflige un double tort à Dieu. D’abord, il le vole en ne lui rendant pas le service qu’il lui doit. Ensuite, il l’offense en faisant de lui un seigneur incapable de se faire obéir. Dieu ne peut pas tolérer cette situation. Pour maintenir son « honneur », il doit ou punir les humains ou recevoir d’eux une indemnité qui compenserait le tort subi.

 

  Les humains doivent normalement à Dieu toutes leursbonnes oeuvres. Elles ne peuvent constituer un supplément qui compenserait leurs carences. De plus, la majesté infinie de Dieu rend infinie toute offense à son égard. Les humains, êtres finis, n’ont pas les moyens d’offrir quelque chose qui puisse réparer le dommage et l’injure. La justice, que Dieu ne peut pas transgresser sans se renier lui-même, exige donc la condamnation de l’humanité.

  Mais Dieu n’est pas seulement juste, il est aussi miséricordieux. Il vient lui-même ou, plus exactement, il envoie l’une des personnes de sa Trinité pour payer à la place des humains la dette et l’indemnité qu’ils sont hors d’état de régler eux-mêmes. La mort de Jésus rachète leurs fautes, restaure sa gloire et manifeste sa compassion. C’est donc à Dieu qu’est versée la rançon. Jésus se substitue aux humains, il subit à leur place la punition qui devrait normalement leur être infligée et leur permet d’y échapper. Il offre à Dieu sa vie en tant qu’homme solidaire de toute l’humanité ; comme il est également Dieu, cette vie a une valeur infinie et compense à la fois la perte et l’offense subies par Dieu. Il y a « expiation substitutive ».

  Selon Anselme, la Croix concilie la miséricorde et la justice de Dieu. En fait, sa thèse détruit l’une et l’autre. En quoi Dieu fait-il ici preuve de miséricorde ? Il se préoccupe beaucoup de ses intérêts et de sa gloire. Il envoie son Fils à une mort horrible pour satisfaire son honneur. Il pardonne seulement quand on l’a payé. On est très loin du salut gratuit. Et en quoi le supplice d’un innocent à la place d’un coupable satisfait-il la justice ? N’est-ce pas une scandaleuse injustice ?

La théologie du Process propose de comprendre autrement la Croix.

  Dieu pardonne et sauve gratuitement. Il ne pose aucune condition. Il n’exige rien, ni rançon, ni sacrifice expiatoire, ni punition substitutive. Tout cela ne l’intéresse pas. Il demande seulement qu’on s’ouvre à sa parole, qu’on se laisse inspirer, convertir, transformer, entraîner par elle. Dieu cherche à gagner les coeurs, les volontés, à convaincre. Patiemment, progressivement, il agit dans l’humanité pour qu’elle avance, se rapproche de lui et que le monde devienne meilleur.

  Avec une vigueur et une clarté qu’on ne rencontre nulle part ailleurs, Jésus a fait entendre l’appel de Dieu. Il l’incarne de manière unique dans sa prédication et son comportement, dans sa personne et son existence. Il représente l’intervention la plus importante de Dieu dans l’histoire humaine.

  Dieu espérait que Jésus serait écouté, qu’à sa voix les humains changeraient de vie et qu’avec lui le Royaume s’installerait dans notre monde. Cette attente a été déçue. Jésus s’est heurté à une vive hostilité. Sa personne et son message ont été rejetés. Ses adversaires ont obtenu qu’il soit arrêté et exécuté. Dieu n’a pas voulu ni même prévu la Croix. Loin de s’inscrire dans ses projets, elle les contrecarre. Le soir du vendredi saint, il est un vaincu et non un souverain qui aurait obtenu les réparations qu’il demandait.

  Dieu n’accepte pas cette défaite. Il n’abandonne pas l’humanité et le monde à leur sort. Il retourne la situation en ressuscitant Jésus pour que sa Parole reste vivante et agissante. Quand le Nouveau Testament qualifie Jésus de victime expiatoire, lorsqu’il présente le sang versé comme le prix payé afin de nous racheter, il s’agit d’images qui s’inscrivent dans le contexte du Ier siècle. Celle du prix payé avait du sens dans un monde où le marché des esclaves était une réalité quotidienne et où la liberté d’un être humain s’achetait. Celle de la victime tuée sur un autel était parlante à une époque où partout on sacrifiait à des divinités pour obtenir leur indulgence et leur faveur.

