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Entre liberté et mainmise, l’épisode du veau d’or

« Veau d’or » Ces mots suffisent à réveiller une foule de sentiments. Souvent, le jugement claque sans appel contre un « peuple à la nuque raide ». Un peuple ingrat qui oublierait d’être reconnaissant devant son Dieu libérateur. Mais tout n’est pas si simple.

Résumons les faits. Le peuple des Hébreux vient d’être libéré du joug de Pharaon au prix d’un départ précipité et d’une marche annoncée longue. Le périple dans le désert est entamé. Lors d’une halte et répondant à l’appel de Dieu, Moïse s’en va sur la montagne. Ce pourrait être le début de la fin. Parce qu’il tarde à redescendre sur terre et que le peuple, épuisé, s’inquiète : « … l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. » Difficile de traduire ici le ton de ces propos que nous n’avons pas entendus. Peut-être une méfiance quasi naturelle envers celles et ceux qui, de tous temps, se veulent médiateurs du Très-Haut auprès des humains. Ou alors la simple fatigue d’un peuple que trop de marche épuise et fragilise. Mais c’est bien connu, perdre son guide, c’est perdre une partie de soi… peut-être celle de l’assurance ou de son identité embryonnaire.

  Les Hébreux sont perdus et se sentent seuls après le passage de la Mer Rouge qui les avait galvanisés. L’expérience était si forte, comment imaginer qu’elle ait une fin ? L’expérience était si belle, comment vivre encore, après, et assumer la banalité d’un quotidien qui se répète ?

  Dans le désarroi, le peuple en appelle donc à Aaron, le prêtre resté proche d’eux alors que le prophète Moïse s’était absenté. Il en appelle à l’homme de foi pour retrouver la foi. Celle en un Dieu présent et tangible. Chacun va donc donner de ce qu’il a, ses bijoux, pour retrouver la présence sensible du Très-Haut devenu désormais trop haut, trop lointain. Mais tel est le leurre. Dieu est le Tout Autre. Il ne saurait se laisser mettre la main dessus. Dieu, altérité suprême, nous échappera toujours pour mieux nous retrouver, pour créer du neuf là où nous ne pouvons imaginer autre chose que la répétition du même.

  C’est pourquoi Dieu ne l’entend pas ainsi. Et dans son tête-à-tête avec le prophète libérateur, il laisse libre cours à sa colère contre le peuple en manque de confiance et d’endurance. Un peuple qu’il ne considère du coup plus comme le sien mais comme celui de Moïse : « Descends donc – lui dit-il – car ton peuple s’est corrompu. » Désormais donc, ces hommes, ces femmes et ces enfants, Il veut les exterminer. Comme si l’ingratitude le blessait à mort. C’est là qu’intervient l’intelligence rusée de Moïse pour en appeler à Dieu contre Dieu. Pour lui rappeler sa promesse de fidélité, pour l’encourager à ne pas laisser des hommes l’accuser de lâcheté et regretter d’avoir, un jour, pris à la lettre sa promesse d’avenir.

  Après Abram, Moïse. Aujourd’hui, nous tous. Engagés à quitter ce que nous connaissons pour découvrir la terre inconnue que Dieu nous promet. Mais aucune traversée de désert ne se fait sans souffrances, sans doutes, sans envies de retour en arrière. C’est pourquoi j’aime tant la fin de ce récit. Le veau fondu, aplati et Moïse qui donne à boire à son peuple. Selon le livre du Deutéronome, c’est de l’eau d’un torrent qui coulait là. En offrant de cette eau, Moïse nous dit que tout ce qui enferme dans un système est idole. Que seule l’eau vive ouvre à l’avenir, faut-il aller la chercher loin, au fond d’un improbable désert. Mais, quand l’eau vive est bue, c’est par nos corps mêmes que passe le projet de Dieu. Ainsi devenons-nous partenaires. Voilà pourquoi, à la lecture de ce que nous appelons « le veau d’or », je retiens de Moïse qu’il est nécessaire de rappeler à Dieu sa fidélité. Je me souviens qu’Aaron, idolâtre, est devenu le premier grand-prêtre d’Israël. Je garde du peuple que l’important n’est pas tant d’être libéré que de savoir demeurer libre, y compris dans l’inconnu qui nous attend.

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À propos Line Dépraz

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