  Le Nouveau Testament est un recueil de prédications et non un manuel de doctrines. Il s’exprime de la manière qui correspond à ce que vivaient et pensaient ceux à qui il s’adressait. De même Anselme, au XIe siècle, propose une explication du salut appropriée aux règles et mentalités féodales qui se mettaient alors en place. On aurait tort de le lui reprocher. Par contre, lorsque les images deviennent des doctrines, quand on transforme en système théologique ce qui est parabole, alors on tombe dans l’absurde et sous prétexte de fidélité aux textes on en fausse le sens.

  Selon la thèse de l’expiation substitutive, Dieu nous sauve parce que Jésus lui offre sa vie. Pour la théologie du Process, Dieu nous sauve malgré la Croix, en dépit du crime quelle constitue. La Croix n’entre pas dans une froide logique que Dieu ferait respecter. Elle s’insère dans un drame, celui de l’opposition des êtres humains à la parole divine.  

  La Croix, ainsi comprise, contredit l’affirmation (non biblique) de la « toute-puissance » de Dieu. Elle montre que des événements arrivent contre sa volonté et qu’il lui arrive d’être mis en échec par ses créatures. Il ne ressemble pas à un marionnettiste qui tirerait tous les fils et qui conduirait à son gré personnages et événements. Il est engagé dans une entreprise difficile, dans un combat où tout ne se passe pas selon ses plans et ses desseins, où il reçoit des coups et des blessures. Les humains ont la capacité de lui dire « non », de s’opposer à lui, en tout cas provisoirement. Il ne se caractérise pas par une domination totale, mais par un amour agissant et militant, par un effort douloureux, une lutte persévérante qu’il poursuivra jusqu’au bout.

  La Croix et la Résurrection se trouvent au coeur de la foi chrétienne, mais pour un autre motif que celui indiqué par la doctrine traditionnelle. Elles suscitent notre confiance en Dieu et nous donnent la joyeuse certitude du salut pour deux raisons :

  – Si Dieu n’a pas rejeté et abandonné les humains après ce qu’ils ont fait à Jésus, après le refus qu’ils lui ont opposé et le crime qu’ils ont commis à Golgotha, cela montre que rien ne pourra le détourner d’eux, que jamais il ne les laissera tomber, ni ne renoncera à s’en occuper.

  – Que Dieu ait surmonté et renversé à Pâques une situation aussi bloquée et désespérée que celle de Golgotha suscite en nous la conviction que rien ne parviendra à le mettre définitivement en échec. Il trouvera toujours une solution positive ; aucune circonstance ne l’empêchera d’aller jusqu’au but qu’il s’est fixé. Ce qu’il a fait à Jérusalem autour des années 30 est une référence fondamentale pour la foi.

  La Croix est liée au salut non parce quelle apporterait à Dieu une satisfaction quelconque, en rétablissant son honneur ou en se conformant aux règles d’une justice formaliste, mais parce qu’elle témoigne d’un amour qui ne se laisse pas rebuter et d’une puissance qui finit pas l’emporter. Malgré toutes les oppositions, Dieu fait surgir la vie du Royaume et rend véritablement humains les êtres brutaux que nous sommes.

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À propos André Gounelle

est pasteur, professeur honoraire de l’Institut Protestant de Théologie (Montpellier), auteur de nombreux livres, collaborateur depuis 50 ans d’Évangile et liberté.

3 commentaires

  1. michel.berdah@gmail.com'
    Michel Berdah, diacre permanent

    Merci Monsieur le Pasteur.
    Je butais sur la phrase de St Paul « Christ est mort pour nos péchés », quand j’ai pensé à chercher des explications. En lisant votre texte, je me suis retrouvé. Ou plutôt, j’ai retrouvé la présence de ce Dieu pour qui « rien ne pourra le détourner d’eux (les humains). »
    Fraternellement.
    Michel

  2. Bonjour merci infiniment Monsieur GOUNELLE vos explications m’éclairent et me font énormément de bien, soyez toujours richement béni
    Fraternellement
    Anne Marie MENVIELLE

  3. Merci infiniment pour cet éclairage qui rejoint mon indignation de la croix comme prix payé à notre Dieu, Tout d’un amour inconditionnel et inimaginable pour nous pauvres humains pour lesquels cette Grâce totalement gratuite est inimaginable.
    Pascale 🕊

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